Le Modèle d`Equilibre des Actifs Financiers (MEDAF)

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Le Modèle d’Equilibre des Actifs Financiers
(MEDAF)
Philippe Bernard
Ingénierie Economique et Financière
Université Paris-Dauphine
Mars 2017
F. 1 — Harry Markowitz
La théorie du portefeuille s’élabora en une dizaine d’années de 1952, date de l’article
fondateur de Markowitz, à 1964, date de celui de Sharpe [Sha64], avec entre les deux le livre
de Markowitz [Mar59] et l’article de Tobin [Tob58]. Entre ces différentes contributions,
la perspective de la théorie des portefeuilles évolua considérablement : initialement, discipline uniquement normative ([Mar52], [Mar59]), elle devint avec Tobin [Tob58] et surtout
Sharpe [Sha64] (puis [Sha70]) une théorie positive de l’équilibre ‘du marché financier’.
Dans l’approche de Markowitz, les différents actifs et portefeuilles sont repérés par
leurs couples (rendement moyen, risque) où le risque est supposé mesuré par la variance.
Le problème de chaque financier est donc de chercher le portefeuille maximisant son utilité.
Pour résoudre ce problème, il est souvent plus habile de le résoudre en deux étapes :
1. déterminer la frontière des portefeuilles efficients, i.e. l’ensemble des portefeuilles
minimisant les risques à rendement moyen donné ; ceci nous donne un morceau de
courbe croissante dans l’espace (variance du rendement,espérance du rendement) ;
2. déterminer le point de la frontière maximisant l’utilité ; les courbes d’indifférence
étant convexes et croissantes, l’optimum est un point de la frontière où celle-ci est
tangente à une courbe d’indifférence.
Tobin [Tob58] puis Sharpe [Sha64] ont étendu la théorie du portefeuille de Markowitz :
— en supposant l’existence d’un actif sans risque ;
— en transformant la théorie du portefeuille en une théorie positive.
Si Tobin s’est contenté d’appliquer la théorie du portefeuille à la demande de monnaie,
1
Sharpe1 en a fait le socle d’une théorie de l’équilibre financier, le Modèle d’Equilibre des
Actifs Financiers (MEDAF ou en anglais CAPM), sous trois hypothèses supplémentaires :
— les marchés financiers sont parfaits au sens où les agents peuvent prêter et emprunter
en l’absence de toute contrainte quantitative ;
— les marchés financiers sont parfaitement concurrentiels ;
— les agents ont les mêmes anticipations sur les rendements2 .
Comme l’a noté Brennan [Bre89] :
“The reason for delay [between Markowitz (1959) and Sharpe (1964)] was
undoubtedly the boldness of the assumption required for progress, namely that
all investors hold the same beliefs about the joint distribution of a security.”
([Bre89] p.93)
Un des principaux résultats du CAPM fut de donner une expression exacte (et linéaire) de la prime de risque des actifs reposant sur la prise en compte des possibilités de
diversification :
“The older view that the risk premium depended on the asset’s variance
was no longer appropriate, since if one asset had a higher covariance with
the market, it would have a higher risk premium even if the total variance
of returns were lower. Even more surprising was the implication that a risky
asset that was uncorrelated with the market would have no risk premium and
would be expected to have the same return as the riskless asset, and that assets
that were inversely correlated with the market would actually have expected
returns of less than the riskless rate equilibrium.” ([Ros89] p.327)
1
Et aussi Lintner [Lin65], Mossin [Mos66]. Le modèle de Mossin est sans doute le plus remarquable
des trois par sa limpidité. Aussi est-il quelque peu injuste que Sharpe est monopolisé l’attention alors que
comme le notait (avec un brin de perfidie) Jan Mossin : “The paper by Sharpe gives a verbal diagrammatical discussion of the determination of asset prices in quasi-dynamic terms. His general description
of the character of the market is similar to the one presented here, however, and his main conclusions
are certainly consistent with ours. But his lack of precision in the specification of equilibrium conditions
leaves parts of his arguments somewhat indefinite (souligné par nous).” ([Mos66] p.769)
2
Sharpe attribue le terme d’homogénéité des anticipations à un des référés de son article. Bien que
concédant ‘l’irréalisme’ de cette hypothèse, il la justifiait par sa conséquence, la réalisation de l’équilibre.
2
Le modèle du CAPM souffrait cependant de certaines limites théoriques et empiriques.
La finance moderne s’est en fait développée à partir des années 70 en s’efforçant
1. de se rattacher à l’économie mathématique et d’exploiter les résultats obtenus par
celle-ci dans les années 60-70 ([Arr53], [Bor63]) ;
2. d’utiliser autant que se peut des raisonnements d’arbitrage dont l’importance fut
décisivement démontrée par S.Ross dans son classique article [Ros77] ;
3. de développer des modèles de valorisation opérationnels ;
4. de développer des modèles d’équilibre général dynamique et calculable.
Le CAPM reste cependant un modèle essentiel notamment car il isole une variable
essentielle : le risque systématique.
1
Le portefeuille de marché
Dans le théorème des deux fonds, il est montré que sous un ensemble d’hypothèses
couramment utilisées en théorie du portefeuille, sans perte de généralité, le portefeuille
peut être considéré comme étant la combinaison de seulement deux produits financiers :
l’actif certain et un portefeuille risqué. Ce dernier est défini par les rendements espérés et
les covariances. En effet,si l’on note :
— r le vecteur colonne des primes de risques des J titres risqués


E
r1




r =  ... 


E
rJ
— Σ la matrice des covariances

σ 21
... σ 1J


=  ... ... ...

σ J1 ... σ 2J





— 1 le vecteur colonne de même dimension que r dont toutes les composantes sont
3
égales à 1


1




1 =  ... 


1
alors le portefeuille risqué à combiner avec l’actidf certain est donné par :
z=
Σ−1 r
1T Σ−1 r
(1)
Le contexte du marché, i.e. la donnée des primes de risque (r) et des covariances (Σ),
suffit donc à définir le portefeuille boursier que chaque agent doi détenir.
Mais que représente économiquement, financièrement ce portefeuille ?
En fait, si l’on prend en compte les conditions d’équilibre sur les marchés, on peut
définir ce portefeuille z très intuitivement et sans prendre en compte les expressions matricielles. Pour cela, il suffit de partir de l’habituelle condition d’équilibre : offre = demande,
et de passer à sa version en valeur : dépense = valeur de l’offre. Dans le CAPM, un modèle
de court terme, l’offre (la quantité de titres émise) est supposée constante. Et donc en
valeur l’offre se confond avec la capitalisation du titre sur le marché (que l’on notera q).
Du côté de la demande chaque agent i veut investir un montant monétaire égal à xij ∗ W i
, où W i est sa richesse. Par conséquent, pour le marché du titre j, la condition d’égalité
des demandes à l’offre valeur s’écrit :
xij × W i = qj
(2)
i
Mais le contexte est celui où le théorème des deux fonds s’applique, et donc chaque agent
i se comporte comme s’il ventilait d’abord sa richesse entre le placement certain (pour
une part 1 − xi0 de sa richesse) et les placements risqués, avant de placer la totalité de cet
investissement risqué (égal donc à (1 − xi0 ) ∗ W i ) dans le portefeuille z. Par conséquent,
on a la retriction suivante sur la part xij :
xij = (1 − xi0 ) × zj
(3)
où zj n’est évidemment pas indicé par i. Aussi en substituant et en réarrangeant on a :
(1 − xi0 ) × zj × W i = qj
i
4
(4)
zj ×
où
(1 − xi0 ) × W i = qj
(5)
i
i
i
i (1 − x0 ) × W
représentant le montant investi par les individus sur les titres risqués.
Si l’on agrège l’ensemble des marchés, en sommant donc sur les j :
(zj ×
(1 − xi0 ) × W i ) =
qj
j
Mais
i (1
i
(6)
j
− xi0 ) × W i étant indépendant de j, on peut sortir ce terme de la somme sur
les j :
(
(1 − xi0 ) × W i ) ×
zj =
qj
i
j
(7)
j
Mais z étant un portefeuille complètement investi :
zj = 1
j
et donc l’équation précédante se réécrit :
(1 − xi0 ) × W i =
qj
i
(8)
j
Ce terme traduit le fait les capitalisations des titres s’ajustent aux montants investis en
bourse par les individus. Mais cette relation (8) nous permet de remplacer i (1−xi0 )×W i
dans (5) par j qj . Et donc nous donne :
zj ×
qj = qj
(9)
j
d’où l’on titre immédiatement :
qj
zj = j
(10)
qj
Cette relation vérifiée à l’équilibre (et seulement à l’équilibre) est fondamentale car elle
permet de définir le portefeuille z sans passer par les covariances et les rendements espérés :
Propriété 1 A l’équilibre, le portefeuille risqué z de référence est en fait défini par le
poids de chaque titre dans la capitalisation du marché :
qj
∀j, zj = j
qj
(11)
Aussi, ce portefeuille est appelé portefeuille de marché. Sa composition est identique à
celle de l’indice du marché pondéré par la capitalisation.
5
Pour mettre en oeuvre la logique indicielle du théorème des deux fonds, il est donc
inutile de se livrer aux calculs matriciels vus dans la démonstration du théorème des deux
fonds. Si l’on admet que l’économie est à l’équilibre (décrit dans notre théorie), alors il
suffit de consulter son journal financier préféré, d’y récupérer les capitalisations des titres
et de calculer les parts définies par ces dernières. A l’équilibre, chaque agent doit donc
détenir uniquement sa richesse en actif certain et dans un portefeuille qui est la copie
conforme du marché (car ayant la même composition). On comprend mieux l’origine de
la forte conviction de Sharpe (et de la plupart des fondateurs de la théorie financière) :
“Il est impossible de battre le marché !”
2
La prime de risque d’équilibre
Le fait que le théorème des deux fonds s’applique, et qu’à l’équilibre le portefeuille de
réference se confonde avec le portefeuille de marché, implique que sans perte de généralité
on peut supposer que pour chaque agent i le rendement de son portefeuille peut s’écrire :
rpi = xi0 × r0 + (1 − xi0 ) × rm
(12)
où rm est le rendement du marché.
Par conséquent, comme ce portefeuille est optima, il vérifie les conditions marginales
d’optimalité (vues dans le théorème des deux fonds) :
∀j, E
rj − r0 = γ i cov(
rj , rpi )
(13)
où γ i est le coefficient d’aversion de l’agent i, cov(
rj , rpi ) la covariance entre le rendement
du titre j et celui du portefeuille de l’agent i.
La relation (12) nous permet de réécrire cette dernière covariance :
cov(
rj , rpi ) = cov(
rj , xi0 × r0 + (1 − xi0 ) × rm )
= cov(
rj , (1 − xi0 ) × rm )
= (1 − xi0 ) × cov(
rj , rm )
puisque (a) xi0 × r0 est un terme non aléatoire (n’affectant donc pas la valeur de la covariance), (b) la covariance est un opérateur partiellement linéaire (cov(
x, a
y ) = acov(
x, y)).
6
La relation (13) peut donc se réécrire :
∀j, E
rj − r0 = γ i (1 − xi0 ) × cov(
rj , rm )
(14)
Cette relation étant vraie pour tous les produits financiers, elle également vérifié pour le
portefeuille de marché (m). Par conséquent :
E
rm − r0 = γ i (1 − xi0 ) × cov(
rm , rm )
et donc :
E
rm − r0 = γ i (1 − xi0 ) × σ 2m
(15)
Le rapport pour chaque titre des relations (14) et (15) nous donne après simplifications :
E
rj − r0
cov(
rm , rm )
=
E
rm − r0
σ 2m
(16)
Evidemment le terme à droite est le coefficient de régression β j du modèle de marché :
εj
rj = αj + β j rm + (17)
et donc :
E
rj − r0
= β j ⇒ E
rj − r0 = β j × (E
rm − r0 )
E
rm − r0
(18)
E
rj − r0 = β j × (E
rm − r0 )
(19)
L’équation :
est l’équation centrale du CAPM. Elle nous donne la prime de risque de chaque titre j en
fonction de seulement deux paramètres :
— la sensibilité du titre au marché (β j ) ;
— la prime de risque du marché (E
rm − r0 ).
Au surplus si l’on s’intéresse aux seules différences de rendements, la seule varable à
considérer est même le β puisque :
∀(j, k), E
rj − E
rk = (β j − β k ) × (E
rm − r0 )
Comme E
rm − r0 doit être positif à l’équilibre, on a :
∀(j, k) : E
rj E
rk ⇔ β j β k
7
(20)
T. 1 — Les performances des mutual funds américains neutrals
Statistic
3 Years
5 Years
10 Years
Alpha (against Standard Index)
-0.68
-0.61
-0.12
Beta (against Standard Index)
0.06
0.09
0.14
Mean Annual Return
0.02
0.02
0.22
R-squared (against Standard Index)
24.08
22.85
31.52
Standard Deviation
4.21
5.48
5.29
Sharpe Ratio
0.08
-0.02
0.20
source : Yahoo ! Finance, mars 2013
Pour les différences de rendements, le β est la seule variable à prendre en compte Cette
position centrale de cette variable est a surplus une force du modèle car elle est totalement
réconciliable avec l’intuition économique.
En effet, on peut considèrer un investissement très risqué dont le β soit nulle, et
donc qui soit décorrélé de l’évolution du marché. Les hegde funds peuvent en constituer
un exemple. Ou encore les mutual funds neutres. Dans le tableau 1 sont reportés les
performances de ces mutual funds.
Le CAPM quant à lui prédit un rendement espéré égal au taux certain (par le jeu de
la relation (19)) quelle que soit la volatilité σ j :
rj = r0 ∀σ j
β j = 0 ⇒ E
(21)
Cette performance peut apparaître particulièrement faible pour un titre très risqué. Mais
justement cette relation est parfaitement conforme à la logique économique. En effet, le
fait que β j = 0 implique que la totalité du risque soit du spécifique :
β j = 0 ⇒ σ j = σ (
εj )
(22)
en raison de l’équation décomposition de la variance donnée par le modèle de marché :
σ 2j = β 2j .σ 2m + σ 2 (
ε)
(23)
Or le risque spécifique est un risque que l’on peut sans coût faire disparaître (sur un marché
supposé parfait, sans coûts de transaction) dans un portefeuille (suffisamment) diversifié.
Par conséquent, le risque spécifique n’impose aucun coût aux investisseurs (judicieux et
8
T. 2 — Les performances des bear funds
Statistic
3 ans
5 ans
Alpha (against Standard Index)
-3.20
-11.77
Beta (against Standard Index)
-1.50
-1.43
Mean Annual Return
-1.98
-1.71
R-squared (against Standard Index)
88.17
83.92
Standard Deviation
24.63
30.14
Sharpe Ratio
-1.11
-0.66
10 ans
-6.85
-1.34
-1.25
86.67
21.51
-0.76
source : Yahoo ! Finance, mars 2013
donc diversifiés), et donc ne nécessite aucune compensation, donc aucune prime de risque.
Aussi, à l’équilibre :
E
rj = r0
(24)
On peut aussi envisager un investissement dont le β est négatif et le risque spécifique
σ(
ε) positif, voire très important. Dans l’industrie des fonds, ce β négatif définit des
fonds contracycliques. Historiquement, les junk funds américains des années 80 en sont un
exemple. En investissant notamment sur les entreprises qui se portaient très bien pendant
la crise (entreprises pharmaceutiques produisant par exemple des anti-dépresseurs, des
producteurs de cigarettes, etc.), ils réussissaient à avoir des β négatifs. Aujourd’hui les
bear funds en sont les héritiers. Sur le site de Yahoo ! Finance, la catégorie aujourd’hui en
mars 2013 en comprend une cinquantaine. Comme on peut le voir dans le tableau 2, les
rendements moyens sont sensiblement négatifs alors que les risques sont très importants,
les β très négatifs.
Le CAPM est en accord avec ces faits puisque selon l’équation de celui-ci :
β j < 0 ⇒ E
rj < r0 ∀σ j
(25)
Là aussi une force du CAPM est ce résultat est conforme avec la logique économique En
effet, si β est négatif alors le rendement du fond sera assez important lorsque le marché
s’effondrera. Investir dans un tel fond permet donc de limiter les pertes lorsque le marché
se retourne. Ces fonds sont donc des instruments de couverture du risque de marché. La
logique économique veut donc qu’à ce gain (même non monétaire) de couverture corresponde un coût : la prime d’assurance de ce service. Sur le marché cette prime est créé par
9
un manque à gagner :
prime d′ assurance = r0 − E
rj > 0 si β j < 0
Là encore la prime prédite par le CAPM peut être réconciliée avec la logique économique.
Enfin, on peut considérer un investissement dans un produit financier dont le β est
positif. Dans ce cas, le risque non diversifiable est positif et lorsque le marché s’effondre,
l’investissement dont β > 0 vient augmenter les pertes, exacerbant les problèmes. Par
conséquent, augmenter ses positions sur des titres dont les β sont positifs doit être éviter
si le rendement espéré est celui de l’actif certain. Il faut donc accorder une prime de
risque (E
rj − r0 ) strictement positive. Et comme plus le β est important plus le risque
non diversifiable est important, il est nécessaire d’accoître alors la prime de risque. D’où
la prime du CAPM :
E
rj − r0 = β j × (E
rj − r0 )
(26)
Les portefeuilles sont donc situés sur une droite et dépendent uniquement du β de
l’actif considéré. Plus le rendement de l’actif est corrélé avec la consommation, plus l’actif
est donc sensible au cycle économique, plus le β de l’actif est grand ainsi que sa prime
de risque. La morale de cette relation est donc celle tirée par Fischer Black : “Pour
obtenir des gains attendus plus élevés, vous devez prendre davantage de risque. Si vous
voulez escalader une haute montagne, vous devez être préparé à souffrir.” ([Bla88], cité
par [Ber95] p.210)
3
Le MEDAF à l’épreuve des faits
Dès le début des années 70, de nombreuses études ont confronté le CAPM aux données
empiriques. Les résultats encourageants de ces premières études ont énormément contribué à imposer le CAPM comme le modèle de référence en finance de marché. Cependant,
progressivement, les critiques adressées aux méthodes empiriques utilisées (Roll [Rol77]),
la découverte de certaines anomalies, notamment l’effet de taille (Banz [Ban81]) ont progressivement fait naitre le doute sur la validité du CAPM. Le paroxisme du doute a sans
dote été atteint lorsque les résultats de Fama & French [FF92] ont même semblé le rejeter
10
F. 2 — William Sharpe (1934-), Prix Nobel d’économie 1990
complètement. Paradoxalement, la critique de Fama & French semble avoir été salutaire
puisque les critiques de la critique ont souligné la capacité du CAPM d’expliquer une part
importance de la variabilité des rendements dès lors que l’on prend en compte certains
facteurs ignorés dans les travaux antérieurs.
3.1
Les premiers tests et leurs critiques
Tester le CAPM suppose que l’on connaisse au moins trois variables : les rendements
espérés, les betas et le portefeuille de marché. Si ces variables étaient connues, il ne
resterait alors qu’à tester l’équation de a prime de risque.
Les premiers tests réalisés à la fin des années 60 consistaient après avoir isolé un univers
de titres à :
1. évaluer les β j de chaque titre en utilisant le modèle de marché et à récupérer le β
j ) ;
estimé (noté ici β
2. puis à estimer une régression en coupe reliant les primes de risque aux β
j + ǫj
E
rj − r0 = γ 0 + γ 1 .β
(27)
Dans ces travaux, les rendements espérés étaient représentées par les rendements
moyens historiques, le taux certain était celui d’un bon du trésor de court terme (1 mois,
3 mois), le marché était représenté par un indice de marché suffisamment représentatif.
Les restrictions posées par le CAPM sur les résultats de ces régressions, et notamment
sur l’équation (27) étaient notamment les suivantes :
11
— la constante devrait être (approximativement) nulle ou statistiquement non significative (car un β nulle doit être accompagné d’une prime de risque également nulle) ;
— le coefficient γ 1 devrait être positif et statistiquement significatif.
Les résultats de ces premières tentatives furent loin d’être couronnées de succès pour
user d’un euphémisme : fréquemment la constante étaient non nulle, importante et significative ; γ 1 apparaissaient fréquemment tantôt négatif, tantôt proche de 0. Cependant la
médiocrité ne conduisit pas à rejeter le CAPM comme modèle explicatif des marchés. En
effet, la méthode proposée aussi intuitive qu’elle soit comporte une seconde équation comprenant une variable non observée mais estimée à la première étape : β. Aussi, le modèle
peut être rejeté pour non une raison mais deux : le modèle testé est “faux”, l’estimation
de la variable explicative est très médiocre. Cette deuxième raison étant possible en raison
de la forte volatilité des marchés, le problème soulevé par ces premiers échecs fut donc de
trouver une méthode permettant de lever cette seconde possibilité.
B
, J & S
(BJS) [BJS72] ont été les premiers à proposer une
évaluation du CAPM contournant le problème d’estimation des β. Leur point de départ
fut l’intuition que même si chaque β j estimé comporte une erreur :
j = β j + β
εj
(28)
il n’y a a priori aucune raison pour que les erreurs soient corrélées entre elle. Aussi si l’on
rassemble la totalité des titres en N portefeuilles equipondérés p = 1, ..., N (de M =
J
N
titres), les β de ces derniers vérifieront asymptotiquement que leurs β estimés convergent
bers leurs “vrais” β :
p → β p
J → +∞ ⇒ β
En effet :
p =
β
et donc :
p =
β
(29)
1
p
β
M
j∈p
1 1
1
βj + εj =
βj +
εj
M
M
M
j∈p
j∈p
j∈p
L’hypothèse d’absence de corrélation des erreurs permet de faire jouer asymptotiquement
la loi des grands nombres, et donc d’avoir (avec quelques hypothèses supplémentaires) :
1
lim
εj = 0
J→+∞
M
j∈p
12
et donc comme
1
j∈p M β j
= β p , on a :
lim
J→+∞
=β
β
p
p
(30)
) doit être très proche du
Pour des portefeuilles suffisamment grands, le β estimé (β
p
“vrai” β (β p ). Par conséquent la méthode BJS (Black, Jensen et Scholes)3 consiste en
trois étapes :
1. l’estimation des β des titres à l’aide du modèle de marché ;
2. l’agréation des titres en N portefeuilles equipondérés constitués mécaniquement à
partir d’un critère de tri ;
3. l’estimation de l’équation en coupe (31) sur les portefeuilles (et non les titres).
p + ǫp
p − R0 = γ 0 + γ 1 .β
ER
(31)
Le CAPM classique implique évidemment que γ 0 = 0 = γ 2 . Dans leur étude, BJS
ont classiquement assimilé le rendement espéré au rendement moyen historique, le portefeuille de marché au portefeuille du marché boursier étudié, le NYSE4 de 1931 à 1965, le
rendement certain étant le taux du T-bill à 30 jours. La technique d’estimation consiste
à regrouper les actifs échangés en 10 portefeuilles déterminés par les bêtas historiques.
Le graphique 3 illustre les résultats obtenus dans cette première étude. L’alignement des
primes sur les bêtas, l’importance du coefficient de détermination, la positivité du coefficient du β furent à l’époque considérée comme une validation partielle mais encourageante
du CAPM. D’autres travaux, notamment ceux de de F & M
B [1973] [FM73]
(portant sur le NYSE de 1926 à 1968) conclurent dans le même sens. Cependant de premières anomalies5 apparurent rapidement. L’une d’elle étaient d’ailleurs dans le travail de
BJS. Dans celui-ci en effet, les valeurs estimées étaient :
γ 0 = 0.519%, γ 1 = 1.08%
3
Laquelle est encore aujourd’hui la méthode utilisée pour tester la méthode de pricing sur grands
échantillons.
4
New York Stock Exchange
5
En finance une anomalie de marché est un écart entre la prime de risque effective du marché du
marché et la prévision d’un modèle (souvent le CAPM).
13
relation estimée
relation théorique
F. 3 —
La prime de risque estimée pour un risque systématique nul (β = 0) était donc de 0.5%
au lieu d’être nulle. Et la valeur de γ 1 était elle aussi trop faible. En effet, comme γ 1 est
le coefficient du β, il correspond dans l’équation du CAPM :
E
r − r0 = β.(E
rm − r0 )
(32)
à E
rm − r0 . Or sur les données de BJS, la prime de risque historique était de 1, 42%.
Par conséquent, dans le plan (β, E
r) la droite attendue aurait du avoir une pene plus
importante.
Cette anomalie comme toute anomalie peut être interprétée de deux manières :
— comme la traduction que l’économie n’est pas à l’équilibre ;
— comme la manifestation que le modèle n’est pas le bon (parce que trop simple par
exemple) pour décrire correctement l’économie supposée à l’équilibre.
Dans la première interprétation, toute anomalie définit des stratégies actives profitables. Dans notre cas, les stratégies découlent de l’écart entre la prime de risque effective
et la prime du CAPM - cett dernière étant supposée représentée la rémunération appropriée de la prise de risque. Comme dans l’anomalie on a :
si β f aible alors Er ef f > Ercapm
14
investir sur les titres dont les β sont faibles est plutôt intéressant puisque la performance
effective est supérieure à celle du CAPM. Inversement comme :
si β élevé alors Ercapm > Eref f
il vaut mieux évité d’être long sur les titres dont les β sont élevés.
Mais il est aussi possible de soutenir que l’anomalie ne traduit pas le déséquilibre
de l’économie mais seulement l’insuffisante du CAPM. Ce fut la voie choisie par Fischer
Black qui proposa une généralisation du CAPM, le zéro-bêta.
4
Le zero-bêta de Black
Le modèle classique du MEDAF suppose, outre que les marchés sont concurrentiels,
qu’il existe un actif sans risque et des marchés parfaits, i.e l’inexistence de contraintes
quantitatives d’endettement. Fisher Black 6 , dans un article classique [Bla72], a démontré
qu’en fait, même en l’absence de telles hypothèses il était possible d’obtenir une telle
relation linéaire.
Le point de départ est l’introduction des portefeuilles conjugués (voir annexe) des
portefeuilles efficients. Pour tout portefeuille p de la frontière, son portefeuille conjugué
zc(p) est le portefeuille dont la covariance est nulle :
p , R
zc(p) = 0
zc(p) : cov R
On considère ensuite le portefeuille p obtenu en combinant, avec les poids α et 1 − α,
le portefeuille de marché m et son portefeuille conjugué zc(m). Le rendement espéré et
l’écart type de ce portefeuille sont :
Rp = α.Rm + (1 − α)Rzc(m)
α2 σ 2m + 2α(1 − α)σ mzc(m) + (1 − α)2 σ 2zc(m)
=
α2 σ 2m + (1 − α)2 σ 2zc(m)
σp =
6
Et dans une certaine mesure Lintner [Lin69].
15
puisque σ mzc(m) = 0. On s’intéresse à la substitution entre le risque et le rendement espéré
au voisinage du portefeuille de marché. Pour cela on calcule les dérivées du rendement et
de l’écart-type par rapport à α :
dRp
= Rm − Rzc(m)
dα
2ασ 2m + 2(1 − α)σ 2zc(m)
dσ p
= dα
2 α2 σ 2m + (1 − α)2 σ 2zc(m)
et donc :
α=1⇒
dσ p
σ 2m
= σm
=
dα
σ 2m + 0 × σ 2zc(m)
Au voisinage du portefeuille de marché, i.e. pour α = 1, le taux de substitution rendement
- écart type que donne ce portefeuille est :
Rm − Rzc(m)
dRp /dα
dRp
=
=
dσ p |α=1
dσ p /dα
σm
On considère ensuite le portefeuille obtenu en augmentant dans le portefeuille de
marché la part d’un actif i quelconque. Si la part du portefeuille de marché est α alors on
a:
Rp = α.Rm + (1 − α)Ri
σ 2p = α2 σ 2m + 2α(1 − α)σ im + (1 − α)2 σ 2i
Evalué pour α = 1, les effets de l’entrée (ou de l’augmentation de la part) de i dans le
portefeuille sont :
et donc :
dRp
= Rm − Ri
dα
dσ p
2ασ 2 + 2(1 − 2α)σ im + 2(1 − α)σ 2i
= m
dα
2 α2 σ 2m + 2α(1 − α)σ im + (1 − α)2 σ 2i
dσ p
2σ 2m + 2(1 − 2)σ im + 2(1 − 1)σ 2i
σ 2m − σ im
α=1⇒
= =
dα
σm
2 σ 2m + 2(1 − 1)σ im + (1 − 1)2 σ 2i
Par conséquent, au voisinage du portefeuille de marché, l’arbitrage rendement - écart type
est avec ce portefeuille :
dRp
Ri − Rm
=
dσ p |α=1
[σ im − σ 2m ]/σ m
16
A l’équilibre, les taux marginaux de substitution rendement - risque des différentes portefeuilles doivent être égaux car sinon on pourrait arbitrer et accroître le rendement espéré
sans modifier le risque. Par conséquent à l’équilibre on doit avoir :
Rm − Rzc(m)
Ri − Rm
=
[σ im − σ 2m ]/σ m
σm
ou encore :
Rm − Rzc(m)
Ri − Rm
=
σ im − σ 2m
σ 2m
En réarrangeant les termes on obtient :
Ri = Rzc(p) + β i Rm − Rzc(m)
avec :
βi =
σ im
σ 2m
Théorème 1 (Black (1972)) Même en l’absence d’un actif sans risque, le rendement
moyen de tout portefeuille efficient est une fonction linéaire de son bêta :
Rq = Rzc(m) + β qm Rm − Rzc(m)
où
β qm =
(33)
m , R
q
cov R
σ 2m
L’intérêt du modèle de B
est sa capacité à étendre le MEDAF aux économies où
les agents sont soumis à des contraintes d’endettement. Sur la figure 4 est reporté le taux
Rf auquel les agents peuvent prêtés. Si M ′ est supposé être le portefeuille de marché et
si tous les agents sont prêteurs, alors la droite de marché est la droite Rf M ′ . L’économie
se comporte conformément au MEDAF classique. Cependant, si certains agents ne se
contentent pas d’épargne, mais souhaitent s’endettement pour avoir un portefeuille plus
risqué (à droite de M ′ donc), les contraintes d’endettement vont devenir actives. A l’équilibre, l’excès de rendement des portefeuilles de ces agents va donc être désormais donné
par celui du portefeuille de marché et de son portefeuille conjugué. Comme le portefeuille
de marché doit tenir compte à l’équilibre de tous les investissements réalisés, le portefeuille
de marché M va être à droite de M ′ . La droite de marché est alors donnée par la droite
17
E[R]
M
M'
ERz(M)
Rf
F. 4 — Contraintes d’endettement et droite de marché.
ERzc(m) M . La construction du nouveau portefeuille de marché et le fait que le rendement
du portefeuille conjugué soit sur la tangente de M assure que ERzc(m) > Rf , i.e. que
le taux d’intérêt effectif auquel les agents s’endettent est supérieur au taux prêteur. La
conséquence de ceci est que la droite de marché alors observée est plus plate que celle du
MEDAF classique.
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