Compte-rendu du Séminaire :
« Changements Climatiques : équité et solidarité internationale »
Le Réseau Action Climat France a lancé depuis février 2003 un travail important de rédaction et d’édition
d’un livret sur le thème de l’équité et de la solidarité internationale dans le domaine des changements
climatiques. Ce travail a abouti et le livret a été lancé lors d’un séminaire proposé par le RAC-F lors du
Forum Social Européen, le 14 novembre 2003.
Sont intervenus : Fabrice Flipo (Les Amis de la Terre, modérateur), Hélène Gassin (Greenpeace), Nasim
Haque (Bangladesh centre for advanced studies / Climate Action Network International / Réseau Action
Climat France), Susan George (ATTAC), Hélène Connor (HELIO International), Michel Mousel
(Association 4 D), Pierre Castella (CRID), Jacques Pinon (Eau Vive).
Le guide est en vente, vous pouvez le commander par Internet, auprès de chacune de ces associations.
Devant un public nombreux et attentif, plusieurs notions ont été abordées au cours de ce séminaire. La
question des rapports entre le Nord et le Sud, ainsi que la place et le rôle de l’Union Européenne, ont
largement dominé le débat. Les maîtres mots étaient mobilisation citoyenne, développement durable et
maîtrise de l’énergie. Mobilisation des citoyens du Nord, des populations victimes des impacts liés aux
changements climatiques, des populations locales des pays en développement. Maîtrise de l’énergie, par une
rationalisation de notre consommation d’énergie, par un recours aux énergies propres, par des transferts de
technologies et des financements internationaux cohérents et efficaces.
Les relations Nord/Sud
Le débat peut se résumer ainsi : les responsabilités liées aux changements climatiques sont au Nord, tandis
que les populations les plus fragiles et victimes de ces changements sont principalement au Sud.
Quel est alors le rapport entre pays en développement et changement climatique ?
Premièrement, si ces pays n’en portent pas la responsabilité, ils en sont les premières victimes.
Deuxièmement, ils sont dépendants du pétrole, tant comme producteurs que consommateurs. Troisièmement,
ils sont eux-mêmes émetteurs de gaz à effet de serre. Ils sont même appelés à en être les plus gros émetteurs.
Il est prévu qu’en 2050, l’Inde et la Chine deviennent les 2 plus gros émetteurs de GES.
Ces pays doivent et peuvent participer aux négociations internationales, notamment climatiques. La plupart
des pays en développement ont d’ailleurs ratifié le Protocole de Kyoto, n’en étant pourtant pas
immédiatement parties prenantes. En effet, ce protocole ne prévoit d’obligations juridiques contraignantes
qu’à l’égard des pays industrialisés. Ces derniers doivent, d’ici 2010, réduire leurs émissions de gaz à effet
de serre d’au moins 5% par rapport à leurs niveaux d’émissions de 1990. Ces engagements sont un premier
pas, mais ils sont notoirement insuffisants : pour que les réductions aient un effet réel sur l’évolution des
climats, il faudrait que les pays industrialisés divisent par 4 leurs émissions et entreprennent une
décarbonisation de leur économie. Toutefois, le rapport de force qui prévaut lors de ces grandes réunions
internationales est en défaveur des pays du Sud, notamment des pays les plus pauvres.
Ces pays en effet disposent rarement de délégations en force suffisante pour peser réellement sur les débats.
De plus, ils ne maîtrisent ni l’agenda international, ni l’ordre du jour, ni la procédure de ces grandes réunions
internationales. Ainsi, les questions du climat ont été traitées en priorité dans l’agenda international, car elles
concernent directement et en premier lieu les pays industrialisés, alors que les pays en développement sont
plus intéressés par les questions de développement et de lutte contre la pauvreté, et donc par les accords
relatifs à la biodiversité, à la désertification ou à la déforestation .
On retrouve ce déséquilibre dans le contenu même du Protocole de Kyoto, au sein des mécanismes de
flexibilité. Ces mécanismes sont au nombre de 3 : le mécanisme de développement propre (MDP), la mise en
œuvre conjointe et les permis d’émission négociables.
Dans le cas du MDP, une firme ou un gouvernement du Nord peut investir dans un projet dans un pays du
Sud, et de ce fait économiser des tonnes de carbone, qu’il peut déduire de ses propres émissions. Ce
mécanisme peut s’avérer pervers et être négatif pour l’aide publique au développement, qui implique
d’autres critères que la seule réduction des émissions. De plus, il est peu probable que les pays pauvres
bénéficient effectivement de ces mécanismes. En effet, le MDP implique des investissements étrangers et un
transfert de technologie dans ces pays. Or, du fait de leur contexte politique, économique ou
démographique, ces pays ne sont pas jugés par les investisseurs privés comme intéressants et sûrs. Enfin, le
MDP peut être considéré comme un moyen pour les pays du Nord d’acheter au Sud des réductions peu
onéreuses, en laissant les réductions onéreuses à ces pays et en poursuivant eux-mêmes leurs émissions en
interne.
La mise en place d’un marché des permis d’émissions négociables bute quant à elle sur la question de la
fixation du prix. Dès que les pays du Sud accepteront des engagements de réductions d’émissions, ils se
verront attribuer un quota de permis d’émissions. La solution la plus équitable serait que ces permis soient
distribués au prorata du nombre d’habitants. Pourtant, certains pays du Nord souhaitent les attribuer en
fonction des émissions actuelles grandfathering »), ce qui permettrait aux pays du Nord de continuer à
émettre et d’ acheter à bas prix les droits du Sud. Les sommes en jeu sont considérables, très supérieures à
l’aide publique au développement. Les négociations en cours ne semblent pas s’acheminer vers cette option.
La question essentielle qui se pose aujourd’hui entre le Nord et le Sud n’est plus une question de
responsabilité et de localisation des impacts des changements climatiques. Malgré des manifestations
diverses et des coûts humains ou financiers variables selon le pays, aujourd’hui personne n’est plus épargné
par les changements climatiques. Les pays industrialisés se doivent de montrer l’exemple. Comment interdire
à la Chine ou à l’Inde de suivre la voie de développement que nous avons suivie, comment leur demander de
réduire leur consommation d’énergie si nous ne le faisons pas nous- mêmes ? Il s’agit pour le Nord d’aider
les pays du Sud à 2 niveaux. Celui du terrain d’abord, il est essentiel de décentraliser les financements et
l’aide publique au développement, afin de répondre au mieux aux besoins et projets locaux (dans la région
du Sahel, cela concerne la maîtrise de l’eau et la conservation des sols). Au niveau politique global, il faut
s’assurer que le MDP et le marché carbone ne deviennent pas un marché de dupes, permettant au Nord de
polluer au détriment du Sud. Il s’agit de concilier environnement et développement.
Approche économique de la question climatique
La notion de développement durable apparaît centrale, comme alternative à long terme au développement
actuel. Changement climatique et développement durable ont des liens très étroits et, comme on l’a vu, il
n’existe pas de stratégie possible de lutte contre l’effet de serre sans prise en compte de l’équité.
La Convention de Rio sur les Changements Climatiques évoque rapidement la notion de développement
durable, qu’elle érige comme principe alliant développement économique et protection environnementale.
Cette notion apparaît comme le fruit d’un compromis entre le Nord et le Sud. Le non-respect de ses
obligations par le Nord explique donc très largement les difficultés de son application. Les pays du Sud
choisissent de suivre le même processus de développement que les pays du Nord, tout en ayant conscience
que ce processus peut s’avérer fatal pour notre planète. Pourquoi veulent-ils passer au 21ème en passant par le
19ème siècle, alors qu’ils pourraient sauter quelques étapes ? Ceci peut s’expliquer principalement par deux
raisons. La première est que les pays en développement ne veulent pas risquer de se lancer dans des
processus de développement qui n’ont pas encore fait leur preuve. La meilleure manière d’assurer son propre
développement est de passer par des chemins déjà éprouvés, même s’ils comportent certains risques. Ces
pays ne veulent pas essuyer les plâtres, et mettre en danger leur propre développement. Deuxièmement, ces
modes de développement permettent d’accéder à une production d’énergie, certes « sale », mais finançable et
rentable, alors que les autres modes sont plus difficiles à financer.
Nous avons encore une approche trop économiste du monde, considérant que l’économie est le grand
ensemble et que la nature en est un sous-ensemble. La nature doit répondre aux besoins de l’économie en
tant que source et réceptacle. Les mouvements alter mondialistes ont du mal à intégrer et à combiner
économie et écologie. Or, nous devons comprendre que c’est la nature qui constitue le grand ensemble et non
l’inverse. Nous ne pouvons augmenter notre biosphère. Il faut opérer ce renversement intellectuel.
« Economiquement nous vivons sur notre capital, biologiquement nous transformons notre cycle de
carbone ». Cette constatation a été faite en 1925, et elle est plus que jamais d’actualité. Il est impératif de
renverser cette tendance.
L’une des pistes de proposition est de supprimer l’accord de l’OMC sur la propriété intellectuelle qui
empêche un transfert de technologie réel et efficace. Les pays du Sud n’ont pas accès aux technologies et
énergies propres. Il faut des éco-taxes qui pourraient être redistribuées et réexaminer les politiques de toutes
les grandes institutions.
Union Européenne et question climatique
La question de la protection du climat se pose de manière particulière en Europe, compte tenu de sa
responsabilité et de ses relations historiques avec les pays du Sud. Ainsi, la question climatique a progressé
au niveau international, quand l’Europe et le G 77 (groupe des pays en développement) ont réussi à trouver
des accords et des alliances sur ce thème.
Si aujourd’hui l’Europe est le chef de file des négociations sur le climat, pendant longtemps elle a aussi été
responsable de la non progression des moyens d’action, notamment sur la mise en place d’un système fiscal
international sur les émissions des GES. Elle estime que la présence et la participation des Etats Unis aux
négociations internationales est nécessaire. Or, c’est une erreur, c’est aujourd’hui qu’il faut agir.
L’Europe est aujourd’hui un espace intéressant de dialogue et de pression, se traitent beaucoup de
questions en rapport avec le changement climatique. Or, certaines décisions prises sont contestables,
notamment dans les choix énergétiques faits (ex : l’espace nucléaire français doit être raccordé à toute
l’Europe) ou la politique des transports entreprise (la question du transport routier et du ferroutage est
essentielle). On ne peut toutefois pas ignorer certaines avancées, notamment en matière d’énergies
renouvelables, avec la décision de passer progressivement à ces énergies, afin qu’elles représentent 21% des
sources d’énergies disponibles, d’ici à 2010.
Restent au sein de l’Union Européenne, un problème institutionnel et une difficulté à définir une ligne
politique cohérente et efficace en matière de lutte contre les changements climatiques. Les réformes de la
prise de décision en cours semblent laisser les choses en l’état, laissant augurer certains ralentissements,
voire blocages avec l’élargissement de l’UE à 25 membres . Il est de plus en plus nécessaire d’impliquer le
citoyen dans les forums de discussion et la prise de décision. En ce sens, l’initiative du FSE est innovante et
nécessaire.
Maîtriser l’énergie : un enjeu vital
Posons le problème et les enjeux énergétiques : Il y a 900 millions de consommateurs d’énergie dans les pays
du Nord, alors que 2 milliards de personnes, situées dans les pays du Sud, n’ont pas accès à l’énergie. Or ces
900 millions de consommateurs mettent en péril l’écosystème global. Nous sommes face à un paradoxe : la
consommation sans frein d’énergie comme on la pratique aujourd’hui, entraîne un péril pour le climat, mais
dans le même temps, nos sociétés modernes ont un besoin constant et croissant d’énergie. De plus, les pays
les plus pauvres et leurs populations en forte croissance ont des besoins importants de développement et
d’énergie. Comment assurer l’accès à l’énergie de ces pays, en protégeant l’écosystème planétaire ?
Sobriété et efficacité énergétique sont les deux clés principales : il s’agit, d’une part, de satisfaire les besoins
de ces populations sans consommer autant d’énergie (maîtrise de l’énergie), et d’autre part de faire en sorte
que ces énergies soient les plus propres possibles (rationalisation des ressources énergétiques, recours aux
énergies renouvelables).
Non seulement nous possédons les compétences, l’expertise et le savoir-faire, mais en plus, des réseaux
d’information et de communication existent et fonctionnent déjà. Ils devraient permettre les transferts de
technologies nécessaires. Les réseaux existants d’associations, d’ONG qui travaillent sur la question
climatique doivent contribuer à ces transferts.
La question des financements internationaux est cruciale. Le présupposé de départ est que les énergies
renouvelables sont plus chères. et participent à des préoccupations énergétiques ne se trouvant que dans les
pays du Nord. Or elles peuvent ne pas l’être. C’est le cas par exemple de l’électrification rurale décentralisée
dans les pays en développement, qui offre une énergie moins chère et des infrastructures indépendantes.
Il est indispensable de réorienter les subventions publiques, qui bénéficient trop souvent aux énergies
traditionnelles centralisées. Ces subventions représentent aujourd’hui près de 250 milliards de dollars. Pour
financer des projets ayant recours aux énergies renouvelables, on aurait besoin de 350 à 500 milliards de
dollars. Cet argent existe, mais il est mal utilisé, ne répondant ni aux besoins des populations locales, ni aux
contraintes posées par la protection du climat.
Se pose encore la question du cadre institutionnel et politique, les institutions internationales préférant encore
trop souvent financer de gros projets traditionnels. Or ces projets s’avèrent souvent plus coûteux, moins
efficaces du point de vue de la maîtrise de l’énergie et de la production d’une énergie propre, et moins
adaptés aux besoins locaux.
Le 4 novembre 2003, l’Agence Internationale de l’Energie a publié un rapport évaluant les besoins
énergétiques pour les 26 prochaines années à 16 000 milliards de dollars. La demande énergétique mondiale
augmenterait ainsi de 2/3, ce qui pourrait fragiliser l’économie mondiale. L’AIE dans son rapport a encore et
toujours recours aux énergies traditionnelles, aux énergies fossiles.
Or, pour stabiliser le climat il est nécessaire de réduire notre consommation d’énergie des 2/3, et non de
l’augmenter. Les solutions existent. Les financements doivent être consacrés à des projets de qualité et à
l’élimination de la pauvreté, dans un objectif d’écodéveloppement. Des programmes d’information et
d’éducation sont nécessaires, notamment auprès des populations rurales les plus pauvres. Il s’agit
d’améliorer la consommation d’énergie et d’installer de petites unités électriques, notamment en milieu rural.
Se mobiliser et intégrer les populations locales
La population locale doit être mobilisée pour qu’elle puisse exprimer ses besoins propres et intervenir dans la
prise de décision (exemple d’un projet de construction d’une centrale charbon aux Philippines, contre lequel
les populations locales se sont mobilisées, en présentant un projet alternatif fondé sur les énergies
renouvelables). Il est possible aujourd’hui, en faisant pression sur les multinationales, les gouvernements, les
institutions internationales, d’influencer les prises de décisions et de réorienter les financements.
Il est nécessaire de développer les projets locaux de développement, ce que fait par exemple l’association
Eau Vive, qui travaille sur le terrain dans le Sahel depuis 1978, région particulièrement touchée par la
sécheresse et la désertification. Si depuis quelques années, le niveau des nappes phréatiques de la région s’est
amélioré, la pluviométrie annuelle a baissé de 20% dans le Sahel Ouest. Cette situation conduit à la famine, à
la malnutrition, notamment des enfants en bas âge, à la décimation du cheptel sahélien. Tout n’est pas
imputable à la variation climatique, les activités humaines étant également à l’origine de cette dégradation
(recherche du bois, chèvres). Eau vive travaille avec des communautés villageoises pour faire face à la
dégradation du sol ou à la sécheresse. Des pratiques nouvelles ont été mises en place, des pratiques
ancestrales ont été réhabilitées, permettant une maîtrise de l’énergie et de l’eau. Ces communautés ont pris
conscience de la nécessité de s’organiser, de protéger leur environnement et de devenir acteurs de leur propre
adaptation et développement.
La question climatique n’est pas seulement une question de Nord et Sud, c’est aussi une question de
comportements et de modes de vie. « Le pouvoir de changer est entre nos mains, tout est possible et
atteignable ». (Nasim Haque)
Un déploiement des énergies renouvelables doit s’opérer dans la plupart des pays, les citoyens doivent se
structurer et organiser leur participation aux politiques d’énergie. De telles initiatives existent déjà : ainsi le
Conseil National du Développement Durable a-t-il préconisé la mise en place en France de CUBEs (Conseils
d’Usagers des Biens Energétiques), dont les objectifs seraient d’initier des recherches pertinentes, d’informer
les populations locales et de participer à la mise en œuvre de programmes énergétiques locaux.
Est ce que ce sont les populations qui prennent les décisions ou les gouvernements qui font les décisions
pour les peuples ? Si ce sont les gouvernements alors il n’y a pas d’espoir. C’est aux peuples de se mobiliser
pour peser sur la prise de décision. Pour changer nos comportements, on se doit de savoir comment chaque
pays fait face au changement climatique. Le changement climatique est aussi un problème moral et éthique,
car chacun doit changer ses habitudes et comportements. Parler du changement climatique dans le cadre du
FSE est important, car le FSE est déjà une Union.
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous mourrons ensemble comme des
idiots » Martin Luther King
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