comparaisons avec les stratégies de communication des autres partis politiques de
l’époque et de mises en perspective historiques. Lavigne mentionne tout au plus qu’il
est possible de comparer les campagnes de Duplessis «à la démesure des élections
présidentielles américaines» que l’on observe de nos jours (p. 173). Dès lors, le lecteur
se demandera en quoi (ou en regard de quoi) la communication politique de l’Union
nationale est-elle avant-gardiste. Une autre limite du livre est de laisser bien peu de
place à la radio et à la télévision, des médias qui sont peu compatibles avec le type de
démonstration par l’objet privilégié par Lavigne.
En revanche, l’ouvrage et la thèse qu’il défend sont bien servis par une
organisation chronologique. Chaque élection (1936, 1939, 1944, 1948, 1952, 1956) fait
l’objet d’un chapitre particulier dans lequel sont détaillées différentes facettes des
stratégies de communication politique mises de l’avant(stratégie d’information de
masse, stratégie événementielle, stratégie publicitaire, mise en images de Duplessis,
etc.). Cette présentation permet de considérer l’évolution rapide et implacable des
pratiques et des stratégies communicationnelles de l’Union nationale. Par exemple,
bien que le Catéchisme des électeurs de 1936 dénonce l’emprise des Libéraux d’Adélard
Godbout sur la presse, l’Union nationale aura tôt fait de renverser la situation. Dès
1940, le parti crée son propre hebdomadaire, Le Temps, qui augmente son tirage à un
demi-million d’exemplaires lors des élections de 1944. Puis, en 1947, le parti acquiert le
quotidien Montréal-Matin par l’entremise d’une société écran afin d’asseoir
définitivement sa propre mainmise sur la presse. Comme le disait Sun Tzu, «il faut
savoir faire du chemin le plus long le plus court et renverser le désavantage en
avantage» (2000, p. 69).
Outre les innovations propres à chaque élection (audiodrames destinés à la radio
en 1944, apparition du slogan unique en 1948, panneaux-réclame le long des autoroutes
en 1952, et cetera), c’est la mise en image et en récit de Duplessis qui frappe. D’élection
en élection, la personnalité du chef est davantage mise de l’avant et le pouvoir politique
se personnalise de plus en plus. Souvent associée au drapeau fleurdelisé, l’image du
chef se confond de plus en plus avec celle de la nation québécoise. C’est cette mise en
image qui préside à la formation d’un véritable «mythe Duplessis» (Bergeron 1967),
objet de fascination et de débats qu’il faut considérer dans les prolongements d’un
marketing politique redoutable. Lavigne refuse toutefois de concevoir Duplessis
comme un « personnage entièrement construit par le marketing politique» et souligne
le « message fort » et les « habiletés communicationnelles et relationnelles » de
Duplessis (pp. 173–174).
Vient ensuite un chapitre très intéressant sur la contre-propagandedu Parti libéral.
Si la propagande de l’Union nationale met l’accent sur le chef, cela est tout aussi vrai de
la contre-propagande libérale. Le slogan «Duplessis donne à sa province» devient
«Duplessis donne sa province», «Laissons Duplessis continuer son œuvre» devient
« Laisserons-nous Duplessis continuer les contrats sans soumissions? ». Dans ce
chapitre, Lavigne aborde une des rumeurs les plus persistantes de l’histoire politique du
Québec: ces fameuses élections gagnées grâce à la distribution de frigidaires. Mythe ou
réalité? Sans répondre directement à la question, Lavigne retrace les origines de ces
accusations dans une célèbre brochure des prêtres Dion et O’Neill (1956) dénonçant
l’immoralité politique dans la province de Québec. À l’époque, l’Union nationale
Canadian Journal of Communication, Vol 37 (3)