sociologie et communication

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Éric Maigret
Université de Paris 3
Laboratoire communication et politique, CNRS, Paris
SOCIOLOGIE ET COMMUNICATION
Vieilles lunes disciplinaires et idées neuves
Aux yeux de nombre de leurs défenseurs, la mise à distance de la sociologie apparaît comme l'une des
conditions d'affirmation des Sic1. Au-delà de l'argument stratégique - pour exister il est nécessaire de se
constituer en adversaire, s'opposer pour se poser - ce rejet est motivé par deux grandes séries de constats
épistémologiques. La sociologie, après les années 1960 marquées par l'essoufflement progressif des
recherches menées dans la mouvance lazarsfeldienne, serait tout d'abord frappée d'une véritable cécité à
l'égard de ces objets emblématiques de la modernité que sont les objets communicationnels, à l'inverse des
Sic dont le projet serait justement de saisir le monde nouveau. Il existerait par ailleurs une véritable
incompatibilité de nature entre la communication, processus ambigu, jamais fermé, et les concepts et
méthodes des sciences sociales, fondés sur la clôture, la catégorisation et une dialectique simple entre des
appartenances sociales et des cultures. Il s'agirait au total de rejeter une tradition à visée englobante mais
ignorante de la spécificité du communicationnel, objet trop corrosif pour une vieille discipline positiviste.
Je vais tenter de montrer que ce double constat relève largement du malentendu et qu'il ne tient pas
devant un examen des positions effectivement occupées par les chercheurs. Pour le dire clairement, si la
sociologie a échoué pendant une grande partie des années 1970-1980 à couvrir l'espace communicationnel,
elle a depuis plus d'une dizaine d'années renoué avec ce dernier, de façon encore insuffisante au regard de
l'importance des enjeux mais de façon significative. Plus fondamentalement, le moment positiviste de la
sociologie est aujourd'hui daté et l'absence de la question communicationnelle de son projet relève du
mythe: cette dernière est en réalité l'un de ses éléments fondateurs. Il ne fait pas de doute que la
communication se prête aux renouvellements théoriques d'une science en perpétuel dépassement d'ellemême, particulièrement apte à décrire le monde contemporain. Je nuancerai d'autre part la modernité des
recherches revendiquant l'appellation de Sic, en comparant ces dernières avec l'autre grand ensemble de
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travaux qui a bousculé les sciences sociales dans le domaine de la communication, les Cultural Studies anglosaxonnes. Ceci non dans le but d'invalider une démarche Sic qui serait fondée sur la découverte de
nouveaux terrains, avec la liberté que permet une approche littéraire, et/ou sur un rapprochement avec les
méthodes des sciences sociales, mais dans le but de critiquer une démarche qui serait rigoureusement
inverse, peu ouverte de fait aux objets communicationnels contemporains et revendiquant l'appellation de
discipline scientifique en se segmentant des sciences sociales.
Sociologie et communication : de la première à la seconde
modernité
Il ne fait aucun doute qu'une certaine sociologie a échoué à penser la communication. Cette sociologie
s'était donné pour tâche d'expliquer la première modernité (dans ce texte, «modernité» renvoie à la
définition fournie par Ulrich Beck), marquée par la constitution des Etats-Nations, du travail industriel, de
la famille nucléaire patriarcale et des classes sociales comme systèmes de domination, de classement et de
pensée. Elle abordait prioritairement la question du sens collectif par le constat de l'effacement supposé
progressif de la croyance dans les mondes contemporains, ce que l'on nomme «sécularisation» ou
« désenchantement ». Dans leur diversité, les projets des Pères fondateurs excluaient pour la plupart tout ce
qui pouvait apparaître comme perturbateur pour l'analyse de cette première modernité, tout ce qui semblait
trop labile, trop trivial ou trop contraire au constat d'une perte du sens, en premier lieu les médias de masse,
alors même que chacun de ces auteurs avait l'intuition des transformations communicationnelles et des
méthodes pour les appréhender (Maigret, 2003). Marx est journaliste et lit Eugène Sue mais verse la
problématique de la communication de masse dans la catégorie de la fausse conscience. Weber écrit un
programme complet d'étude de la presse sans jamais l'appliquer. Durkheim balaie les présupposés sur les
effets pathologiques des médias mais n'attache pas de réelle importance au développement de ces derniers.
Les héritiers de ces Classiques, jusqu'aux plus contemporains, conservent leur double distance à l'égard des
objets médiatiques, pourtant familiers à tout un chacun mais rendus trop exotiques par un processus actif
de refoulement, et à l'égard du processus communicationnel, objet de méfiance et de défiance.
Pour être plus précis, la sociologie classique n'a évidemment échoué qu'à moitié. Elle a aussi fourni des
cadres d'analyse pour ceux qui faisaient de la communication nouvelle une interrogation majeure.
L'opposition entre Théorie Critique et Fonctionnalisme Empiriste a permis d'infirmer les théories des effets
directs, de mettre à distance les présupposés à l'origine des paniques morales, de critiquer le déterminisme
technologique et la cybernétique, et d'explorer les rapports entre appartenances socio-économiques,
domination idéologique et consommation médiatique. Cette recherche a accompagné la transition d'un
monde fondé sur la tradition, sur des formes religieuses de communication, vers un monde se donnant pour
réfèrent ses propres valeurs humaines. L'opération typique des penseurs semi-modernes, pour reprendre
l'expression de Beck, est de substituer à une vision ancrée dans la naturalité des choses matérielles et des
traditions la vision d'un univers de référents sociaux sui generis. Il faut dénaturaliser pour culturaliser ou
sociologiser. Le problème est que ce mouvement indispensable a conduit à l'évocation d'une seconde
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nature, le «social», celui des sociétés industrielles, devenu aussi rigide que les traditions théologicopolitiques, déconstruites quant à elles. C'est le moment où la sociologie se pense positiviste ou structurale,
capable d'enserrer le monde dans les filets étroits des indicateurs quantitatifs ou des homologies de
situations. La sociologie de Pierre Bourdieu, qui revendique de façon heuristique une prétention à la
synthèse des trois grands courants fondateurs (marxiste, durkheimien, wébérien), achevant de ce fait un
parcours séculaire, décrit de façon exemplaire les sociétés contemporaines comme des univers de traditions
implacables où l'emporte la reproduction de positionnements et de qualités bien définis... alors que ces
sociétés sont les plus instables de l'histoire ! Elles organisent en effet la coexistence de régimes d'actions
pluriels et souvent conflictuels au sein et entre les individus et les groupes. De façon significative, l'une des
limites les plus visibles de ce courant est sa difficulté à saisir le médiatique et le populaire, réduits à des
pratiques vides de sens.
La prise en compte des insuffisances de cette vague de sociologie a appelé une correction, un «tournant
communicationnel » aux formes nationales très variées dont le dénominateur commun est la prise en compte
de la dimension créative de tout acte humain. Le bannissement de la communication de l'espace
sociologique, au profit des courants philosophiques et sémiologiques a alors été renforcé par la montée en
puissance des discours critiques de la culture de masse qui, de l'intérieur de la première modernité,
s'opposent à l'existence d'une industrie culturelle vue comme culture industrielle. Pour de multiples raisons
(demandes étatiques et sectorielles, fertilisation de courants...), sous des formes et des appellations diverses
(sociologie du journalisme, usages des technologies...), la sociologie a cependant renoué avec la question de
la communication depuis les années 1980, en France en particulier. De fait, il apparaît que les deux revues
les plus citées et les plus appréciées dans l'espace français de l'enseignement et de la recherche en
communication sont Hermès et Réseaux, fondées sur des projets de sciences sociales (Maigret, 2001).
Plus important encore, c'est du point de vue paradigmatique que la sociologie a redécouvert la
communication comme question fondatrice. Cette redécouverte emprunte à mon sens trois grandes voies,
celle des recherches sur le concept d'espace public, celle des métissages avec les Cultural Studies, enfin celle
des théories de la réflexivité. Le geste audacieux de Jürgen Habermas de détacher au moins partiellement
l'agir communicationnel des pures interactions sociales (traduisons : celles de la première modernité) a été
suivi d'un long débat sur la normativité de ses analyses de l'espace public contemporain. Il a néanmoins
permis d'intégrer le problème de l'intercompréhension dans des schémas qui visaient jusque-là son
élimination. En dégageant une dynamique démocratique qui ne s'interrompt jamais véritablement, cet
auteur a ouvert la voie à une réflexion sur les médias en terme de dialogue et non simplement de productionréception (Macé, 2001). Ce modèle que l'on pourrait qualifier de «polyphonique» est partagé par les
courants les plus récents de Cultural Studies qui abordent la communication sans préjuger de la valeur des
œuvres ni des publics étudiés, en mettant l'accent, au-delà de la question du pouvoir, sur le caractère pluriel
et contradictoire des actions humaines dans le sillage de la linguistique bakhtienne et du marxisme
gramscien. Il a sa place également dans les macro-sociologies qui, depuis les années 1970, fournissent une
vision de la constitution des sociétés ancrée dans le conflit et l'expérience (Touraine et Dubet) ou dans la
réflexivité (Giddens et Beck).
La convergence de ces approches, encore incomplète, a ceci d'intéressant qu'elle se fait en direction
d'un pôle de recherches négligé depuis longtemps, réunissant les travaux des micro-sociologues européens
de la modernité, Simmel et Tarde, et ceux des penseurs pragmatistes américains, Peirce, Dewey et Mead HERMÈS 38, 2004
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ces «autres» Pères fondateurs des sciences sociales. Habermas, le premier, parlait d'effectuer un retour aux
auteurs pragmatistes. On peut considérer que ce retour a été opéré avec succès par Hans Joas qui évoque
la montée du paradigme de l'agir créatif (au sens de Dewey). La sociologie américaine de la culture
s'approprie les Cultural Studies en ne reniant pas son inspiration interactionniste, elle-même issue des
courants pragmatistes. La sociologie française des médias se rapproche de l'interactionnisme américain, à la
façon de Dominique Pasquier, ou propose des rencontres assez équivalentes entre théorie de la légitimité et
théorie de l'hégémonie (Glévarec et Pinet, 2003). Au-delà, c'est l'ensemble de la sociologie qui se rapproche
d'une vision du lien social dans une optique simmelienne (de Singly et Kaufmann) ou tardienne (Latour).
Le but n'est pas tourner le dos aux sociologies de la modernité industrielle et de renoncer aux
méthodologies qui ont fait leur succès mais de les prolonger par des sociologies de la seconde modernité,
plus attentives aux oscillations identitaires, de revenir ce faisant à l'inspiration des premiers penseurs de la
communication en démocratie. La question de l'échange n'est plus celle de l'adéquation à la structure mais
celle de l'élaboration et du va-et-vient entre des structures, non plus celle de l'imposition de schèmes ou de
résistance à la domination mais celle des médiations, qui suppose attention réciproque, reconnaissance,
compréhension de soi et des autres, avec incertitude des effets.
Sociologie, Sic et Cultural Studies : discipline et terrains
Deux nouvelles, l'une bonne, l'autre moins, nous parviennent donc du processus de reconfiguration en
cours. La bonne nouvelle est que la sociologie de la communication n'est plus cette discipline au sens
foucaldien, dont la tendance première était l'enfermement des acteurs dans des identités et des positions.
Sa mission n'est pas remise en cause par la description des états communicationnels : de même que les
mirages et les feux follets n'invalident pas les sciences physiques, l'instabilité, l'oscillation identitaire et les
représentations à multiples niveaux n'invalident pas les sciences sociales. Mais elle s'éloigne d'une
conception impérialiste de la recherche qui ferait du chercheur et de sa discipline les juges indépendants,
détachés des réalités mondaines, étiquetant les autres sans rendre de comptes. Après avoir dénaturalisé puis
culturalisé, il s'agit de pluraliser les objets, les paroles et les méthodes, en inscrivant à son tour le chercheur
dans les collectifs démocratiques en voie de constitution. Les paroles des uns et des autres n'ont pas
nécessairement le même poids, elles ne peuvent prétendre en tout cas à la vérité immédiate, seulement à
l'interprétation laborieusement constituée. Certains noteront que le nom même de cette tradition de
recherche pourrait être revu puisqu'il n'y a plus nécessité de faire discipline, de serrer les rangs autour du
drapeau positiviste en évoquant un social qui serait de l'ordre de la substance. Sociologie réflexive, sciences
sociales de la communication, théorie de la créativité, des actes communicationnels ou des actes
démocratiques pourraient faire l'affaire qui autorisent la reconnaissance d'une démarche plurielle. Il reste
que l'inscription dans une tradition de recherche à deux orientations (durkheimienne-marxistewébérienne/pragmatiste-interactionniste) a l'avantage d'établir une continuité que les discours sur
l'irruption d'un monde de communication radicalement prométhéen ne saurait faire disparaître par
enchantement.
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La mauvaise nouvelle est en effet que les étapes scientifiques encore à franchir n'effacent pas les
précédentes. Penser la communication dans un cadre réflexif nécessite la mise en relation de savoirs de plus
en plus nombreux, y compris les anciens, sans que la clé de l'interaction entre ces savoirs ne soit encore
fournie. Pour le dire avec le vocabulaire de Habermas, sans suivre ses préceptes, la pensée
communicationnelle ne débute pas avec l'étude de l'intercompréhension, en faisant abstraction des niveaux
antérieurs, elle inclut également la connaissance des modes instrumentaux et des interactions sociales. Pour
le dire avec le vocabulaire de Peirce, communication et tiercéité ne sont pas consubstantiels, chacun des trois
moments, chacun des trois mondes dit quelque chose de l'acte d'échange - sans parler de la relation de
chacun des mondes avec l'autre. Ainsi, pour comprendre le moment de la réception d'un programme
télévisuel comme le paysage social et les dispositifs techniques dans lequel il s'inscrit, et surtout la relation
entre les trois, doivent être tissés dans une même analyse des objets, des usages, des interprétations, des
identités genrées, des relations familiales, des idéologies et des effets de distanciation à l'égard de ces divers
éléments. L'analyse peut se donner pour but l'intégration, sans rêver d'une illusoire totalisation, sur un mode
socio-historique, par le recueil des traces «imprimées» à chacun des niveaux. Elle peut toujours porter sur
un seul des niveaux mais cela doit alors se faire sans naïveté à l'égard des présupposés véhiculés par le choix
de ne pas s'arrêter aux deux autres niveaux, car ces derniers travaillent toujours sous forme d'impensés.
C'est ici que la position des Sic apparaît délicate. Les chercheurs en communication qui visent la
rupture de principe avec les sciences sociales, avec ce qui fait discipline en elles au bon sens du terme, celui
de la méthodologie et de la cumulativité, s'exposent au reproche de légèreté. Le manque d'ancrage
théorique et méthodologique se paie le plus souvent par une dérive purement subjective des interprétations
au nom du principe devenu intangible selon lequel «la communication ne se réduit pas au social» (certes,
mais le social ne se réduit plus au social !). La pensée communicationnelle devient alors l'habit neuf des
lectures immanentes des années 1960, de l'analyse en chambre érigée en principe scientifique exclusif. Faire
abstraction des méthodes centrées sur la rencontre avec les autres (de l'analyse quantitative à l'observation
participante, en passant par les entretiens), balayer les apports des théories sociologiques revient à rapatrier
clandestinement des points de vue sur les acteurs sociaux et à faire une sociologie implicite des mondes
contemporains qui prend généralement la direction de la critique ou du technicisme par un tropisme que
l'on qualifiera de français.
Ces remarques ne sont pas émises dans le but de décourager des initiatives ou de défendre une tradition
dont j'ai dit les mutations anti-corporatistes, mais dans le but opposé de rappeler l'ambition de tout projet
novateur. L'amnésie scientifique des Sic n'est pas nécessairement un handicap car elle peut servir une
stratégie audacieuse d'exploration de terrains encore peu abordés par les écoles de pensée rigidifiées dans
leurs principes et leur champ d'action. De même que la sociologie anglo-saxonne de la culture a subi la
contestation des Cultural Studies qui lui reprochaient son immobilisme, l'amenant peu à peu à revoir ses
terrains et à repenser ses concepts, on peut imaginer des recherches françaises en communication qui
représentent une alternative parfois brouillonne mais bouillonnante. Or, pour une interdiscipline
émergente, décomplexée, les Sic manquent encore singulièrement d'audace lorsqu'on les compare avec les
Cultural Studies2. Elles privilégient avant tout la production de postures philosophiques, l'étude des genres
médiatiques, la communication d'entreprise, la médiation culturelle, certains programmes télévisuels et les
Tic - c'est-à-dire les territoires les moins illégitimes, en affinité avec le marché balisé des compétences
professionnelles ou les plus immédiatement accessibles à des chercheurs issus des traditions sémioHERMÈS 38, 2004
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philosophiques, à côté des spécialistes des nouvelles technologies. Sont assez largement ignorés les lieux
juvéniles de narration (le cinéma, la bande dessinée), la télévision dans ses aspects les plus prosaïques, le
médium corporel, les identités de genre, les micro-politiques et le transnational, qui représentent pourtant
les points d'interrogation majeurs de notre nouvelle modernité (Macé, 2003, sur les enjeux de la politique
des genres, qui travaillent en profondeur les médias). Ce qui se joue dans les interstices devrait attirer sans
retenue et non repousser. Dans des sociétés complexes fondées sur le changement social, les marges sont
souvent très porteuses de sens comme l'a démontré le débat tronqué sur la pornographie initié par le
rapport Kriegel, qui a permis de se rendre compte qu'il n'existait pas en France de recherche sur des sujets
a priori exotiques, prêtant à plaisanterie, en réalité devenus centraux. Le biais institutionnel,
professionnalisant et linguistique des Sic, explique que la question des publics, par définition de plus en plus
massive en démocratie, soit encore largement ignorée sauf sur un mode incantatoire. Il est pourtant difficile
de parler de «publics», même hypothétiques et déconstruits, si l'on ne cherche pas à les appréhender
empiriquement d'une façon ou d'autre.
Pour une convergence
Les atouts des Sic résident certainement dans une inversion partielle des tendances observées, dans une
ouverture assumée aux sciences sociales dans leur diversité, non comme modèles mais comme socle évident,
et dans une acceptation de la validité scientifique des objets les plus surprenants, les plus dérangeants.
L'évolution est déjà engagée puisque de nombreuses études commencent à allier des analyses de dispositifs
et des études de réception dans un contexte comparatif (l'exemple de Big Brother est le plus frappant,
Lochard et Soulez, 2003). Mais il est certainement possible de voir au-delà, en tenant compte des apories
actuelles de la recherche. Après avoir critiqué la critique et réhabilité les récepteurs, les analyses des médias
butent actuellement sur un double obstacle. Tout d'abord celui de la production, encore insuffisamment
appréhendée comme un terrain pour l'ethnographie. Ensuite celui de la description esthétique des contenus
de la communication de masse, toujours pensés comme des supports d'appropriation idéologique mais très
largement ignorés dans leurs dimensions poétiques. C'est ici que la spécificité française, à savoir la proximité
avec les traditions sémiologiques et philosophiques, peut s'avérer très enrichissante. En proposant une
esthétique et une rhétorique des mondes contemporains les plus communs (au double sens de l'adjectif), il
serait possible de présenter un programme original qui ferait se rejoindre des traditions abusivement
opposées. Des sciences sociales attachées à la formation complexe des identités, y compris esthétiques, des
courants littéraires qui ne se donnent plus pour horizon l'univers culturel consacré, sans verser dans le
mythe de la création artistique pure. Attachons plus d'importance au respect des méthodologies et des
traditions théoriques dans leur cumulativité. Laissons l'indiscipline gagner les terrains, les objets.
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NOTES
1. Cette distance réunit des ensembles par ailleurs très différents, repérés par Bernard Miège (1998), en particulier la médiologie
et les multiples courants qui placent le « communicationnel hors du social » dans la tradition de la communication hommemachine et de la cybernétique. Nous pourrions ajouter les sémiologies hostiles à toute mutation en socio-sémiologies. La
position de Miège est elle-même très ambiguë puisque cet auteur se dit opposé à la « majorité des théories contemporaines »
en Sic, qui tiennent «le communicationnel à l'écart du social», mais il ajoute que la sociologie n'apporte qu'une «contribution
inégale et qui ne se révèle pas décisive» sur la question de la communication. N'adoptant pas une position hostile à l'égard
de la sociologie, il en présente néanmoins un bilan peu flatteur, qui tourne au constat d'échec. En se choisissant comme
adversaire la défunte sociologie lazarsfeldienne, il est assez aisé de conclure à cet échec et, par ricochet, de valoriser un courant
tel que celui de l'économie politique de la communication.
2.
La comparaison entre les sujets couverts dans les Sic et dans les Cultural Studies peut se faire à partir de la lecture des actes
des congrès nationaux de la Sfsic et de ceux des conférences Crossroads in Cultural Studies.
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
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PASQUIER, D., La Culture des sentiments. L'expérience télévisuelle des adolescents, Paris, éditions de la Maison des sciences de
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