Martina Olivero. Figures de la matérialité dans la théorie du théâtre de Walter Benjamin. Entre Asja Lacis et Brecht.
Limiar, vol. 3, nº. 6, 2016.
joue, c'est au contraire précisément ce qui se passe sur scène qui compte, mais
encore plus le travail qui est accompli derrière, dans la rue et les laboratoires, pendant
les mois qui précédent la représentation. Le théâtre d'enfants prolétarien n'est pas un
théâtre pour les enfants, mais un théâtre joué par les enfants, qui se constituent en
collectif. Son public doit lui aussi être un collectif, représenté par la classe et plus
précisément par la classe ouvrière. Au centre de ce théâtre il y a le geste enfantin, que
Benjamin explique en se référant aux Écrits sur l'art5 de Konrad Fiedler à propos du
geste dans la peinture. Il s'agit ainsi d'un rapport direct entre les muscles de la faculté
réceptive, exercée par l'œil, et ceux de la disposition créatrice, qui appartient à la main.
Le théâtre d'enfants prolétaires n'est qu'une synthèse improvisée des gestes qui
accompagnent les différentes formes d'expression: de la fabrication d'objets à la
peinture, en passant par la récitation, la danse, ou encore la musique. Dans toutes ces
activités, l'improvisation détient un rôle central, car elle appelle en cause l'imprévu:
“elle est cette disposition d'où surgissent les signaux, les gestes signalisateurs”.6 Ces
gestes signalisateurs dont parle Benjamin naissent seulement dans l'espace imprévu,
qui est celui propre aux enfants, ouvert par l'improvisation. “La performance enfantine
recherche à vrai dire non pas l' "éternité" des produits, mais l' "instantané" du geste. Le
théâtre, art de l'éphémère, est l'art enfantin par excellence”.7 Pour Benjamin, c'est
seulement grâce à la dimension enfantine fournie à travers le travail expérimental et
révolutionnaire de Lacis, que le théâtre gagne son vrai sens, celui du geste réel, libre,
instantané, imprévu.
Dans la dernière section du manifeste, Schéma de la résolution, Benjamin
aborde la dernière phase du théâtre d'Asja Lacis, celle, après la formation et
l'éducation, de la représentation elle-même. Durant cette dernière, la moindre
intervention de la part des éducateurs est interdite, la représentation étant
“l'émancipation radicale du jeu que l'adulte est alors réduit à regarder”.8 Ce que la
pédagogie prolétarienne veut garantir est le développement libre de l'enfant, son
éducation de classe ne commence qu'à la puberté et devient une discipline seulement
chez l'adulte. A l'inverse de l'éducation bourgeoise qui, elle, cherche surtout à annihiler
l'enthousiasme chez les jeunes enfants lesquels, incapables d'être objets d'une
propagande politique directe, se voient d'abord adresser les idéologies formelles de
5 Fiedler K, Essais sur l'art, Besançon, les Éditions de l'Imprimeur, 2002.
6 Lacis A., op. cit., p. 55.
7 Ibidem.
8 Lacis, op. cit., p. 56.
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