Consortium d’Animation sur la Persévérance et la Réussite en Enseignement Supérieur CAPRES Colloque sur la réussite étudiante en enseignement supérieur (20 et 21 mai 2003) Entrevue menée par Martin Toulgoat Diplômé du baccalauréat en communication de l'université du Québec à Montréal _________________________________________________________________________________ Claude Grignon, Observatoire de la Vie Étudiante à Paris «L’étudiant moyen n’existe pas» Pour le président du comité scientifique de l’Observatoire de la Vie Étudiante (OVE), Claude Grignon, même si comme au Québec l’enseignement supérieur s’est énormément démocratisé au cours des quarante dernières années, en France, l’accès aux grandes écoles demeure encore réalité que pour une minorité. L’étudiant moyen, un simple mythe. Martin Toulgoat 11h30. Dans le hall d’entrée de l’Hôtel Rimouski, Claude Grignon surprend par son calme. À peine une heure avant sa présentation dans le cadre du Colloque sur la réussite étudiante en enseignement supérieur, tenu au mois de mai dernier, le conférencier invité par le Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite étudiante en enseignement supérieur (Capres) reste détendu, aucunement préoccupé par son allocution prévue pour l’après-midi. Il prend même les devants, se permettant d’engager l’entretien. «L’un des problèmes est que l’on s’intéresse beaucoup aux études supérieures mais bien peu à ses usagers», déplore-t-il d’entrée de jeu. Créé par le ministère de l’Éducation français en 1992, l’OVE tente de combler cette lacune. Son mandat est d’analyser les résultats d’enquêtes postales, envoyés aux trois ans, à près de 80 000 étudiants français, questionnés à propos des conditions de vie et de réussite dans lesquelles ils se retrouvent lors de leurs études universitaires. Environ 25 000 enquêtés retournent le questionnaire. Même s’il doit sa naissance au gouvernement français, l’OVE demeure une instance autonome qui ne doit de compte à aucune organisation politique, qu’elle soit gouvernementale ou étudiante. «Nous ne faisons pas de recommandations, mais nous diagnostiquons, précise le sociologue. Même si on sert d’expertise pour le gouvernement, nous ne donnons pas de directives thérapeutiques. C’est au ministère de décider.» L’OVE regroupe en son sein deux organismes, soit le Conseil de l’Observatoire composé de représentants du ministère de l’Éducation, d’universités et de syndicats étudiants, ainsi que le Comité scientifique, qui réunit statisticiens et sociologues œuvrant pour leur part selon une logique scientifique et non politique. «Je pense que la seule sociologie scientifique qui vaille la peine d’être faite doit donner la plus grande importance aux tests empiriques. Le contact avec la réalité sociale est une contrainte indispensable à laquelle la sociologie doit se soumettre pour ne pas être de la mauvaise philosophie.» Mais comme l’impact discutable qu’ont pu avoir certaines commissions parlementaires canadiennes au cours des dernières années, laissant souvent de glace le gouvernement fédéral, les constatations de l’OVE sont-elles vraiment reconnues par ses pères? «Notre grande légitimité est due au fait que la condition de vie des étudiants est devenue un terme porteur auquel on ne s’intéressait pas avant, précise-t-il. Aussi, nous intervenons indirectement dans le débat public en l’éclairant, et en empêchant autant chez les syndicats étudiants qu’au ministère de l’Éducation, que soient invoqués des arguments fallacieux.» Le mythique étudiant moyen Depuis 1992, l’OVE a entre autres constaté que même si la démocratisation du système universitaire français a permis à un plus grand nombre de joindre les rangs post-secondaires, il n’en demeure pas moins que les niveaux de l’enseignement supérieur sont restés hiérarchiques. «Je crois qu’il faut réduire encore davantage les inégalités sociales en milieu universitaire, parce qu’il n’y a pas de raisons qu’un enfant né dans une classe populaire ait moins de chance de faire des études dans de grandes écoles qu’un enfant qui a grandi au sein d’une classe dominante.» En France, le baccalauréat professionnel mène automatiquement sur le marché du travail et son détenteur ne peut accéder à des études supérieures. Quant au baccalauréat technologique, il peut mener à un niveau supérieur. Le recrutement au sein des grandes écoles reste toutefois socialement sélectif. «Pour une institution, la question est de savoir si elle veut être sélective sur les antécédents scolaires et les capacités scolaires ou sur les origines sociales d’un étudiant parce que c’est ça le problème, si vous êtes titulaire d’un baccalauréat bien coté, vous pourrez choisir le type d’études que vous voudrez entreprendre. Inversement, si vous avez un baccalauréat technologique, vous ne pourrez pas faire d’études en médecine ou une classe de préparation aux grandes écoles.» Ratisser plus large Selon les enquêtes réalisées par l’OVE, obtenir un «bon» baccalauréat dépend énormément des repères familiaux auxquelles peut se référer un étudiant. «Les chances d’adhérer à un baccalauréat reconnu et d’y connaître du succès dépend autant des ressources financières de la famille que de ses ressources culturelles, c’est-à-dire la distance que cette dernière entretient avec le système d’enseignement.» Selon Claude Grignon, cet élitisme peut entraîner à long terme des effets pervers sur le développement sociétal, tenant compte du taux de natalité peu élevé qui frappe les pays occidentaux. «On a intérêt à ratisser large parce que dans des quartiers défavorisés, il y a aussi des enfants qui pourraient faire de très bons physiciens et mathématiciens. C’est l’une des raisons pour laquelle il faut corriger les inégalités sociales et actuellement en France, ça ne se fait pas du tout.» Il n’en demeure pas moins qu’une démocratisation accrue de l’enseignement supérieur peut entraîner chez certains bacheliers une dévalorisation de leur diplôme. «Si vous sortez en France d’une école qui est restée très sélective, le diplôme gardera sa valeur, mais par exemple, pour une licence de sociologie, le fait que l’on ait accru ses détenteurs le dévalorise.» Au Québec, le Conseil supérieur de l’éducation rejoint sur plusieurs points le mandat que s’est donné l’OVE. Une telle organisation pourrait-elle tout de même gagner des gallons en sol québécois? «Malgré qu’il y ait des différences entre les systèmes d’enseignement supérieur français et québécois, il reste qu’il y a des invariants. Les fonctions sociales que remplit l’enseignement supérieur demeurent similaires dans la plupart des sociétés industrialisées et développées», conclut Claude Grignon, conscient des mérites du processus d’investigation que tient l’Observatoire parisien. -30-