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1. Introduction générale
Les plantations industrielles d’arbres1 – qui couvrent aujourd’hui une surface globale équivalente à
la Bolivie, soit plus de 110 millions d’ha – sont à l’origine d’un nombre croissant de conflits entre
populations locales et planteurs commerciaux ou Etats (WRM, 2003a). D’un côté, les partisans des
plantations industrielles d’arbres pensent que ces dernières présentent tout un éventail de vertus,
comme celles de recréer des forêts, mitiger l’effet de serre, contrer la déforestation, fournir du
biocarburant « vert », créer des emplois, etc. De l’autre côté, de nombreuses populations locales
prétendent subir les impacts de ces mêmes plantations et contestent leur bien-fondé en y opposant
souvent une « gestion traditionnelle de la forêt » (ou de tout autre écosystème que les plantations
remplacent).
On peut s’étonner que ces conflits n’aient bénéficié que de peu d’attention de la part des chercheurs
(voir Carrere & Lohmann, 1996 ; Gerber, 2006), et ce, malgré le fait qu’ils touchent directement à
des questions politiquement et médiatiquement très en vogue, comme la déforestation, la gestion
communautaire de la forêt ou les puits de carbone. Dans le but de mieux saisir les enjeux
localement, j’ai donc mené une première enquête de terrain autour d’une plantation camerounaise
d’hévéas (région de Kribi, Province du Sud) dont le présent mémoire constitue le compte-rendu
critique. Cette étude de cas oppose HEVECAM, l’une des plus grandes plantations du pays, à des
populations forestières voisines qui appartiennent au groupe ethnique des Bulu et qui pratiquent une
agriculture itinérante relativement traditionnelle. Il ne s’agit donc pas d’une étude sur le passage de
paysans vers le salariat de plantations, ni d’une étude sur les résistances ouvrières à l’intérieur des
plantations – ces thèmes ayant déjà fait l’objet de plusieurs recherches (voir Barbier et al., 1980 ;
Agier et al., 1987 ; Konings, 1993a ; 1993b) –, mais d’une recherche sur les résistances de paysans
riverains d’une plantation.
D’un point de vue théorique, je vais focaliser sur les différentes logiques institutionnelles de gestion
des ressources naturelles2 des acteurs en conflit, car ces divergences de logiques me semblent être à
1 Une plantation industrielle (ou commerciale) d’arbres est définie comme une surface plantée d’une (ou de quelques)
espèce(s) d’arbre(s), généralement exotique(s), par classes d’âge identiques et espacement régulier, pour la production
intensive de bois, de produits non ligneux (huile de palme, latex, etc.) ou de services environnementaux (« puits à
carbone »).
2 Par « logique institutionnelle de gestion des ressources naturelles », j’entends la rationalité d’un régime institutionnel
– i.e. un système de conventions, normes et lois (Vatn, 2005) – créé par une société donnée pour guider ses activités