
VOLUME 42, JUIN 2011
Xavier Le TorriveLLec 
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Avec plus de 4 millions d’habitants, le Bachkortostan, situé à 1 200 km 
de Moscou, est un haut lieu de l’islam sunnite du fait de la présence de 
deux millions de Tatars et de Bachkirs, populations turciques de tradition 
musulmane1. Convertis à partir du Xe siècle à l’islam de rite hanafi, les 
peuples turciques de la Volga sont intégrés à la Moscovie au milieu du 
XVIe siècle et soumis à une christianisation forcée au milieu du XVIIIe. 
Catherine II modère la politique répressive et crée, en 1788, l’Assemblée 
spirituelle musulmane d’Orenbourg (Orenburgskoe magometanskoe 
dukhovnoe sobranie). Soutenues par une bourgeoisie tatare réclamant 
l’égalité juridique avec les Russes, les élites musulmanes revitalisent 
l’islam (djadidisme) et s’engagent dans un mouvement d’émancipation, 
devenu politique après la révolution de 1905. Après 1917, la chaîne de 
transmission des savoirs est rompue dans la violence des répressions et 
la division ethnique des territoires aboutit à la fondation, en 1918, d’une 
Direction spirituelle des musulmans de Bachkirie (BDUM)2. Les imams 
tatars de la Direction spirituelle centrale des musulmans de la partie 
européenne de l’URSS (CDUM RSFSR), héritière de l’Assemblée spi-
rituelle, obtiennent le démantèlement de la BDUM en 1936. En 1944, la 
CDUM RSFSR compte 12 mosquées dans la République autonome des 
Bachkirs. Aujourd’hui, en raison du renouveau religieux autorisé par la 
perestroïka et la libéralisation postsoviétique, l’orthodoxie et l’islam s’y 
partagent 89 % du total des 1 250 communautés religieuses locales offi-
ciellement enregistrées dans la république. En 2009, 819 mosquées y fonc-
tionnent, contre moins d’une vingtaine en 19863. Les phénomènes migra-
toires (400 000 migrants entre 1992 et 2005) ont renforcé la visibilité de 
l’islam, pluralisé les doctrines en présence (le chiisme des Azerbaïdjanais) 
et poussé à une spécialisation des mosquées de la capitale4. Dans cette 
région à majorité musulmane de la Russie centrale, des modulations sont 
ainsi notables dans la pratique religieuse. Si elles sont souvent corrélées 
au facteur ethnique, elles exigent aussi de s’interroger sur les modalités 
de leur inscription territoriale. Nous faisons en effet l’hypothèse ici que 
les arrangements religieux d’un individu sont fonction de son lieu de vie 
et des réseaux qu’il y a constitués. Nous analyserons donc l’évolution de 
l’islam postsoviétique et la gradation des pratiques au Bachkortostan en 
fonction de la géographie des sociabilités religieuses. S’appuyant sur des 
entretiens réalisés au cours de séjours fréquents en Russie, sur des tra-
1. Le regain religieux des années 1950 et la campagne antireligieuse de Khrouchtchev res-
tent à étudier.
2. Pour les noms des insitutions et leurs abbréviations, voir le glossaire, pp. 14-15.
3. Voir la carte interactive de toutes les communautés religieuses de Russie : http://interfax.
hitroad.ru/
4. Inaugurée en 1998 aux abords d’une avenue très fréquentée d’Oufa, la mosquée Lja-lja 
Tjul’pan accueille un public hétérogène (Turcs, Azerbaïdjanais, Ouzbeks, Tadjiks…). La plu-
part viennent surtout pour retrouver leurs compatriotes et prendre des nouvelles.