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Trois groupes de mots pour aider à comprendre l’éthique
Pour se donner accès à une bonne compréhension de l’éthique, il faut d’abord clarifier le sens
d’un certain nombre de mots essentiels.
(1) D’abord la notion de fardeau de la charge. Il ne s’agit pas d’une description de la tâche,
mais de ce que légitimement « autrui » et « autre » peuvent attendre de nous, des attentes
légitimes qu’un agent ne peut ignorer. Souvent ces attentes sont contradictoires, mais toujours
elles sont floues et mal articulées. De plus, le fardeau de la charge est « un concept
essentiellement contesté » i.e., que des gens raisonnables peuvent en avoir des conceptions
dramatiquement différentes (Paquet 1997).
(2) Ensuite la dérive du contexte de la gouverne. On a eu dans le passé des modes de
gouverne hiérarchique et autocratique (G) dans lesquels le patron, le potentat, le leader pouvait
imposer son dominium absolu. Il y avait maître du jeu et les agents subalternes pouvaient définir
le fardeau de leur charge par rapport à la seule borne importante – les attentes du chef qui avait
(ou prétendait avoir) tout le pouvoir, toutes les informations et toutes les ressources nécessaires
pour décider seul. Or ce monde est en train de disparaître. Chaque agent opère maintenant dans
un univers qui est souvent sans maître du jeu parce que personne n’a toute l’information, le
pouvoir et les ressources nécessaires pour décider seul. Ce monde de la gouvernance (g) réclame
une coordination efficace parce que justement le pouvoir, les ressources et l’information sont
vastement distribués et que la collaboration est nécessaire (Paquet 2005a : ch.7).
Voilà qui complique singulièrement la notion de fardeau de la charge. Chaque agent dans le
monde de la gouvernance fait face à des attentes d’une variété d’intervenants répartis à 360
degrés autour de lui. Et dans un monde pluraliste (i.e. où nombre de perspectives et de valeurs
diverses sont légitimes) le problème d’une réconciliation « efficace » (sans gaspillage) et
« éthique » (sans comportements inacceptables) de ces contraintes se pose avec acuité.
(3) Enfin la notion de boussole éthique|démarche éthique. L’instrumentation nécessaire pour
faire des choix qui vont garder l’agent dans le corridor des comportements acceptables est
complexe. Comme il ne peut s’agir de simples codes ou des règles rigides, comment y arrive-t-
on? Nous dirons en raccourci que c’est une sagesse toujours en chantier, une sorte de
connoisseurship (pour utiliser un mot anglais bizarre emprunté du français mais transmué ce
faisant) se développant cumulativement.
Le connaisseur n’arrive à s’y connaître que par la pratique, que par le développement de la
connaissance dans et par l’action, que par une acquisition cumulative d’expériences sur le terrain.
C’est comme l’œnologue, connaisseur de grands vins, qui peut, à l’aveugle et à la merci de ses
papilles, « savoir » d’un coup que c’est un Château Terrefort 1934. C’est à cause d’une
multiplicité de « dialogues avec la situation », à proportion que les expériences se multiplient, que
se développe une capacité à voir « d’un coup » la réponse à un problème complexe. L’agent en
arrive par cette démarche à développer une réponse instinctive| intuitive presque – in a blink
diraient des anglo-saxons – à des situations très complexes (Paquet 1997; Gladwell 2005).
Pour fixer les idées, nous dirons que le contenu de cette boussole éthique correspond, en régime
de gouvernance (g), au niveau 5 dans l’échelle de développement moral à la Kohlberg. Ces
niveaux correspondent à diverses propensions à agir convenablement : pour ne pas être puni (1),
parce que c’est dans mon intérêt (2), pour être bien vu (3), pour être à la hauteur des attentes de la
loi et de l’autorité (4), pour honorer mes contrats moraux (5), et pour être à la hauteur des
impératifs de la Justice, des droits universels, etc. (6) (Kohlberg 1981).