26 #11 COMPTE-RENDU DE COLLOQUE 2ème Conférence du CERCLE Collectif d’Expertise Régionale sur le Climat et son Evolution 3 avril 2015 « Changement climatique et risques allergo-polliniques » Laetitia Davranche - Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique Nord - Pas de Calais Michel Thibaudon - Réseau National de Surveillance Aérobiologique Les pollinoses : aspects épidémiologiques Les études épidémiologiques ont montré que nous étions en phase d’augmentation des allergies. Les allergies respiratoires ont doublé en une vingtaine d’années dans les pays industrialisés. Les allergies aux pollens (ou pollinoses) ont, quant à elles, triplé en France depuis 25 ans. Ainsi, plus de 10 % de la population française est allergique aux pollens. La prévalence est plus élevée chez les jeunes adultes (avec plus de 30 % chez les adultes par rapport aux enfants, ainsi que les personnes âgées) ; elle est également différente d’une région à l’autre. Les pollens sont inhalés par une personne allergique qui va manifester des symptômes au niveau de l’appareil respiratoire et oculaire. Au niveau clinique, cela va donc se traduire essen- Téléchargement du rapport CERCLE : www.nordpasdecalais.fr/rapport-cercle #11 tiellement par une rhinite, de la conjonctivite, des démangeaisons, des quintes d’éternuement et de toux, voire dans certains cas aggraver les symptômes de l’asthme. D’autres effets secondaires comme la fatigue, par exemple, sont également liés à la pollinose. Pour pouvoir améliorer chacun de ces symptômes, des traitements antihistaminiques sont proposés aux personnes allergiques et pour pouvoir être les plus efficaces possible, il faut qu’ils soient anticipés avant l’arrivée massive des pollens dans l’atmosphère. En outre, des conseils de prévention (tels que rouler les fenêtres fermées, ne pas faire sécher son linge à l’extérieur ou ne pas sortir avec les cheveux mouillés) peuvent améliorer le quotidien de ces personnes allergiques. La figure 1 présente les 3 périodes de la saison pollinique. Elle débute, de janvier à mai, par la saison des arbres notamment avec le pollen de bouleau, le plus problématique en région Nord - Pas de Calais, suivi, de mai à juillet, par la saison des graminées présentant également un potentiel allergisant fort, pour finir de juillet à octobre avec la saison des herbacées. Figure 1 : la saison pollinique et ses trois principales périodes (Source : APPA NPC). 27 28 #11 COMPTE-RENDU DE COLLOQUE 2ème Conférence du CERCLE Collectif d’Expertise Régionale sur le Climat et son Evolution 3 avril 2015 « Changement climatique et risques allergo-polliniques » Les facteurs de risques amenant la rhinite allergique sont présentés figure 2. Tout d’abord, une personne peut être prédisposée génétiquement à être allergique ou peut le devenir en étant exposée de façon intense et prolongée aux allergènes, ici les pollens. Figure 2 : les facteurs de risque vis-à-vis de la rhinite allergique (source : d’après l’Institut National de Santé Publique du Québec, 2013). Les symptômes allergiques sont améliorés quand les conditions météorologiques sont pluvieuses et sont aggravés par vent fort et temps sec. À cela s’ajoutent des nuisances environnementales comme la pollution atmosphérique ou les changements climatiques avec des effets synergiques. Elles ont une influence directe sur les différents symptômes allergiques. #11 Tout ceci constitue une réelle préoccupation de santé publique qui nécessite une surveillance de cette « pollution verte ». C’est pour cela que le Réseau National de Surveillance Aérobiologique (RNSA) a été créé en 1996. Il permet l’étude du contenu de l’air en pollens et en moisissures et de croiser ces données avec des données cliniques, par exemple. En région Nord - Pas de Calais, l’APPA a intégré le RNSA depuis 2005. La surveillance des pollens Trois méthodes de surveillance des pollens sont utilisées dans la région et apportent des données complémentaires (Figure 3) : le capteur volumétrique de pollen, le pollinier sentinelle intitulé « le Jardin des Pollens ® » et un observatoire de sciences participatives intitulé « Vigie-Pollens ® ». Ces trois techniques permettent d’alimenter la campagne de prévention des allergies aux pollens en région Nord - Pas de Calais. Figure 3 : techniques de surveillance des pollens en Nord - Pas de Calais : des apports complémentaires (Source : APPA NPC). 29 30 #11 COMPTE-RENDU DE COLLOQUE 2ème Conférence du CERCLE Collectif d’Expertise Régionale sur le Climat et son Evolution 3 avril 2015 « Changement climatique et risques allergo-polliniques » Le capteur de pollens est situé sur le toit de l’hôpital Calmette du CHRU de Lille. Il fait partie des 80 capteurs gérés par le RNSA dans les plus grandes villes françaises. Celui-ci est implanté selon trois critères : la densité de population, l’implantation des espèces végétales et le climat. Une analyse microscopique du support exposé au niveau du capteur est réalisée pour déterminer la quantité et le type de pollen qui s’y est fixé. Cela permet de déterminer l’indice allergo-pollinique défini sur une échelle de 0 à 5 : 0 correspond à un risque allergique nul et 5 à un risque très élevé. Le capteur fournit des données correspondant au flux de fond pollinique. Pour la personne allergique, ces données permettront d’adapter son traitement au cours de la période pollinique. La deuxième méthodologie, le Jardin des Pollens, est un pollinier sentinelle. C’est un espace d’observation privilégié des plantes et des arbres allergisants typiques de la région (Figure 4). Figure 4 : le Jardin des Pollens® à la Ferme du Héron - Villeneuve d’Ascq. La photo de droite montre l’observation des pollens (Source : APPA NPC). #11 31 Ce pollinier a un double intérêt, à la fois scientifique Il existe également des cartes de vigilance émises et pédagogique. En effet, il permet à partir de don- en cas de risque. Ces vecteurs de communication nées d’observation de la végétation, de détecter concernent directement la santé des populations. la première et la dernière émission de ces pollens De plus des données ou des sites, comme le site allergisants. Les relevés se font de façon journalière végétation-en-ville (www.vegetation-en-ville.org), entre février et octobre. permettent d’agir directement au niveau de la Le pollinier a également un intérêt pédagogique source. En effet, l’objectif de ce site est de conseil- puisque, sur un parcours court, ces différentes es- ler sur le type de végétaux que l’on peut utiliser le pèces allergisantes permettent d’être reconnues plus idéalement possible pour ne pas avoir d’es- par les personnes allergiques. Plus d’une trentaine pèces allergisantes à proximité de chez soi. d’espèces sont réparties (19 herbacées, dont 12 graminées et 16 arbres). L’intérêt de ce pollinier est qu’il vient compléter les données du capteur et permet, pour certaines espèces, de signaler précocement l’arrivée des pollens, ce qui permettra à la personne allergique de pouvoir anticiper ses traitements pour plus d’efficacité. La dernière méthode est un observatoire citoyen des pollens allergisants intitulé « Vigie-Pollens ». Il est en phase de mise en œuvre cette année pour pouvoir être opérationnel dès 2016. Sur la base de sciences participatives, l’idée est d’organiser un réseau d’éco-volontaires pour pouvoir faire le suivi de l’émission des pollens d’arbres allergisants. Ce projet est tout à fait novateur puisque à partir de données environnementales, l’objectif est de pouvoir agir sur les impacts sur la santé. En parallèle, il permettra également d’informer le public sur la reconnaissance des différentes espèces allergisantes, le risque allergique et les moyens de prévention. L’intérêt est de pouvoir multiplier les lieux d’observation en région puisque, même au niveau régional, nous sommes soumis à une influence climatique sur le développement de la végétation (îlots de chaleur urbains, climat littoral) jouant sur les dates d’émission des pollens. L’idée est de pouvoir alerter le plus précocement possible et, pourquoi pas, de pouvoir amener un changement de comportement. Toutes ces données sont compilées dans des bulletins allergo-polliniques diffusés au niveau national mais également en Nord - Pas de Calais (le bulletin est intitulé La Météo pollinique - Figure 5). Figure 4 : les vecteurs d’information : les bulletins aéropolliniques de l’APPA (pour la Région Nord Pas de Calais) en haut à gauche, et du RNSA (pour la France) en haut à droite. En bas, une carte de vigilance pollens éditée par le RNSA (Source : APPA NPC, RNSA). 32 #11 COMPTE-RENDU DE COLLOQUE 2ème Conférence du CERCLE Collectif d’Expertise Régionale sur le Climat et son Evolution 3 avril 2015 « Changement climatique et risques allergo-polliniques » Les impacts du changement climatique sur les pollens L’observation des variations des températures montre, qu’au cours des 3 dernières décennies, les années avec des écarts de températures positifs par rapport à la moyenne sont de plus en plus fréquents et qu’à chaque décennie, les records de températures augmentent (Figure 6). Figure 6 : évolution de la température moyenne en France métropolitaine de 1900 à 2014 (Source : Météo France). La figure 7 présente l’évolution des températures en France. Le scénario du GIEC montre, sur la carte de droite, quelle sera l’évolution probable du réchauffement simulé au XXème siècle. Tout un quart sud-est de la France présentera + 4 degrés, ce qui influera sur la végétation. Figure 7 : effet simulé du réchauffement climatique en France (Source : Météo France). #11 33 Au niveau des plantes, et surtout des espèces jusque 2003 - 2004 et ensuite, malgré des variations anémophiles (celles qui dispersent leurs pollens interannuelles, une perte de cette précocité. par le vent), le démarrage de la pollinisation et le débourrement pour les feuilles sont liés à deux Les modifications des températures auraient éga- phénomènes qui se complètent l’un après l’autre lement des conséquences sur la répartition des : le chilling (exposition à des températures froides) espèces végétales. Ainsi, d’après des travaux de puis le forcing, (exposition à des températures l’INRA, la hausse de 1 degré de la température chaudes). Or, il est clair que plus les températures moyenne annuelle équivaudrait à une translation hivernales seront douces, plus le nombre de jours des espèces végétales de 200 km vers le nord ou pour atteindre ce chilling risque d’augmenter. De- une remontée d’environ 150 m d’altitude. La figure puis 2003 environ, se produit un décalage vers le 9 illustre ce phénomène pour le chêne vert qui mois de février de la période froide qui initialement pourrait dépasser dès 2050 la ligne de Bordeaux se produisait en novembre-décembre. Nous obser- Saint-Étienne et franchir la Loire avant 2100. De la vons une modification des périodes de végétation même manière, le hêtre aura disparu de nos forêts et de pollinisation avec, depuis 2003, une phase à cause, entre autre, de la sécheresse. Enfin, en d’inversion de la précocité, illustrée par la figure 8 théorie, avec un réchauffement de 3,5 degrés d’ici qui présente la période d’apparition des premières à 2050, l’olivier pourrait remonter jusqu’aux portes feuilles des marronniers de Genève. du Luxembourg. Figure 9 : répartition du chêne vert (Quercu ilex) en France, A : en 2000 ; B : en 2050 et C : en 2100, en fonction du réchauffement climatique, selon le scénario le plus pessimiste du GIEC (Source : INRA de Nancy). Figure 8 : dates d’apparition de la première feuille du marronnier de Genève depuis 1808 (Source : Météo Suisse). Ces différentes modélisations restent théoriques et ne tiennent pas compte d’un phénomène essentiel, la photopériode, cette alternance jour-nuit, Nous observons sur cette courbe une évolution de durée du jour et durée de la nuit. Les espèces la date d’apparition de la première feuille allant végétales ont une inertie beaucoup plus grande de fin mars - début avril en 1808 pour arriver en que les changements de température. Au lieu 2002 fin décembre. Depuis 2003, nous observons de le faire en quelques années, elles le feront en une remontée qui s’explique par ce phénomène quelques décennies. Cela signifie que la modifi- du décalage vers le mois de mars des périodes de cation des conditions climatiques va pouvoir in- froid. Ce phénomène s’observe également pour fluer sur la répartition des espèces mais en tenant la pollinisation du bouleau à Strasbourg. Il y avait compte d’une inertie extrêmement importante liée une tendance à une précocité de la pollinisation à la photopériode. 34 #11 COMPTE-RENDU DE COLLOQUE 2ème Conférence du CERCLE Collectif d’expertise Régionale sur le Climat et son Evolution 3 avril 2015 « Changement climatique et risques allergo-polliniques » C’est pourquoi, il y a quatre ans, l’ONERC (ObserConcernant la problématique des pollens, nous vatoire National sur les Effets du Réchauffement avons évoqué précédemment le bouleau mais Climatique), via le MEDDE (Ministère de l’Écolo- d’autres plantes telles que les graminées, l’ambroi- gie, du Développement durable et de l’Énergie), sie sont concernées. L’augmentation, que ce soit a commandité le RNSA pour réaliser une étude de la température ou de la concentration en CO2 visant à établir un indicateur santé sur le change- atmosphérique, provoque une modification de la ment climatique. Dans ce travail, le bouleau a été durée de la saison pollinique, une modification de choisi car c’est un des arbres les plus représenta- l’allergénicité du pollen (qui peut être augmentée tifs du risque allergisant sur une grande surface de ou diminuée), des quantités de pollen, etc. Fina- la France. Cinq villes avec une présence impor- lement, ces modifications aboutissent à une aug- tante du bouleau on été choisies (Amiens, Paris, mentation de l’exposition aux allergènes et de ce Strasbourg, Lyon et Montluçon) ainsi que Toulouse fait à une sensibilisation plus grande de la popu- comme ville témoin. Enfin, la période choisie allait lation. Plus nous sommes exposés, plus le nombre du 1er juillet au 30 juin afin de respecter la phéno- de personnes sensibilisées sera important et plus la logie. probabilité qu’elles deviennent un jour allergique La figure 11 présente les résultats obtenus. Nous sera importante. De plus, si certaines espèces pro- observons une évolution moyenne quasi parallèle gressent vers le nord, elles provoqueront l’appari- de la quantité de pollens produite et de l’évolution tion de nouvelles allergies. Ces différents effets sont des températures. résumés figure 10. Figure 10 : impacts du changement climatique sur les allergies aux pollens (Source : Institut National de Santé Publique du Québec, 2013). #11 35 Figure 11 : évolution de la moyenne mobile (sur 4 ans) de la quantité de pollen de bouleau produite et de la température annuelle (entre le 1er juillet et le 30 juin) pour 6 villes de France de 1989 à 2014 (Source : RNSA). Enfin, la figure 12 présente les résultats obtenus pour la ville d’Amiens, la plus proche des villes incluses dans l’étude, de la région Nord-Pas de Calais. Figure 12 : moyenne mobile (- 4ans) quantité de pollens de bouleau et T° annuelles à Amiens de 1988 à 2014 (Source : RNSA). Conclusion Pour en savoir plus, un certain nombre d’actions sont entreprises en partenariat avec l’APPA NPC et le RNSA sur le domaine de la pollinisation dans de but principal de la prévention de l’asthme et des maladies respiratoires. Ces actions passent obligatoirement par de l’information. www.appanpc.fr et www.pollens.fr