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Communiqué aux médias du 1er octobre 2008
Attention : Ne pas publier avant le mercredi 1er octobre 19 h HEC (parution dans „Nature“ le 2.10.08)
De nouvelles espèces grâce à des différences de vue
Yeux noirs et cheveux bruns comme critères de sélection d’un partenaire? Dans le
règne animal aussi, les stimuli visuels jouent un rôle important. Chez de nombreu-
ses espèces, les couleurs nuptiales du mâle décident de son succès ou de son
échec auprès des femelles. Une étude menée avec des poissons multicolores ré-
vèle que ces choix ne sont pas dictés par une quelconque notion de beauté physi-
que mais par la sensibilité spectrale des yeux des femelles résultant elle-même
d’une adaptation à leur environnement. Les femelles qui distinguent mieux le bleu
porteront leur choix sur un mâle bleu chatoyant. Celles qui sont plus sensibles au
rouge préfèreront un partenaire sexuel rouge vif. Ces préférences peuvent être si
fortes qu’elles conduisent à l’apparition de nouvelles espèces – à condition bien
sûr que la diversité d’habitats de leur milieu n’ait pas été compromise par des acti-
vités anthropiques néfastes.
Les réponses de la biologie de l’évolution quant au rôle joué par la sélection naturelle dans la forma-
tion de nouvelles espèces restent assez limitées. L’évolution que des cichlidés, poissons multicolores
de certains lacs africains, ont effectuée en à peine quelques milliers d’années – un instant à l’échelle
de l’évolution des espèces – vient étayer la thèse selon laquelle les préférences sexuelles peuvent
conduire à l’apparition de nouvelles espèces même sans isolement géographique des différentes po-
pulations. Dans le cas des cichlidés, il semblait assez plausible que des différences de perception des
couleurs soient impliquées dans le processus de sélection. Une étude qui vient d’être publiée dans la
revue Nature apporte pour la première fois des preuves scientifiques à cette hypothèse.
Voir et être vu
Ole Seehausen, biologiste de l’évolution à l’Institut de recherche de l’eau Eawag et à l’Université de
Berne et ses collaborateurs démontrent dans cet article que les femelles de cichlidés dont les yeux
perçoivent mieux le bleu recherchent plutôt des mâles bleus pour l’accouplement. De même, les fe-
melles dont les récepteurs sont plus sensibles à la partie rouge du spectre, choisissent des mâles ar-
borant une parure nuptiale à dominante rouge. L’équipe de chercheurs a pu isoler les différents pig-
ments des récepteurs oculaires à partir de leurs séquences d’ADN et protéiques. Les séquences nu-
cléiques respectives des gènes codant pour les pigments visuels révèlent d’autre part que leur spécia-
lisation n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’un processus de sélection naturelle. La sensibilité
spectrale des poissons varie en effet en fonction de la profondeur d’eau à laquelle ils évoluent. Ainsi,
les femelles d’eau profonde voient mieux le rouge tandis que le bleu est mieux perçu à proximité de la
surface. Grâce à cette adaptation de leurs récepteurs à la couleur dominante du spectre visible dans
leur environnement, les poissons s’assurent d’un avantage dans un domaine de profondeur donné. Ils
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peuvent ainsi mieux s’orienter et trouvent par exemple d’avantage de nourriture que leurs congénères
non adaptés. Manifestement, les mâles ont de leur côté opéré une adaptation parallèle: les eaux pro-
fondes sont dominées par ceux qui arborent des couleurs nuptiales rouges tandis que les mâles à
couleur bleue prennent l’avantage près de la surface.
De nouvelles espèces apparaissent lorsque le spectre lumineux ne se modifie que lentement avec la
profondeur. Ceci garantit pour chaque domaine de couleur suffisamment d’espace pour que les diver-
ses variantes génétiques des poissons puissent profiter de leur avantage spectral dans leur propre
niche écologique. Dans le cas du lac Victoria, les zones propices à cette sélection se situent près des
berges plates à moyennement pentues dans une eau relativement limpide.
Une explication à la régression de la biodiversité
Les nouveaux résultats n’indiquent pas uniquement une voie d’apparition de nouvelles espèces, ils
livrent aussi une explication plausible pour l’effondrement de la biodiversité piscicole que connait le lac
Victoria depuis 25 ans. La surfertilisation du lac causée par l’activité agricole, la déforestation et les
rejets des grandes villes environnantes a en effet contribué à un fort accroissement de la turbidité de
l’eau. L’atténuation de la lumière incidente est depuis lors très rapide, la profondeur éclairée n’étant
plus que de quelques mètres. Le rapprochement des différentes niches écologiques est alors tel que
le mécanisme d’adaptation ne peut plus intervenir. Les auteurs ont ainsi constaté que les zones à
forte turbidité n’abritaient plus deux espèces, bleue et rouge, distinctes mais au contraire une forme
mixte unique ne présentant d’adaptation spécifique à aucune niche particulière. Ce mélange des es-
pèces entraîné par les modifications de l’environnement aquatique a très certainement contribué au
fait que sur les plus de 500 espèces de cichlidés que comptait le lac Victoria il y a à peine quelques
générations, seules 250 subsistent actuellement.
Qu’est-ce qu’une espèce?
La biologie de l’évolution propose différentes définitions pour la notion d’espèce. Elles s’entendent
toutes sur le fait que les populations d’organismes sont considérées comme appartenant à des espè-
ces différentes si, dans la nature, elles coexistent sur plusieurs générations dans le même espace
vital sans fusionner génétiquement. De nombreuses espèces s’hybrident occasionnellement mais
peuvent rester différenciées grâce à l’existence de mécanismes s’opposant au flux de gènes. La défi-
nition de l’espèce comme étant un groupe d’individus incapables de se reproduire avec les membres
d’autres espèces est depuis longtemps dépassée.
Les mâles des cichlidés Pundamilia nyererei (à gauche) et Pundamilia pundamilia ont adapté leurs
couleurs nuptiales à la lumière à dominante rouge ou bleue de leur environnement et donc à la sensi-
bilité spectrale développée en conséquence dans le système visuel des femelles. © Eawag
Pour plus d‘information: Prof Ole Seehausen, chef du département d’Ichtyoécologie et Evolution de
l‘Eawag, Tel +41 41 349 21 21; ole.see[email protected]
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