L`HYPERESTHESIE DENTINAIRE CERVICALE : COMMENT LA

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L’HYPERESTHESIE DENTINAIRE
CERVICALE : COMMENT LA GERER ?
HOW TO MANAGE THE CERVICAL DENTINE HYPER SENSITIVITY ?
Auteurs :
Dr. S. CHALA : Professeur assistant en
odontologie conservatrice
Pr. B. CHRAÏBI : Professeur agrégée en
odontologie conservatrice
Faculté de Médecine Dentaire de Rabat.
Université Mohammed V Suissi
Résumé :
L’hyperesthésie dentinaire cervicale est caractérisée par une douleur aigue de courte durée due à la
présence de tubuli dentinaires exposés au niveau de la région cervicale. Différents agents
thérapeutiques ont été proposés pour traiter ce phénomène.
Le but de cet article est de revoir la stratégie thérapeutique suivie pour le traitement de
l’hyperesthésie dentinaire cervicale et qui doit prendre en compte différents facteurs.
Mots clés :
Hyperesthésie dentinaire- approche thérapeutique- agents thérapeutiques
L’hyperesthésie dentinaire cervicale est une sensibilité exagérée à un stimulus qui ne
provoque pas de réponse sur une dent saine. Elle est caractérisée par un syndrome
douloureux en réponse à un stimulus thermique, tactile, osmotique, ou chimique appliqué à
une zone de dentine exposée. [2-4-5-13-17]
Elle peut être du soit à :

Une exposition des surfaces radiculaires suite à une récession gingivale ou après un
traitement parodontal ;

Un défaut de cohésion entre émail et le cément au niveau cervical qui laisse une zone
dentinaire exposée à la cavité buccale.

Une exposition de la dentine suite à une lésion cervicale non carieuse. En effet, les
lésions cervicales non carieuses entraînent des pertes de substance au niveau de la
région cervicale qui exposent la dentine et seraient à l’origine d’hyperesthésie
dentinaire. [2-4]
Le patient consulte pour une douleur qui rend les moindres gestes usuels de la vie
quotidienne délicats.
Face à cette pathologie qui constitue un véritable problème en pratique quotidienne, le
praticien doit poser le diagnostic le plus rapidement possible et proposer une thérapeutique
qui répond aux soucis des patients et soulage leur souffrance.
Mécanisme de l’hyperesthésie dentinaire
Pour expliquer le phénomène d’hyperesthésie dentinaire différentes théories ont été
proposées. Cependant, deux théories sont actuellement retenues [3-4-16]:

La théorie hydrodynamique de Brännstrom
Le stimulus est à l’origine d’un mouvement des liquides interstitiels intracanaliculaires. Les
fibres nerveuses se trouvent alors mécaniquement excitées et vont engendrer la douleur.

Les mécanismes inflammatoires
Ces phénomènes sont possibles et s’expliqueraient par l’activation des terminaisons
nerveuses périphériques sensitives qui vont libérer différents neuropeptides. Deux
principaux neuropeptides sont impliqués : la substance P et la Calcitonin Gene Related
Peptide CGRP. Ces derniers, peuvent exercer un effet algogène en favorisant l’activation
des fibres nociceptives qui engendrent la douleur.
Diagnostic
C’est un temps important de la prise en charge. La recherche d’un facteur étiologique est
très importante avant de passer à la thérapeutique.
La démarche diagnostique reste classique. Elle commence par un interrogatoire au cours
duquel le praticien doit mettre le point sur le caractère symptomatique de l’affection : une
douleur d’apparition et de disparition rapide qui apparaît suite à l’application d’un stimulus
thermique, mécanique, osmotique ou chimique [12,13,2,16,4].
La sensibilité aux stimuli thermiques est le motif de consultation le plus fréquent. L’examen
clinique endo-buccal doit permettre de rechercher une zone de dentine exposée au niveau
cervical à l’origine de la douleur décrite par le patient [1-5].
L’étiologie doit être déterminée au cours même de cet examen clinique afin de guider
l’approche thérapeutique.
L’odontologiste cherchera à reproduire des signes décrits par le patient :

soit en ayant recours au passage d’une sonde au niveau d’une zone de dentine exposée
au niveau cervical

soit par application d’un jet d’air modéré (photo n°1)

ou par utilisation du spray d’eau de la seringue de l’unit.
La sensibilité dentinaire peut être différente en fonction du stimulus appliqué. Le stimulus le
moins douloureux doit d’abord être appliqué en premier pour éviter de faire souffrir le
patient. [8].
L’intervalle entre deux stimuli doit être suffisant afin de minimiser les interactions entre
chaque réponse. [8].
Le diagnostic différentiel doit permettre d’écarter toute pathologie dont les signes cliniques
sont similaires, à savoir : les fêlures, les fractures coronaires, la carie ou une pathologie
pulpaire.[4]
Approche thérapeutique
Le traitement de l’hyperesthésie dentinaire constitue un véritable défi pour le praticien.
Différents agents thérapeutiques ont été proposés et leur efficacité est variable.
Le traitement proposé doit être non irritant pour la pulpe, non douloureux au cours de son
application, de mise en place facile, d’action rapide, efficace pour une longue période, et ne
doit pas colorer les tissus dentaires. [13]
Cependant, aucun traitement ne répond à toutes ces exigences.
L’approche thérapeutique doit être réfléchie et se fait d’une manière hiérarchisée.
Le traitement étiologique
Comme toute thérapeutique en odontologie, la prise en charge commence par une phase de
traitement étiologique. [2].
Cette phase a pour but premier l’amélioration du niveau d’hygiène du patient, car les dépôts
importants de plaques ne peuvent qu’entretenir ce phénomène douloureux. En plus la
douleur qui peut être ressentie par le patient au moment du brossage peut interférer avec
une hygiène correcte.
Des instructions à l’hygiène bucco-dentaire sont alors données aux patients afin qu’il
améliore sa méthode de brossage (corriger le brossage horizontal) et conseiller un brossage
selon la méthode du rouleau avec une brosse à dent médium et en évitant les dentifrices
abrasifs.
Le praticien enseigne la méthode de brossage au patient en ayant recours si besoin aux
révélateurs de plaque afin de localiser les zones d’accumulation de la plaque bactérienne et
d’améliorer ainsi le brossage.
Des conseils diététiques seront également prodigués. On conseillera au patient de :

limiter la consommation des aliments acides

différer le brossage d’une demi-heure afin de permettre au pouvoir tampon de
la salive de remonter le pH. On demandera au patient de se rincer la bouche
avec de l’eau ou mieux encore avec une solution fluorée.

restreindre les aliments acides aux seuls moments des repas

boire rapidement les boissons acides ou avec une paille, sans siroter.
Si le patient présente par ailleurs des problèmes nutritionnels particulier tels que la boulimie
ou en présence d’un problème gastrique quelconque à l’origine de reflux acide, la
consultation d’un spécialiste est indispensable. *1-5-7]
Les traitements symptomatiques
Le but ce ces thérapeutiques est de limiter les phénomènes qui déclenchent la réaction
douloureuse.
Une multitude de moyens thérapeutiques sont proposées pour répondre à cet objectif. Le
principe en est soit l’augmentation du seuil d’excitabilité des fibres nerveuses ou le
scellement des tubuli dentinaires pour limiter le mouvement des fluides contenus dans ces
tubuli.
Les auto-applications à domicile
Il s’agit d’applications réalisées par le patient lui-même. Ces agents peuvent entrer dans la
formulation de dentifrice de bain de bouche ou de gels.
Les agents thérapeutiques utilisés pour les auto-applications contiennent différents principes
actifs qui sont les suivants :

Le nitrate de potassium est l’un des agents les plus connus et étudiés dans ce domaine.
Le mécanisme d’action exact n’est pas bien connu. Il semble que le potassium est
l’élément actif qui interviendrait sur la transmission des stimuli en dépolarisant les
fibres nerveuses [18]. Différentes études ont montré son efficacité dans le traitement
de l’hyperesthésie dentinaire. Frechoso et coll. en 2003 ont montré que le nitrate
potassium dans les gels bioadhesifs à 5% et à 10% sont efficaces dans le traitement de
l’hyperesthésie dentinaire avec un effet plus important des gels ayant une
concentration de 10%. Cette efficacité est précoce et se manifesterait les 4 premiers
jours après application. [6].
Les résultas sont favorables après des durées variables allant de 4 à 6 semaines. [14]

Le fluor : plusieurs études ont montré l’efficacité des pâtes dentifrices fluorées dans le
traitement de l’hypersensibilité dentinaire. Le fluor agirait par le renforcement de la
matrice minéralisé qui devient plus résistante à l’attaque acide ainsi que par sa
précipitation au niveau des tubuli dentinaires exposés bloquant ainsi la transmission
des stimuli. Le fluor existe en différentes formules soit : le fluorure de sodium, le
monofluorophosphate de sodium,le fluor stanneux fluorhydrate ou encore
fluorhydrate de nicométhanol ou fluorinol [4-12-14].
le

Les sels de strontium sont également proposés dans certaines formulations de
dentifrice désensibilisant. L’action
de ces sels serait liée à une
stabilisation de
l’excitabilité de la membrane nerveuse en modifiant la perméabilité au sodium et au
potassium. Le strontium agirait également par renforcement de la matrice minéralisée
[3-9-11-13-14].

L’oxalate de potassium : il fait partie des produits qui se sont révélé efficaces, comme
le montrent de nombreuses études cliniques. L’oxalate de potassium peut réagir avec
l’ion calcium, et se dépose sous forme de cristaux d’oxalate de calcium insolubles à
l’intérieur des canalicules, les obture, modifie le mouvement des fluides et diminue
ainsi l’excitabilité nerveuse. *3-9-13-14-15]
Les principes actifs peuvent être sous forme associée.
Exemples d’auto applications à domicile :

Dentifrices : Elgydium® dents sensibles, Elmex sensitive®, Fluocaril bifluoré®, Sensodyne® PRO classic, Sensodyne® PRO soin complet,

Gels : Sensigel®, Fluocaril bi-fluoré®

Bain de bouche : Elgydium® bain de bouche fluoré, Elmex® sensitive
solution dentaire
Les pâtes dentifrices sont utilisées pour le brossage quotidien 3 fois par jour. Les bains de
bouche en rinçage pendant 30 secondes 1 à 2 fois par jour.
Quand à la présentation en gel, elle s’utilise en applications locales, avec une brosse souple
ou avec le doigt, après le brossage habituel. Le recours à des gouttières qui véhiculent le gel
est également possible.
3-2-2- les applications au cabinet dentaire
Il s’agit de traitements de seconde intention qui peuvent avoir un effet physique ou
chimique. [4]

Les agents chimiques permettent soit de sceller des tubuli dentinaires (dérivés fluorés,
oxalate de potassium, chlorure de strontium)*14+ soit d’avoir un effet désensibilisant
comme le nitrate de potassium.
Exemple : Tubulicid Red Label®, Bis block®

Les agents physiques jouent le rôle de barrière et permettent ainsi l’isolation de la
dentine exposée réduisant ainsi les mouvements des fluides. Il peut s’agir de vernis ou
d’agents adhésifs (photo n°2). En général, l’effet thérapeutique de ces agents est bon.
Pour Addy en 1983, ce type de traitement doit être réservé à certain cas spécifiques
lorsque l’hyperesthésie dentinaire est localisée. [3]
Certains agents thérapeutiques combinent à la fois une action physique et une action
chimique. Exp : Isodan® MS Coat®
L’agent thérapeutique est appliqué selon les recommandations du fabricant. Après une
première application le patient est revu une semaine plus tard. En absence d’une
amélioration des signes décrits par le patient, une deuxième application est faite à une
semaine d’intervalle.
Le laser a également été proposé [13]. Son effet serait à l’origine d’une oblitération des
tubuli dentinaires.
Pour Kimara et coll. 2000, l’efficacité est très variable et serait entre 5.2 à 100% selon le type
du laser et les paramètres utilisés. Son efficacité est limitée dans les cas sévères. [13]
Cependant, le laser demeure un moyen thérapeutique controversé qui reste au stade
expérimental et qui nécessiterait plus d’investigations cliniques avant de déboucher sur une
application thérapeutique.
L’utilisation du laser combinée au fluor semble augmenter l’efficacité du traitement.
les traitements invasifs

Le traitement restaurateur [5] qui doit être réservé aux cas présentant des pertes de
substance au niveau cervical et plus précisément des lésions cervicales non carieuses
(photos n°3 et 4). Le choix du matériau d’obturation doit tenir compte du contexte
clinique. Les ciments verres ionomères modifiés par adjonction de résine ont des
propriétés physiques, optiques et biologiques intéressantes permettant leur utilisation
avec succès surtout chez les patients dont le niveau d’hygiène est douteux. *4-16]
Les résines composites ont des propriétés esthétiques meilleures. Mais le choix doit
tenir compte de la situation de la cavité. Ainsi, la préférence va vers les composites à
faible module d’élasticité pour éviter les sollicitations en traction –compression au
niveau des joints. Les composites micro-chargés et les composites fluides semblent de
ce fait être les matériaux de choix. [16]
Dans certains cas, la perte de substance est très minime et le recours à l’application
d’un composite fluide dans un but de réduction des symptômes est conseillé. *14-4]

La chirurgie muco-gingivale qui vise le recouvrement radiculaire. [5]

La biopulpectomie sera réservé aux patients présentant les signes d’inflammation
pulpaire irréversible. [5]
Conclusion
L’hyperesthésie dentinaire constitue une véritable préoccupation en pratique quotidienne.
C’est une vraie gêne pour le patient dont les gestes usuels de la vie quotidienne deviennent
douloureux (boire et se brosser les dents). La recherche d’un facteur étiologique permet de
poser le bon diagnostic.
Le traitement consiste en une prise en charge par palier et s’effectuant à plusieurs niveau.
Les produits ayant la vocation de limiter cette hyperesthésie sont nombreux sur le marché.
Cependant, d’autres études cliniques doivent être menées pour démonter leur efficacité
réelle et la durée de réduction des symptômes consécutive à chaque traitement.
FIGURES
Photo n°1 : L’air comprimé de la seringue est l’un des moyens de
diagnostic à la disposition du praticien qui doit être utilisé avec
modération pour éviter une expérience douloureuse désagréable
pour le patient
Photo n°2 : L’application d’un adhésif et sa photo- polymérisation est l’un
des moyens physiques de traitement de l’hyperesthésie dentinaire
Photo n°3 : Présence d’une lésion cervicale non Photo n°4 : une restauration aux ciments
carieuse qui est source d’hyperesthésie dentinaire verre ionomère est réalisée pour restaurer
au niveau de la 35
cette perte de substance et traiter ainsi
l’hyperesthésie dentinaire
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Summery
Cervical dentine hyper sensitivity is characterized by short, sharp pain arising from exposed
dentine. Numerous agents have been used in dentine hypersensivity therapy. Management
strategies should take into account different factors.
The aim of this article is to review the strategy used for managing dentine hypersensitivity
Key words:
Dentine hyper sensitivity, Therapeutic approach, therapeutic agents
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