<TITRE> Claude Grignon
<TEXTE> Sociologue, directeur de recherches à l’INRA,
Claude Grignon a tout au long de sa carrière contribué à
affirmer la valeur scientifique de la sociologie des goûts et
de l’alimentation : au plan théorique par la publication
d’ouvrages de référence, au plan empirique par sa
participation à l’élaboration et par l’utilisation d’enquêtes
quantitatives, au plan académique par la création en 1986
de la revue internationale et interdisciplinaire Food and
Foodways, consacrée à l’histoire et à la culture de
l’alimentation, et en 1990 du CORELA, laboratoire
spécialisé dans l’analyse des consommations alimentaires.
en 1936, Claude Grignon a débuté sa carrière
professionnelle comme professeur d’enseignement général
dans un collège d’enseignement technique, après avoir été
collé au concours d’entrée de l’ENS. « Cet échec me forçait
à gagner ma vie (…). Cette solution me semblait aller de
soi ; je me voyais moins que jamais exercer d’autre
profession que l’enseignement » (Grignon 2002a, p. 192). Il
reprend parallèlement ses études de philosophie et en 1964
entre au Centre de Sociologie Européenne, animé par Pierre
Bourdieu, bien qu’officiellement dirigé par Raymond Aron.
L’année suivante, il passe avec succès le concours de
l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA),
institution dans laquelle il mènera toute sa carrière
professionnelle. Il y rencontre sa future épouse, Christiane
Présenté, dont le nom est indissociable, entre autres, des
principaux travaux de Claude Grignon sur l’alimentation. A
l’INRA, il poursuit ses recherches sur l’enseignement
technique (Grignon 1971) tout en abordant une variété de
thèmes tels que les relations entre religion et politique, la
diffusion de l’innovation, la reproduction dans la
paysannerie, les pratiques alimentaires, la critique sociale
(Grignon 2000a). L’ensemble de ces travaux s’organise
néanmoins autour d’un thème central, celui de la hiérarchie
sociale entre les cultures. C’est ainsi qu’il faut comprendre
les travaux de Claude Grignon sur l’alimentation dans un
cheminement épistémologique s’intéressant aux rapports
entre culture dominante et culture populaire.
<IT1> Les cultures populaires
L’étude des consommations et des habitudes alimentaires se
comprend au regard des travaux antérieurs de Claude
Grignon sur l’enseignement technique, qui le conduisent à
s’interroger sur l’autonomie des cultures populaires. A
propos de l’enquête menée auprès des élèves des collèges
d’enseignement technique (CET) de l’Académie d’Orléans,
il raconte ainsi : « Les faits que je constatais se prêtaient à
deux interprétations contradictoires : on pouvait aussi bien
se pencher du coté de la théorie, pour laquelle les pratiques
se réduisaient aux perturbations d’un modèle établi à partir
de la culture (en fait une sous culture) des classes
dominantes, que du côté de l’enquête, qui voulait y voir les
manifestations et les éléments d’une culture autonome »
(Grignon 2002a, p. 201). Ce questionnement se renforce
lorsqu’il aborde l’étude des consommations et des
habitudes alimentaires, sous l’angle de la sociologie des
goûts [voir infra]. La question des cultures populaires fera
également l’objet d’un séminaire organisé à l’Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) avec Jean-
Claude Passeron en 1982 qui débouchera sur Le savant et le
populaire, misérabilisme et populisme en sociologie et
littérature (1989). Dans cet ouvrage, ils développent l’idée
que les cultures dominées (les cultures populaires mais
aussi les cultures pratiques) ne peuvent, dans la perspective
de la théorie de la légitimité culturelle, être définies qu’en
termes d’hétéronomie par rapport aux cultures dominantes,
et décrites que de manière négative, en termes de manques
et de distance ; toute différence étant nécessairement réduite
à une inégalité. En s’intéressant aux pratiques et aux
groupes qui sont étrangers à la culture dont elle est elle-
même l’indigène, la sociologie de la culture s’expose ainsi à
des dérives et à des régressions dont la principale est sans
doute l’ethnocentrisme (voir aussi sur le misérabilisme en
littérature Grignon 1986b). Pour Grignon et Passeron, ces
dérives ne peuvent être évitées qu’en suivant une stratégie
pratique et raisonnée d’articulation entre les deux modes
complémentaires qu’appellent la description et
l’interprétation des cultures populaires. La traduction de
l’autobiographie sociologique de Richard Hoggart (1991),
dans laquelle le sociologue britannique évoque son enfance
dans un quartier ouvrier du Leeds des années 20 apporte
une nouvelle pierre à l’édifice de Grignon cherchant à
démontrer que les groupes les plus dominés ont encore une
culture et qu'en même temps il n'est pas de culture
populaire, si repliée sur elle-même et si protégée soit-elle,
qui ne soit habitée par la domination qui s'exerce sur elle.
Ces publications interviennent au moment où certains
chercheurs en anthropologie remettent en cause
l’ethnocentrisme de cette discipline, en particulier son
« Grand partage » entre sociologie des « civilisés » et
anthropologie des « primitifs ». Cette remise en cause est
relayée en France par une critique analogue de
l’ethnocentrisme au cœur de la sociologie des cultures
populaires (Weber 2000).
Cette posture conduit Claude Grignon à se démarquer d’un
certain nombre de recherches en sociologie et en histoire,
dont les auteurs, selon lui, refusent l’autonomie symbolique
aux cultures dominées (voir son entretien dans Collovald,
Pudal & Sawicki 1991). Les travaux de Pierre Bourdieu et
ceux, beaucoup plus anciens, de Maurice Halbwachs,
participent, dans cette perspective, d’une sociologie
légitimiste des goûts. Parmi les points de désaccord avec le
sociologue Pierre Bourdieu, nous retiendrons celui portant
sur la notion de « style de vie ». Pour Claude Grignon,
distinguer comme le fait Pierre Bourdieu (1979), le « style
de vie pour soi » des classes cultivées du « style de vie en
soi » des classes dominantes revient à une « certitude
dominocentrique » qui conduit à réserver la capacité d’avoir
du style aux indigènes de la culture légitime. Grignon et
Passeron font une critique analogue de la thèse de Maurice
Halbwachs La classe ouvrière et les niveaux de vie (1912),
en réfutant notamment la double correspondance établie par
Halbwachs entre les classes populaires, les besoins
élémentaires, les consommations et les goûts les plus
communs d’une part, et les classes dominantes, les besoins
les moins matériels, les biens les plus rares et les goûts les
plus épurés d’autre part. Selon Grignon, Halbwachs « met
au jour un présupposé implicite de la sociologie légitimiste
des goûts : l’ordre symbolique (hiérarchie des goûts) ne
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