VI TALLEYRAND
selon les uns, d'une activité et d'une efficacité exceptionnelles
selon les autres, il est de ceux que les historiens, même les plus
sereins à l'ordinaire, tiennent à juger. Mais l'immobilité inquié-
tante de son visage blême ne celait pas seulement ses pensées
à ses interlocuteurs du moment; elle devait masquer encore
aux générations futures les sentiments véritables d'un homme
qui souhaitait que pendant des siècles l'on continuât à discuter
sur ce qu'il fut, sur ce qu'il pensa, sur ce qu'il voulut.
La passion déployée par les historiens dans l'étude d'une
telle personnalité ne s'explique pas seulement par le rôle qu'elle
ajoué, mais encore par son comportement exceptionnel.
Un ministre des Relations extérieures, célèbre parmi les
nations, qui demande sans ambages à des souverains ou à des
ambassadeurs étrangers, de l'argent, beaucoup d'argent, qui,
devenu vice-grand-électeur, écrit par exemple au tsar pour
réclamer, vainement d'ailleurs, une aide matérielle, et qui
(comme pourront le voir les visiteurs de leurs propres yeux),
lui recommande naïvement de brûler sa lettre, voilà qui n'est
pas spectacle courant. D'autant qu'il renseigne souvent ses
«bienfaiteurs »sur les desseins du cabinet impérial ou sur les
préparatifs militaires de son pays.
En même temps, le diplomate adu recul, juge des affaires
françaises dans le cadre plus vaste de l'Europe, et paraît tou-
jours désireux de maintenir la paix, tant appelée par les peuples.
Il a pu affirmer sans trop d'invraisemblance que, sous tous les
régimes, il avait prêché la modération, la prudence, la raison.
Au lendemain des désastres napoléoniens, il avait su maintenir
la France au rang des grandes puissances européennes, en
faisant triompher, à Paris ou à Vienne, le principe de la légiti-
mité et du droit. C'est dans la sérénité qu'il termina enfin sa
carrière, comme ambassadeur à Londres : il réussit alors à
maintenir la paix en Europe, et à nouer entre la France et
l'Angleterre des liens qui ne feront que se consolider.