Table ronde Les dents, reflet des pathologies du squelette (CAP) Les maladies pédiatriques à révélation dentaire S. Opsahl-Vitala,b,e, C. Gauchera,b,e, C. Bardeta, F. Coursona,b,e, A. Linglarta,c,d,e, C. Chaussaina,b,e* aFaculté Odontologie, Université Paris Descartes PRES Sorbonne Paris Cité, EA 2496, Paris, France Odontologie, hôpitaux Louis Mourier, Albert Chennevier et Bretonneau, Paris, b Ah-hP, Services France cAP-hP, Service d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique, hôpital Bicêtre Paris Sud Paris-Sud, Kremlin Bicêtre, France eAP-hP, Centre de référence des maladies rares du métabolisme du phosphore et du calcium, hôpital de Kremlin Bicêtre, France dUniversité L es anomalies dentaires chez l’enfant peuvent constituer les signes d’appel d’une pathologie systémique, en particulier lors d’atteintes génétiques qui affectent la minéralisation. Par exemple, la dyschromie de dents temporaires avec une teinte grisée ou jaune-brun ambrée et translucide peut constituer le signe d’appel précoce d’une dentinogenèse imparfaite (DI) associée à une ostéogenèse imparfaite (OI). La dent reflète et témoigne des atteintes osseuses. Cela s’explique par les similitudes entre l’os et la dentine, tissu minéralisé principal de la dent. En effet, l’os et la dentine sont semblables dans leur composition et mécanismes de formation. Ils sont tous deux composés d’une matrice organique riche en collagène de type I, et d’une phase minérale constituée d’hydroxyapatite. De nombreuses protéines non collagéniques communes comme DSPP, DMP1, BSP, MEPE et OPN sont impliquées dans l’initiation et le contrôle de la minéralisation [1]. Cependant, la différence majeure entre l’os de la dentine confère à la dent sa particularité de « marqueur » de la minéralisation. En effet, l’os est un tissu dynamique, continuellement remodelé, alors que la dentine, sécrétée pendant toute la vie, ne présente aucun remodelage et enregistre ainsi les conditions de minéralisation normales ou pathologiques. Parmi les atteintes génétiques qui affectent à la fois l’os et la dentine, le rachitisme hypophosphatémique et l’OI sont les plus fréquentes. 1. Le rachitisme hypophosphatémique familial (XLH) L’XLH est dans 80 % des cas dû à une mutation du gène PHEX sur le chromosome X. D’autres mutations ont été identifiées dans les formes autosomiques, impliquant les gènes FGF23, DMP1, SLC34A, ENPP1 et Klotho [2]. Cliniquement, les patients présentent des déformations osseuses, notamment des jambes arquées, une petite taille, une masse osseuse élevée et des anomalies dentaires. On retrouve une augmentation des taux de FGF23 et de l’activité de la phosphatase alcaline, et une hypophosphatémie en raison de la fuite rénale tubulaire de phosphate. La caractéristique principale de la pathologie au niveau des dents est l’apparition d’abcès spontanés (Fig. 1B), sans étiologie traumatique ou carieuse. Ces abcès sont le résultat de défauts de minéralisation de la dentine (Fig. 1E) associés à des fissures de l’émail, constituant une voie de passage de bactéries dans la pulpe, conduisant à une nécrose de la dent. Le traitement repose sur une supplémentation de phosphate et de 1-α-hydroxyvitamine D3, ce qui permet à la fois une amélioration de la croissance et de la minéralisation osseuse [3]. Cette thérapie a également des conséquences positives au niveau de la minéralisation de la dentine, mais le bénéfice n’existe que pour les dents permanentes, minéralisant après le début du traitement. Les anomalies dentaires impliquent une prise en charge buccodentaire spécifique, basée sur la prévention. Un examen dentaire biannuel est recommandé, avec une prise de clichés radiographiques, afin de dépister d’éventuelles lésions péri-apicales. Le traitement des abcès dentaires spontanés reste la problématique principale, notamment chez les jeunes patients, car le traitement systémique n’améliore pas la qualité de la dentine des dents temporaires, fabriquées in utero. Par conséquent, la mise en place systématique de résines de scellement est recommandée, afin de prévenir la pénétration bactérienne au travers des fissures amélaires. En cas d’abcès, un traitement endodontique conventionnel est préconisé pour les dents permanentes [4]. Pour les dents temporaires, l’extraction ou le traitement endodontique est à considérer en fonction du stade de résorption des racines. *Correspondance : [email protected] 151 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):151-152 C. Chaussain et al. Figure 1 Manifestations dentaires de l’OI et du XLH (e) émail, (d) dentine. A-B-C : Radiographies rétroalvéolaires des incisives maxillaires : (A) d’un enfant témoin de 2 ans, (B) d’une enfant de 3 ans atteint de XLH, présentant une nécrose spontanée de 51, (C) d’une enfant de 4 ans atteinte d’une OI et d’une DI révélant une oblitération des espaces pulpaires des dents temporaires et une constriction marquée de la jonction couronne-racine. D-E-F : Analyse en microscopie électronique à balayage de dents temporaires : (D) aspect de la dentine d’une dent temporaire d’un enfant témoin. Dans le cas du XLH, la minéralisation de la dentine est anormale, avec la présence de calcosphérites, qui n’ont pas fusionnés et d’espaces interglobulaires (*) expliquant la pénétration bactérienne à l’origine de la nécrose (E). Dans le cas de la DI, la jonction amélodentinaire présente un feston anormal, qui explique la perte d’émail. La dentine présente une structure hétérogène pathologique (F). 2.L’OI est une maladie autosomique dominante principalement due à la mutation du collagène de type 1 (COL1A1 ou COL1A2) Au cours des 10 dernières années, plus de 10 autres gènes ont été identifiés. Les manifestations cliniques de l’OI, sont en rapport avec la présence du collagène I, à la fois dans l’os mais aussi dans de nombreux tissus, dont la dentine. Ainsi, outre une fragilité osseuse, les patients peuvent présenter un retard de croissance, une laxité articulaire, des sclérotiques bleues, une surdité précoce et une DI. Il existe une variation phénotypique extrême, des formes létales in utero, aux atteintes sub-cliniques qui ne se manifestent que par quelques fractures au moment de la puberté [5]. Au niveau des dents, la DI se caractérise par une dyschromie des dents temporaires et permanentes. L’examen radiographique permet de mettre en évidence les signes pathognomoniques de la pathologie, à savoir des racines courtes et une oblitération de l’espace pulpaire par la dentine (Fig. 1C). L’émail présente généralement une structure normale, mais la jonction avec la dentine est défaillante (Fig. 1F). Des pans d’émail sont éliminés par les contraintes occlusales, exposant la dentine qui s’abrase facilement, conduisant à une usure dentaire sévère [5]. 152 Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):151-152 Le traitement par bisphosphonates chez l’enfant améliore la densité osseuse, diminue les douleurs et l’incidence des fractures, et semble permettre une amélioration de la croissance bien que les modalités d’administration à long terme fassent encore débat. En effet, des patients adultes traités par de fortes doses de bisphosphonates pour des cancers sont sujets à l’ostéochimionécrose des maxillaires, notamment à la suite d’extraction dentaire. Chez l’enfant, à ce jour aucun cas d’ostéochimionécrose n’a été rapporté. Toutefois il est indispensable de prendre des précautions particulières pour favoriser la cicatrisation post-extractionnelle [6]. Dans l’OI cependant, le bénéfice du traitement dépasse le risque de l’ostéonécrose. Les bisphosphonates, de par leur action anti-résorption, ont par ailleurs des conséquences au niveau du développement dentaire, en retardant l’éruption des dents pour laquelle la résorption osseuse est indispensable. La prise en charge buccodentaire des enfants atteints de DI consiste à prévenir au maximum l’attrition dentaire, à restaurer les dents usées pour améliorer l’esthétique et la fonction. Du fait des similitudes entre l’os et la dentine, il est possible d’améliorer les connaissances sur les mécanismes physiopathologiques qui sous tendent les atteintes des 2 tissus, à partir des recherches effectuées sur les dents. L’exfoliation des dents temporaires représente une ressource considérable de tissus, à laquelle s’ajoutent les extractions pour des raisons orthodontiques. L’analyse de dentine de patients atteints de maladies génétiques a permis d’identifier et de caractériser les défauts de minéralisation. De plus, nos travaux réalisés à partir de cellules souches issues de pulpe dentaire de patients atteints d’XLH ont permis de développer de nouvelles hypothèses physiopathologiques [7]. Ces recherches visent à la fois à améliorer la compréhension de la pathologie et à proposer des stratégies thérapeutiques. Références [1] Qin C, Baba O, Butler WT. Post-translational modifications of sibling proteins and their roles in osteogenesis and dentinogenesis. Crit Rev Oral Biol Med 2004;15:126-36. [2] Opsahl Vital S, Gaucher C, Bardet C, et al. Tooth dentin defects reflect genetic disorders affecting bone mineralization. Bone 2012;50:989-97. [3] Linglart A, Biosse-Duplan M, Briot K, et al. Therapeutic management of hypophosphatemic rickets from infancy to adulthood. Endocr Connect 2014;3:R13-30. [4] Douyere D, Joseph C, Gaucher C, et al. Familial hypophosphatemic vitamin D-resistant rickets--prevention of spontaneous dental abscesses on primary teeth: a case report. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2009;107:525-30. [5] Van Dijk FS, Sillence DO. Osteogenesis imperfecta: clinical diagnosis, nomenclature and severity assessment. Am J Med Genet A 2014;164A:1470-81. [6] Hennedige AA, Jayasinghe J, Khajeh J, et al. Systematic review on the incidence of bisphosphonate related osteonecrosis of the jaw in children diagnosed with osteogenesis imperfecta. J Oral Maxillofac Res 2013;4:e1. [7] Salmon B, Bardet C, Khaddam M, et al. MEPE-derived ASARM peptide inhibits odontogenic differentiation of dental pulp stem cells and impairs mineralization in tooth models of X-linked hypophosphatemia. PLoS One 2013;8:e56749.