culturel dans une époque donnée que pour interroger les méthodes, les concepts et le cadre de
pensée que Freud organise.
Pour examiner comment les choses se passent, voyons comment le père de la psychanalyse
construit théoriquement son sujet, comment Freud perçoit le psychisme individuel qui intègre
l'altérité soit sous forme de névrose (il refoule la chose)3, soit sous forme d'interdits ou d'idéaux à
suivre, de Surmoi. Pour une large part, cette vision du psychisme est elle-même le fruit d'une
certaine histoire, d'un certain conditionnement social - ce que Freud lui-même ne nierait pas –
mais, en l'état, elle atteste une façon de voir liée à une société au sein de laquelle l'asociété émerge à
tout le moins. Dans cette construction du psychisme, l'acte au monde n'est pas lié au monde proche,
il n'est pas le fruit d'un sujet interagissant avec son milieu mais il est le fruit de forces sociales sur
lesquelles le sujet n'a pas ou peu de prise. La volonté du sujet est corsetée dans la société
constructrice d'un moi, d'un Surmoi, d'un Ça, d'un idéal du Moi, etc. Cette vision de la société
comme corset névrotique à l'individu – ce que Marcuse4 désignera par l'opposition entre le principe
de réalité et le principe de plaisir – procède de l'individualisation des existences et s'oppose à
l'individuation des existences. L'individualisation isole des monades influencées par un cadre social
répressif et par une libido jouisseuse individualiste alors que le concept d'individuation pense la
rencontre entre un moi en devenir et un monde et en quoi cette rencontre est constitutive et de l'un
et de l'autre. La vision freudienne atteste une vision du monde d'individus isolés dans lequel le
monde joue comme une espèce d'impératif encombrant et castrateur (et, a contrario comme objet de
désir, mais cette façon de poser le problème renforce l'étrangeté entre le moi et le monde).
L'interaction ludique avec le monde, la réconciliation nietzschéenne du principe de réalité et du
principe de plaisir dans la volonté de puissance, reste l'apanage des enfants – encore faut-ils qu'ils
ne salissent pas leurs vêtements et réussissent à l'école, etc.
Proposition 78
La psychanalyse freudienne atteste une culture dans laquelle l'autre est un corps
étranger.
Freud analyse la publicité
Le monde n'apparaît pas comme une force de singularisation, comme le réceptacle du travail
concret, de l'humanisation de la nature mais il devient un ennemi de l'individu dont l'irréductible
étrangeté permet à l’Œdipe de se réaliser. Le neveu de Freud, Edward Bernays, père des relations
publiques et de la publicité, de la communication et de la propagande moderne, a théorisé tout cela5.
La marchandise dans la représentation publicitaire doit représenter la libido régressive de l'individu.
Cette représentation alimente le déficit narcissique d'une existence asociale tout en promettant de la
combler. Dans la sublimation du complexe d’Œdipe, le psychisme, face à l'impossibilité de
fusionner avec l'objet du désir, sublime cet objet par une identification narcissique à un idéal. La
mère qui est taboue est sublimée par l'enfant dans l'identification au père (psychique). Comme
l'objet dans la consommation est donné sans limite, il ne peut être sublimé de manière narcissique et
ramène le sujet freudien à une régression narcissique à un stade préanal quand le sujet ne distingue
pas encore le monde et le Moi. Avec la marchandise-image de désir dans la publicité, la libido du
sujet se porte non pas sur un changement du monde ou une volonté de puissance, elle ne traduit pas
3 Voir, par exemple, S. Freud, Essai de psychanalyse, Payot, 2001, pp. 271-272. La constitution du Surmoi découle
d'un investissement primitif dans un objet. Alors que le sujet se rend compte de l'extériorité de l'objet, il doit
sublimer son désir d'assimilation à l'objet dans son Surmoi, dans son Moi idéal.
4 H. Marcuse, L'Homme unidimensionnel, op. cit.
5 E. Bernays, Propaganda, op. cit., p. 31 : La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes
organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme
social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.