changement dans le temps, puisque le Cogito est instantané.
Mais, le Cogito se maintient-il tout du long dans sa position de première vérité ? Ce
serait le cas si, dans l’ordre des raisons, toutes les autres vérités procédaient de la certitude
du Cogito. Or, la certitude du Cogito demeure subjective, notamment quant à l’hypothèse
du malin génie : la certitude est intérieure au doute. Descartes substitue donc l’ordo
cognoscendi à l’ordo essendi où Dieu devient le premier anneau1. L’idée de moi-même est
donc transformé par celle que je trouve en moi, l’infini, et qui correspond à Dieu : « J’ai en
quelque façon premièrement en moi la notion de l’infini que du fini, c’est-à-dire de Dieu
que de moi-même »2. Il y a ici fusion de l’idée de Dieu et de moi-même ; Descartes aperçoit
le bénéfice, à savoir l’élimination de l’hypothèse du Dieu menteur, mais manque l’écueil
constitutif de sa démarche : le cercle de l’ordre des raisons n’est-il pas devenu un cercle
vicieux ?
L’alternative est ouverte : soit l’on voit avec Spinoza et Malebranche le Cogito
comme une vérité abstraite. L’Éthique prend le discours de la substance infinie comme seul
fondement ayant une valeur. La problématique du soi s’éloigne de l’horizon
philosophique. Soit, pour tout le courant de l’idéalisme (Kant, Fichte, le Husserl des
Méditations), le seule lecture cohérente du Cogito, c’est celle pour laquelle la certitude
alléguée de l’existence de Dieu est frappée du même sceau de subjectivité que la certitude
de ma propre existence. Le Cogito n’est donc pas une première vérité, que suivrait une
seconde, etc. mais le fondement qui se fonde lui-même, incommensurables à toutes les
propositions , non seulement empiriques, mais transcendantales. Pour éviter dans
l’idéalisme subjectiviste, il faut se dépouiller de toute résonance psychologique, à plus
forte raison de toute référence autobiographique.
La problématique du soi en ressort en un sens magnifiée, mais au prix de la perte
de son rapport avec la personne dont on parle, avec le je-tu de l’interlocution, avec
l’identité d’une personne historique, avec le soi de la responsabilité.
Nietzsche est celui qui s’attaque à la prétention de la philosophie de s’ériger en
science, au sens fort d’une discipline du fondement. C’est pour cela qu’il s’en prend au
Cogito cartésien qui représente ce type d’intention. L’attaque contre le prétention
fondationnelle de la philosophie prend appui sur le procès du langage dans lequel la
philosophie se dit. Ainsi, les tropes ne constitueraient pas des ornements surajoutés à un
discours de droit littéral, non figuratif, mais sont inhérents au fonctionnement le plus
primitif du langage. Ce qu’il faut montrer, c’est que dans l’anti-Cogito de Nietzsche on ne
trouve pas l’inverse du Cogito cartésien, mais la destruction de la question même à laquelle
le Cogito était censé apporter une réponse absolue.
En effet, Nietzsche affirme la phénoménalité du monde intérieur, celui-ci s’alignant
sur le monde extérieur, non pas au sens où il deviendrait objectif, mais précisément parce
qu’il se donne comme arrangement, simplification, schématisation, interprétation. De
même que la causalité dissimule le jeu des forces sous l’artifice de l’ordre, c’est encore
poser une unité tout à fait arbitraire que de se référer au « penser », à part de la
foisonnante multiplicité de instincts.
1 Ce passage s'effectue au cours de la Troisième Méditation.
2 Troisième Méditation, AT, IX, 36.