Les religions enrichissent-elles nos identitéés culturelles

ANNECY
20èmes JOURNEES FRANCOIS DE SALES
Intervention de M. Alexis Jenni, agrégé de biologie et écrivain, prix
Goncourt 2011 avec son roman : Art Français de la guerre.
Thème : les religions enrichissent-elles nos identités culturelles ?
A cette question, la réponse spontanée est évidemment ! Mais c’est un
peu court. La deuxième réaction est de se demander que veut dire enrichir
et identité ?
J’ai un rapport un peu compliqué avec la notion d’identité. finir son
identité est très difficile. L’identité on la sent mais on ne sait pas ce que
c’est, on ne peut pas la définir. L’identité ce n’est pas quelque chose que
j’ai, mais quelque chose qui se construit. Elle se construit en partie à mon
insu mais qui est en évolution permanente avec des éléments qui viennent
de partout, qui sont hérités, qui viennent de rencontres ou de soi-me.
Mon identité est un processus très complexe que je ne maîtrise pas très
bien. Qu’en est-il des religions ? Les religions n’enrichissent pas les
identités mais participent à leur construction.
Je vais vous parler de mon expérience. Qu’en est-il des religions dans la
construction de mon identité ? Il s’est trouvé que dans un processus
familial un peu complexe, il y a eu une interruption violente de la
transmission. Je suis issu d’une famille catholique où rien n’a été transmis.
Baptisé pour faire plaisir à mes grands-parents, je n’ai pas suivi le
catéchisme. Le christianisme, j’y suis revenu à l’âge adulte par moi-
même. Dans ma vie, je me suis toujours intéressé au spirituel et au
religieux. Mon identité a été construite à partir de plusieurs religions. J’ai
été formé par le bouddhisme par le biais d’une pratique. Pratiquant les
arts martiaux, j’ai eu une pratique de méditation qui était liée à ces arts
martiaux. La perception de soi, de son corps, de sa présence et de l’autre
est essentielle dans ce sport. Je me suis intéressé au bouddhisme zen
essentiellement et j’ai saisi quelque chose de très profond sur la notion de
vide qui est essentiel dans le bouddhisme. Ce vide qui n’est pas rien, il est
l’effacement des objets particuliers et l’accès à une réalité essentielle. Je
l’ai découvert par une pratique et elle a fondé une part de mon identité.
C’est quelque chose qui est lointain et qui vient d’ailleurs mais qui m’a
créé. Ensuite l’islam m’a formé par le biais, au départ, d’une esthétique.
Quand on est français au XXème siècle, on parle d’islam. J’ai été
profondément marqué par la musique et la poésie issues des cultures
islamiques et au-delà de ça, l’islam m’a ouvert à quelque chose que je
n’avais jamais saisi dans ma culture traditionnelle chrétienne. Cela m’a
ouvert à Dieu et à la présence de Dieu. Cela peut paraître étrange, mais
parfois, quand on est dans sa culture de naissance, il y a des choses qu’on
ne voit pas, que l’on ne voit plus, voire, quand on a grandi dans les
années 60/70 que l’on rejette. Et puis, par le bonheur de la rencontre de
l’autre et des autres on se met brusquement à voir quelque chose que l’on
n’aurait jamais vu chez soi, et l’islam m’a permis de saisir quelque chose
de Dieu, mais pas par la grandeur de Dieu. Ensuite le christianisme m’a
formé également, d’abord sans que je le sache en grandissant simplement
dans cette culture. Puis à l’âge adulte en l’acceptant, en me rendant
compte que ce qui me touchait dans les religions des autres, ce
bouddhisme, cet islam que j’avais approchés étaient là présents ici autour
de moi avec des gens que je pouvais comprendre et qui pouvaient m’être
proches sous une forme qui me convenait pleinement. Le détour par
l’autre m’a permis de revenir à ce qui était traditionnellement ma culture
et je pense que cela a été fondamental dans mon trajet. Passer par ces
autres biais m’a permis de me soulager d’un sentiment de vieillerie, de
lourdeur, de poussière et de raideur que pouvait avoir le christianisme que
j’ai pu connaître dans mon enfance. J’ai pu ainsi, à l’âge adulte accéder à
quelque chose d’ouvert et de joyeux. Mais si les religions contribuent à la
construction de l’identité, pourquoi ? Est-ce qu’il y en a besoin ? Je pense
foncièrement qu’il y a des choses dans la vie que nous vivons qui ne
peuvent ni être pensées, ni être vécues, ni être conçues en dehors du
religieux. Le religieux est une part de la vie humaine qui ne peut pas être
pris en charge par autre chose. C'est-à-dire que tout ce qui est de l’ordre
de l’esprit, de la présence et du lien humain que l’on a avec les autres tout
ceci nécessite le religieux, ou, réciproquement, si le religieux n’est pas là
ou nié, il y a toute une part de l’homme (l’esprit, les rapports entre les
hommes) qui ne peut pas vraiment être pensée, conçue et vécue. C’est
pour cette raison que j’émets quelques doutes quant à la possibilité d’une
spiritualité laïque puisqu’on en parle, sachant que l’absence de cette
dimension religieuse et spirituelle fait qu’il y a un pan de la vie qui ne peut
être vécu ce qui n’empêche pas que ce courage de la certitude est la
chose la plus importante du monde dans notre vie sociale. Je ne fais pas
le lien entre spiritualité et vérité mais tout ce qui est de l’ordre de la
présence de l’esprit ne peut être que pensé et vécu que dans le cadre du
religieux.
Qu’en est-il après les violences extrêmes vécues récemment ? Car ce que
je viens de dire est extrêmement positif quant aux religions. En effet des
violences ont été commises et alors ! L’humanité a une histoire qui est
sans arrêt ponctuée par de telles violences. Sont-elles liées au religieux ?
C’est très difficile de prendre position dans le contexte actuel. Je pense
que ces violences ne sont pas générées par le religieux. Dans ce domaine
, la religion est explicitement présente mais elle fait partie de quelque
chose de beaucoup plus grand. Il me semble, qu’aller chercher au
tréfonds d’une religion, le petit morceau de texte qui va dire dans telle
religion que la violence est obligatoire et va arriver me paraît être une
impasse intellectuelle et pratique. Une comparaison : Ce serait comme si
on se posait la question de savoir qu’est-ce qu’il y a de monstrueux dans
la langue allemande qui permettrait d’écrire Mein Kampf ! La question est
mal posée et ne mène à rien. Je ne pense pas qu’il y ait des religions de
paix ou de guerre. Les religions font partie d’un vaste ensemble. Il suffit
de regarder quelques siècles d’histoire sur toute la planète pour se rendre
compte que les religions sont capables de tout, du pire et du meilleur
comme les sociétés. Après, on fait des comparaisons qui me paraissent
parfois un peu absurde, puisqu’on parle de l’islam par exemple, on
compare un christianisme de dominicain extrêmement subtil et
bienveillant avec de l’islam de banlieue. Changeons les comparaisons,
comparons l’islam d’un maître soufi avec le christianisme d’un évangéliste
agressif. Les perspectives seraient changées. Dans ce moment de grande
tension, de grande violence, de grande douleur, j’ai bien peur que l’on se
crispe et que l’on dise un peu n’importe quoi. Il y a des violences,
défendons nous ! Cela ne change pas grand-chose à ma vision du
religieux. Si l’on reprend l’idée de l’identité, le fait que des hommes se
réclament de l’islam pour exercer des violences, cela ne change rien au
fait que je suis très reconnaissant à l’islam de m’avoir ouvert à Dieu et
que l’islam fait partie de ma culture. Ceci parce que je suis un français
au XXème siècle et qu’en France au XXème siècle l’islam fait partie de la
culture française. Cela ne change rien au fait que le bouddhisme et le
christianisme font partie de ma culture et cela ne change rien au fait que
fondamentalement j’ai fait le choix d’accepter ce christianisme qui est le
mien mais sans rejeter ces autres qui sont en moi.
Le 28 Janvier 2016
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