"La femme musulmane".
Le pouvoir des images et le danger de la pitié
Par Lila Abu-Lughod
Version originale en anglais, traduit de l'anglais par Charlotte
Nordmann. Copyright © Lila Abu-Lughod/ 1998-2007
Eurozine, www.eurozine.com. Tous droits réservés. Première
publication in Lettre Internationale (Danemark) 12 (2006)
(version en danois), copyright © Lila Abu-Lughod/Lettre
Internationale (Danemark)
Lila Abu-Lughod est professeure d’anthropologie, de
Women’s Studies et de Gender Studies à la Columbia
University à New York. Spécialiste de la situation des femmes
au Moyen-Orient, l’Égypte a été son premier terrain. Elle a
publié Remaking Women: Feminism and Modernity in the
Middle East(American University in Cairo Press) et Veiled
Sentiments: Honor and Poetry in a Bedouin Society(University
of California Press). Elle a récemment dirigé avec Ahmad H.
Sa’di Nakba: Palestine, 1948, and the Claims of
Memory(Columbia University Press).
Dans les médias occidentaux, les images de femmes voilées sont très souvent convoquées pour
figurer l’oppression qui sévirait de manière uniforme dans le monde musulman. Selon
l’anthropologue Lila Abu-Lughod, de telles images, omniprésentes, ne sont pas bénignes :
elles contribuent à nourrir la représentation d’un fossé civilisationnel entre Orient et
Occident. Niant la complexité des significations du voile comme la diversité des populations
qui le portent, ces images figent une relation à deux termes dans laquelle hommes et femmes «
libres » devraient voler au secours de femmes purement et simplement contraintes,
dépossédées de leurs droits et de leurs choix.
Quelles images avons-nous, aux États-Unis ou en Europe, des femmes musulmanes, ou des femmes
de la région connue sous le nom de Moyen-Orient ? Nos vies sont saturées d’images, et ces images
sont étrangement limitées à un nombre très restreint de figures ou de thèmes : la femme musulmane
opprimée ; la femme musulmane voilée ; la femme musulmane qui ne jouit pas des mêmes libertés
que nous ; la femme régie par sa religion ; la femme régie par ses hommes.
Ces images ont une longue histoire dans l’Occident, mais elles sont devenues particulièrement
visibles et omniprésentes depuis le 11 septembre. Beaucoup de femmes se sont mobilisées aux
États-Unis autour de la cause des femmes afghanes opprimées par les talibans fondamentalistes –
ces femmes étant représentées par les médias comme recouvertes de la tête aux pieds par leur
burqa, sans la possibilité ni d’aller à l’école ni de porter du vernis à ongles. Un gouvernement –
celui de George W. Bush – se servit ensuite de l’oppression de ces femmes musulmanes pour
légitimer moralement l’invasion militaire de l’Afghanistan1. Ces images de femmes opprimées et
1 Lila Abu-Lughod, « Do Mslim Women Need Saving? Reflections on Cultural Relativism and its Others » in
American Anthropologist, 104-3 (2002), p.783-790; Charles Hirschkind et Saba Mahmood, « Feminism, the
voilées furent utilisées pour susciter le soutien de l’intervention. Je voudrais, ici, défendre l’idée
que, outre les indicibles horreurs, les bouleversements et la violence dont ces interventions
américaines ont accablé les vies des femmes musulmanes en Afghanistan et en Irak, l’utilisation de
ces images a aussi été néfaste pour nous, dans les pays occidentaux où elles circulent, en ce qu’elles
tendent à étouffer notre capacité à apprécier la complexité et la diversité des vies des femmes
musulmanes, à les considérer comme des êtres humains.
Comme l’avait noté Edward Said dans son célèbre ouvrage, L’Orientalisme2, une étude critique
novatrice de la relation entre les études occidentales sur le Moyen-Orient et le monde musulman et
les projets plus généraux de domination et de colonisation de ces régions, l’une des caractéristiques
les plus distinctives des représentations, tant littéraires qu’universitaires, de l’« Orient » musulman
est leur nature citationnelle. Par là, il entendait que les travaux plus récents asseyaient leur autorité
en se référant à des travaux antérieurs, chacun citant les précédents en une chaîne infinie qui
s’affranchissait de tout ancrage dans l’actualité de l’Orient musulman. C’est ce que nous constatons
encore aujourd’hui dans les représentations visuelles de la femme musulmane. Cela fait maintenant
plusieurs années que je les collectionne, et certaines manifestent clairement la qualité citationnelles
des images de « la femme musulmane ». Les plus emblématiques sont celles qu’on pourrait appeler
les études en noir et blanc. On trouve, par exemple, d’énigmatiques femmes algériennes
enveloppées d’un blanc fantomatique dans les cartes postales coloniales françaises des années 1930
que Malek Alloula analyse dans son livre, The Colonial Harem3. Ce type de photographies avait
pour but, selon Alloula, de rendre les femmes algériennes accessibles, au moins symboliquement,
aux soldats et aux touristes français, ainsi qu’à ceux restés au pays. Et puis l’on trouve, à la fin des
années 1990, en couverture de journaux américains, parfois distingués, comme le New York Times
Magazine ou le Chronicle of Higher Education, des représentations de femmes similaires, aux
visages dissimulés et aux corps recouverts de pudiques vêtements musulmans blancs ou de couleur
claire. Il s’agit de femmes de Jordanie ou d’Égypte, dont la vie et la situation sont radicalement
différentes de celles des femmes de l’Algérie coloniale et de celles de nombre de femmes dans leur
propre pays. Dans le recueil de cartes postales d’Alloula, on trouve aussi des images de femmes
habillées tout en noir, de façon assez spectaculaire, leurs yeux seuls émergeant du tissu. À nouveau,
des images presque identiques apparaissent en couverture du New York Times Magazine et même
de KLM Magazine, depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, en dépit du fait que les articles
auxquels elles sont liées traitent de pays différents : l’Arabie saoudite, la Jordanie ou le Yémen.
L’uniformité de ces images est saisissante.
Pourquoi devrions-nous trouver cela troublant ? Pour ma part, la raison pour laquelle je suis gênée
par ma collection d’images médiatiques est que l’expérience de mes vingt-cinq ans de recherche
dans le Moyen-Orient, et particulièrement en Égypte, m’a appris que de telles images ne reflètent
pas la variété de style des costumes des femmes dans ces pays et ne contribuent en rien à permettre
la compréhension de ces différences. Mes propres albums de famille contiennent des photos de ma
grand-mère et de ma tante, toutes deux palestiniennes, dans l’un de ces pays – la Jordanie – : l’on y
voit ma tante en blouse et en pantalons, ses longs cheveux raides découverts, tandis que même ma
grand-mère porte juste une écharpe blanche toute simple, drapée négligemment sur les cheveux. J’y
trouve aussi une vieille photo de ma grand-mère et de ma tante avec deux de mes oncles, prise dans
les années 1950, où les hommes sont en costume et les femmes portent des robes soignées et une
coiffure élégante. Il suffit de jeter un coup d’oeil aux articles récents traitant de ces pays, comme la
Jordanie, pour trouver encore de petites photos qui nous montrent l’équipe nationale de basket
féminin en short ou la reine en train de dîner avec un groupe de femmes cosmopolites, européennes
ou jordaniennes, que l’on ne peut distinguer les unes des autres. Pourquoi ces photos ne font-elles
pas la couverture du New York Times Magazine pour représenter la Jordanie, au lieu de femmes
Taliban, and Politics of Counter-Insurgency », in Anthropological Quaterly, 75-2 (2002), p. 339-354.
2 Edward Said, L'Orientalisme, Seuil, Paris, 2005 (1978).
3 Malek Alloula, The Colonial Harem, University of Minnesota, Minneapolis, MN, 1986.
voilées ?
Qui plus est, il est curieux que, dans beaucoup d’images des médias, les femmes voilées
représentent les pays dont traitent les articles. Aucun des articles du New York Times Magazine, par
exemple, ne concernait les femmes musulmanes ou même les femmes jordaniennes ou égyptiennes.
C’est comme si les magazines et les journaux syriens ou malais mettaient des femmes en bikini ou
Madonna en couverture chaque fois qu’ils traitaient des États-Unis ou d’un pays européen.
Burqa ou costumes Chanel ?
L’uniformité de ces images de femmes voilées, ajoutée à leur omniprésence, pose plusieurs
problèmes. Premièrement, il devient difficile de penser au monde musulman sans penser aux
femmes, ce qui creuse un fossé entre « eux » et « nous » du fait de leur position ou la façon dont
sont elles sont traitées. Loin de nous permettre de réfléchir aux connexions qui existent entre les
différentes parties de notre monde, cela contribue à instaurer un fossé civilisationnel. Ensuite, ces
images brouillent notre accès à la variété des vies menées par les femmes dans les mondes
musulmans ou moyen-orientaux, qui tiennent à la fois à des différences temporelles et
géographiques, mais aussi à des différences de classe et de région. Troisièmement, elles nous
rendent aussi difficilement perceptible la complexité du port du voile lui-même. Qu’on me laisse
m’attarder un peu sur ce troisième point. Il est communément admis que la manifestation la plus
flagrante de l’oppression des femmes afghanes sous les-talibans-et-les-terroristes réside dans la
contrainte qui leur était faite de porter la burqa. Les libéraux confessent parfois leur surprise devant
le fait que, bien que l’Afghanistan ait été libéré des talibans, les femmes ne se débarrassent pas de
leurs burqas. Pour quelqu’un comme moi, qui ai travaillé dans des régions musulmanes, cela n’a
rien de surprenant : nous attendions-nous vraiment à ce qu’une fois « libérées » des talibans, elles «
retournent » à leurs t-shirts moulants et à leurs jeans ou qu’elles dépoussièrent leurs costumes
Chanel ?
Il faut rappeler quelques faits fondamentaux à propos du voile. Tout d’abord, ce ne sont pas les
talibans qui ont inventé la burqa en Afghanistan. Elle était la tenue de sortie des femmes pachtounes
d’une certaine région. Les Pachtounes sont un groupe ethnique parmi d’autres en Afghanistan et la
burqa, s’est développée en même temps que d’autres manières de se couvrir pour symboliser la
pudeur ou la respectabilité des femmes dans le sous-continent et dans l’Asie du Sud-Est. Tout
comme ces autres manières de se couvrir, la burqa a, dans de nombreux contextes, servi à
matérialiser la séparation symbolique des sphères féminine et masculine et à accentuer le lien des
femmes avec la maison et le foyer plutôt qu’avec les espaces publics où se mêlent les étrangers.
Réclusion portable
Il y a de cela une vingtaine d’années, l’anthropologue Hanna Papanek, qui travaillait au Pakistan,
décrivit la burqa comme une « réclusion portable4 ». Elle faisait remarquer que, pour beaucoup, il
s’agissait d’une invention libératrice, car elle permettait aux femmes de sortir des espaces séparés
où elles étaient confinées tout en respectant l’exigence morale fondamentale de séparation et de
protection des femmes vis-à-vis des hommes à qui elles n’étaient pas liées. Depuis que j’ai
rencontré cette formule de « réclusion portable », ces robes me sont apparues comme des « maisons
mobiles ». Partout, une telle façon de se voiler signifie l’appartenance à une communauté
particulière et la participation à une éthique de vie dans laquelle la famille est d’une importance
primordiale pour l’organisation de la communauté et où le foyer est associé au caractère sacré des
femmes.
4 Hanna Papanek, « Purdah in Pakistan : Seclusion and Modern Occupations for Women », in Separate Worlds Hanna
Papanek et Gail Minault (dir.), South Asia Books, Columbus, OH, 1982, p. 190-216.
D’où, évidemment, la question : si tel est le cas, pourquoi les femmes deviendraient-elles
subitement impudiques ? Pourquoi se débarrasseraient-elles soudain des marques de leur
respectabilité, puisque ces marques, qu’il s’agisse de la burqaou d’autres manières de se couvrir,
sont censées les protéger, dans la sphère publique, contre le harcèlement d’hommes inconnus en
signifiant symboliquement qu’elles sont encore dans l’espace inviolable de leur maison ? D’autant
que cette manière de s’habiller est devenue tellement habituelle que la plupart des femmes ne
pensent quasiment plus à leur signification.
On peut faire quelques analogies, quoiqu’aucune ne soit parfaite : pourquoi sommes-nous surpris
que les femmes afghanes ne mettent pas leurs burqas au rebut alors que nous savons très bien qu’il
ne serait pas convenable de porter un short à l’opéra ? Les croyances religieuses et les normes de la
communauté exigent que les cheveux soient couverts dans certaines traditions, musulmane, juive et,
jusqu’à récemment, catholique. Les gens portent les vêtements qui correspondent à ce qui est estimé
convenable par leur communauté, et sont en cela guidés par les normes sociales communes, par
leurs croyances religieuses et leurs principes éthiques, à moins qu’ils ne les transgressent
délibérément pour affirmer quelque chose ou qu’ils n’aient pas les moyens de les respecter. Si nous
pensons que les femmes américaines, même celles qui ne sont pas croyantes, se déterminent selon
des choix libres en matière d’habillement, il suffit de nous rappeler l’expression de « tyrannie de la
mode ».
Ce qui s’est passé en Afghanistan sous les talibans, c’est qu’un type régional de voile ou de façon
de se couvrir, associé à une certaine classe respectable qui ne constituait cependant pas une élite, a
été imposé à tous comme étant convenable du point de vue de la « religion », alors qu’il y avait
auparavant de nombreux styles différents, populaires ou traditionnels, associés à différents groupes
ou classes, différentes manières de signaler la respectabilité des femmes ou, dans les époques plus
récentes, la piété religieuse. Bien que je ne sois pas une experte concernant l’Afghanistan, j’imagine
que la majorité des femmes qui vivaient encore en Afghanistan au moment où les talibans en prirent
le contrôle étaient de milieux ruraux, peu éduquées, ou du moins issues de familles n’appartenant
pas à l’élite, étant donné qu’elles n’avaient pu émigrer pour échapper aux épreuves et à la violence
qui ont marqué l’histoire récente de l’Afghanistan. Si elles étaient libérées de l’imposition du port
de la burqa, la plupart de ces femmes choisiraient quelque autre façon de se couvrir la tête, comme
toutes celles qui vivent dans les pays à proximité et qui n’ont pas subi la domination des talibans,
comme les paysannes hindoues du nord de l’Inde (qui couvrent leur tête et voilent leur visage
devant leurs parents par alliance) ou comme leurs soeurs musulmanes au Pakistan. Là, certaines
portent des foulards légers, d’autres les formes nouvelles de « vêtements modestes islamiques ».
À propos du voile, je souhaite mettre ici l’accent sur un point crucial. Non seulement il y a de
nombreuses manières de se couvrir, dont chacune a une signification particulière dans la
communauté où elle a cours, mais le fait en soi d’être voilée ne doit en aucune manière être assimilé
à une absence de puissance d’agir ni en être constitué en symbole. Comme je l’ai soutenu dans
Veiled Sentiments, mon étude ethnographique d’une communauté bédouine dans l’Égypte de la fin
des années 1970 et 1980, ramener le voile noir devant son visage devant les hommes plus âgés et
respectés est considéré comme un acte volontaire de la part de femmes qui sont profondément
attachées à leur moralité et dont le sens de l’honneur est lié à la famille. Couvrir leur visage dans
certaines situations est l’une des façons dont elles manifestent leur respect d’elles-mêmes et leur
statut social. Et ce sont elles qui décident pour qui elles estiment qu’il est approprié de se voiler.
Elles ne se voilent pas pour les hommes plus jeunes, ni pour les étrangers. Elles ne se voilent pas
pour les hommes égyptiens qui ne sont pas bédouins parce qu’elles ne les respectent pas, en bref
parce qu’elles ne considèrent pas que ces deux dernières catégories d’hommes fassent partie de leur
communauté morale.
Pour prendre un cas très différent, le « vêtement modeste islamique » que nombre de femmes
éduquées du monde musulman ont commencé à porter depuis la fin des années 1970 est maintenant
un symbole public de piété et peut être interprété comme un signe de raffinement propre aux
milieux urbains éduqués, comme l’expression d’une forme de modernité. Ce dont beaucoup de gens
en Occident ne s’aperçoivent pas, c’est que les femmes égyptiennes qui ont adopté cette nouvelle
façon de se voiler, et parfois même de se couvrir le visage, étaient des étudiantes et, en particulier,
des femmes qui suivaient une formation pour devenir médecins ou ingénieurs. Je me souviens très
bien que la seule fille qui soit allée au lycée dans la famille bédouine d’élite, mais rurale, avec
laquelle j’ai vécu dans les années 1980, était aussi celle qui voulait désespérément porter cette
nouvelle forme de voile. Elle souhaitait épouser un homme éduqué, afin de pouvoir exprimer son
savoir et ses valeurs modernes nouvellement acquis. Elle fut ravie lorsque son père arrangea son
mariage avec un ingénieur et qu’elle déménagea pour la cité provinciale de Marsa Matruh. Lorsque
je la revis après son mariage, elle portait effectivement cette nouvelle forme de hidjab ou de
foulard, et non plus le foulard traditionnel des femmes mariées chez les Bédouins, dans sa
communauté.
Dans une étude importante sur les femmes engagées dans le mouvement des mosquées en Égypte –
dans lesquelles, à partir des années 1970, les femmes sont allées s’instruire de leur religion et suivre
des leçons souvent dispensées par des femmes prêtres qui insistaient sur le fait d’y avoir leur place
–, l’anthropologue Saba Mahmood a montré que cette nouvelle forme de vêtement est perçue par
beaucoup de femmes qui l’adoptent comme une manière corporelle de cultiver leur vertu5. Elles en
parlent comme d’un choix provenant de leur désir ou, plus exactement, de leur lutte pour être
proches de Dieu. Dans un examen plus approfondi des conceptions différentes que nous pouvons
avoir de la religion et de la contrainte, je discuterai plus loin des thèses du livre de Mahmood,
Politics of Piety. Pour le moment, je veux simplement remarquer que Saba Mahmood refuse de
fournir des raisons fonctionnelles à la question de savoir pourquoi, dans les années 1980, dans tout
le monde musulman, les femmes ont commencé à adopter cette forme moderne de « vêtement
modeste islamique », à couvrir leurs cheveux et à porter de longues robes, alors que depuis les
années 1930 de plus en plus de femmes rejoignaient des organisations féministes et se mettaient à
porter des vêtements occidentaux. Certaines de ces explications fonctionnalistes avancent, par
exemple, que ces femmes manifestent, par un retour à une culture authentique, leur protestation
contre l’Occident, ou alors qu’elles effectuent une régression dans le temps pour se protéger contre
les assauts de la modernité, ou encore qu’elles inventent des moyens pour se déplacer à l’extérieur
plus confortablement, être plus à l’aise lorsqu’elles travaillent dans les bureaux avec des hommes
ou lorsqu’elles prennent le bus, afin de ne pas être importunées. Au lieu de cela, Saba Mahmood
nous enjoint à écouter les explications que donnent ces femmes dans leurs propres termes : ce qui se
formule est qu’elles veulent être proches de Dieu, qu’elles veulent être de bonnes musulmanes.
Elles le font aujourd’hui en se voilant et en s’instruisant de leur religion, qu’il s’agisse d’apprendre
à prier comme il faut ou à être une personne respectable.
Deux choses ressortent de cet aperçu de quelques-unes des nombreuses significations que prend le
voile dans le monde musulman contemporain. Premièrement, nous devons résister à l’interprétation
réductrice qui fait du voile le signe par excellence de l’absence de liberté des femmes. Quel sens
donner au mot liberté, dès lors que nous savons que les hommes sont des êtres sociaux, c’est-à-dire
toujours élevés dans un certain contexte historique et social, au sein de communautés particulières
qui façonnent leurs désirs et leur compréhension du monde ? Dénoncer la burqa comme une
servitude médiévale ou patriarcale ne revient-il pas à faire preuve d’un mépris grossier envers la
compréhension que ces femmes ont de ce qu’elles font ? Deuxièmement, nous ne devrions pas
réduire la diversité des situations et des attitudes de millions de femmes musulmanes à un unique
vêtement. Peut-être est-il temps d’en finir avec l’obsession de l’Occident pour le voile, blanc ou
noir, peut-être est-il temps de se concentrer sur d’autres questions importantes qui devraient
préoccuper les féministes et tous ceux et celles qui s’inquiètent de la condition des femmes.
5 Saba Mahmood, Politics of Pietry, Princeton University Press, Princeton, NJ, 2005.
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !