Comment refroidir les atomes froids avec la lumière laser

REE N°4/2012 57
les atomes froids
Saïda Guellati-Khelifa (1,2)
Pierre Cla(1)
(1) Laboratoire Kastler Brossel, Ecole normale
supérieure, Université Pierre et Marie Curie
(2) Conservatoire national des arts et métiers
Refroidir des atomes sans créer
un solide
La physique atomique est née au XXe de l’étude
du spectre des gaz atomiques. Cest en observant
l’émission ou l’absorption de la lumière par un gaz que
l’on a compris la structure atomique et ensuite élaboré
les premières théories de la mécanique quantique. Le
fait que les atomes soient en phase gazeuse est impor-
tant car dans cet état ils sont quasiment isolés les uns
des autres et peuvent donc être compris individuelle-
ment. Cependant, dans un gaz, l’agitation thermique
pose problème. A température ambiante, la vitesse ty-
pique dun atome peut atteindre 1 km/s. Lobservation
d’un même atome est donc limitée dans la durée ce
qui limite la précision sur les mesures. De plus, il n’est
pas possible d’utiliser les techniques de cryogénie car à
faible température tous les corps sont en phase solide
ou liquide. C’est pour répondre à ce problème, ralentir
des atomes tout en les maintenant en phase gazeuse,
que sont nées les techniques de refroidissement laser.
Le refroidissement atomique a un intérêt au-delà
du simple ralentissement des atomes. En effet à très
faible température, il est possible dobserver la nature
ondulatoire de la matière. On peut le comprendre à
partir du principe d’Heisenberg qui nous dit qu’il n’est
pas possible qu’une particule ait une position et une
vitesse bien déterminées simultanément. Lorsque l’on
refroidit un gaz datome, la vitesse de chaque atome
tend vers zéro. Latome ne peut alors plus être localisé
en un point et son extension spatiale (l’onde atomi-
que) augmente. Cette nature ondulatoire va pouvoir
s’observer lorsque la taille de londe sera de lordre du
micromètre (longueur d’onde lumineuse). Latome se
comporte alors comme une onde : on peut par exem-
ple le diffracter ou faire des interrences. Un autre
phénomène étrange apparaît lorsque l’extension spa-
tiale des atomes devient beaucoup plus grande que
leur séparation : alors que le gaz est très dilué, que
les forces d’interaction entre atomes sont très faibles,
les interférences entre atomes vont modifier la nature
de la matière. On observe selon la nature des atomes
un condensat de Bose Einstein ou un gaz de Fermi
dégénéré.
Pour refroidir ces atomes, tout en les maintenant
dans une phase gazeuse, plusieurs techniques exis-
tent. Nous décrirons dans cet article le refroidisse-
ment laser et le refroidissement par évaporation. Ces
deux techniques permettent d’atteindre des tempéra-
tures de lordre du nanokelvin - température pour la-
quelle lagitation thermique correspond à des vitesses
de lordre du mm/s. Ces températures sont atteintes
Comment refroidir les atomes froids
avec la lumière laser ?
Principes et techniques
This article is devoted to the description of various mechanisms of the laser cooling of neutral atoms. These mechanisms are
all based on the interaction between a photon, an entity of light, and an atom, an entity of matter. One of the macroscopic
manifestations of this interaction is the pressure of radiation force. The effect of this force is strongly amplified when the source
of photon is a laser. We will describe how it is possible to use this force with the Doppler effect in order to slow an atomic
beam and also to reduce considerably the thermal agitation of atoms. We will explain how by shaping the light potentials
and magnetic fields it is possible to reach extremely low temperatures of some nanokelvin. At these temperatures, very near
to the absolute zero, it is possible for certain kind of atoms, called bosons, to achieve a new state of matter, where quantum
behaviour of atoms became apparent on a macroscopic scale.
ABSTRACT
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les atomes froids
Comment refroidir les atomes froids avec la lumière laser ? Principes et techniques
pour un nuage d’au plus un milliard d’atomes dans un vo-
lume denviron 1 mm3, protégé par une enceinte à vide.
Interaction atome-rayonnement
Du point de vue de la mécanique quantique, l’énergie in-
terne de l’atome est quantifiée. Léchelle des niveaux d’éner-
gie dépend de la structure de l’atome : c’est une sorte de
carte nétique propre à chaque atome. Considérons deux
niveaux dénergie : le niveau fondamental f et le niveau ex-
cité e. La différence dénergie entre les deux niveaux peut
être exprimée en termes de fquence, appelée fréquence
de résonance de la transition atomique
ν
a. Quand latome est
éclairé par un faisceau laser de fréquence
ν
, le photon laser
a d'autant plus de chance d'être absorbé par l'atome que la
fréquence laser est proche de la fréquence atomique
ν
a . On
dit que le laser est quasi-résonant lorsque le désaccord en
fréquence δ = ν a ν est très faible comparé aux fréquences
caracristiques du système (atome, laser).
La durée de vie de l’atome dans le niveau excité est limi-
tée ; il se désexcite vers le niveau fondamental par émission
spontanée d’un photon (photon de fluorescence). Comme
pour un oscillateur classique, la largeur de la sonance, est
inversement proportionnelle au temps d’amortissement.
Pour les transitions atomiques, la largeur de résonance est
définie par la largeur naturelle du niveau excité que lon note
Γ. La durée de vie de latome dans ce niveau est égale à Γ-1.
Par ailleurs, le photon, « particule élémentaire de la lumière »,
est doté d’une impulsion (voir l’encadré 1). Lorsqu’il absorbe
un photon, l’atome encaisse son impulsion et recule dune
vitesse qu’on note désormais
ν
r. De même, quand l’atome
émet un photon spontanément, il restitue l’impulsion acqui-
se. Il faut noter ici un point crucial pour la suite, la direction
du recul induit par labsorption du photon est bien définie,
par la direction du vecteur donde. En revanche le recul dû à
l’émission spontanée est totalement aléatoire.
Les forces de la lumière : force de pression
de radiation
La force exercée par la lumière sur les atomes est à lori-
gine de tous les mécanismes de manipulation d’atomes par
laser. L’idée que la lumière puisse exercer une action ca-
nique sur la matière est vieille de plus de trois siècles. L’intui-
tion de Johannes Kepler fut juste, lorsqu’il expliqua pourquoi
la queue des comètes est orientée à lopposé du soleil, par
la pression de radiation exercée par la lumière solaire sur les
particules de poussière qui constituent la queue. A léchelle
atomique, cette force de pression de radiation se manifeste
par un changement de vitesse occasionné par le transfert de
l’impulsion du photon à latome. Comme nous lavons men-
tionné précédemment, lorsqu’un atome absorbe un photon,
il change de niveau dénergie et il recule. La vitesse de recul
varie selon la nature de latome, elle vaut 6 mm/s pour un
atome de rubidium. A priori, ce changement de vitesse est
très faible comparé à la vitesse moyenne des atomes dans
un gaz à température ambiante, qui est denviron quelques
centaines de mètres par seconde. Pour que laction de la
lumière sur latome soit appréciable, il faudrait lui transmet-
tre beaucoup de reculs en le faisant interagir « longtemps »
avec des photons se propageant dans la même direction. De
ce point-clé découle le rôle fondamental du faisceau laser
dans la manipulation du mouvement des atomes. Dans un
faisceau laser les photons possèdent quasiment la même
énergie et la même impulsion, c’est pour cette raison que
l’action mécanique du laser sur les atomes est spectaculaire.
Figure 1 : Comparaison entre les difrentes échelles de températures.
Encadré 1 : Le laser et son photon.
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Comment refroidir les atomes froids avec la lumière laser ? Principes et techniques
Nous allons maintenant estimer laccélération subie par
l’atome dans un cycle d’absorption-émission spontanée.
Considérons un atome initialement au repos éclairé par un
faisceau laser quasi-résonant. Il absorbe un photon et il recule
de
v
r. Au bout d’une durée égale à la durée de vie du niveau
excité, latome se désexcite et réémet un photon de me
fréquence. La direction du photon émis est aléatoire et les
probabilités d’émettre dans deux directions opposées sont
égales, leffet moyen du recul à lémission spontanée est
alors nul. Ainsi, sur un cycle, laccélération est en moyenne
égale à vr divisée par la durée de vie du niveau excité. Pour
l’atome de rubidium
v
r = 6 mm/s et Γ-1 = 27 ns, laccélération
est égale à 2.2 x 105 m/s2 soit 22 000 fois l’accélération de
la pesanteur !
La force de pression de radiation dépend de la puissance
laser et atteint sa valeur maximale quand la transition atomi-
que est saturée. Nous avons jusqu’ici considéré le cas dun
atome immobile ; en pratique on utilise des gaz ou des jets
atomiques. La fréquence apparente du laser dépend de la
vitesse de l’atome à cause de leffet Doppler. Quand la f-
quence du laser est fixe, la condition de résonance n’est pas
satisfaite pour toutes les classes de vitesse. Par conséquent
la force de pression de radiation pend aussi de la vitesse
de latome.
Ralentissement d’un jet atomique par laser
En 1983, léquipe de W. D. Phillips du National Bureau of
Standards (NIST) à Washington a réussi à ralentir un jet dato-
mes de césium en utilisant la force de pression de radiation.
Lexpérience consistait à éclairer un jet atomique de vitesse
moyenne denviron 1 000 m/s par un faisceau laser se pro-
pageant dans le sens opposé. La principale contrainte, pour
ralentir les atomes du jet, était de compenser le placement
Doppler quand la vitesse diminue et de maintenir ainsi la
condition de résonance. Dans l’expérience de Washington, le
jet atomique était placé sur laxe dun solénoïde qui produisait
un champ magnétique inhomogène. Le champ magnétique
induit un placement des niveaux d’énergie grâce à l’effet
Zeeman. Le profil spatial du champ magnétique était façonné
de telle sorte que la variation de la fréquence atomique due
à l’effet Zeeman compensait le décalage de fréquence à
l’effet Doppler. Cette technique est très efcace, elle permet
de produire un jet continu datomes lents. Tous les atomes
qui sortent du four peuvent être arrêtés pourvu que leur vi-
tesse soit inférieure à une vitesse maximale définie par la
longueur du solénoïde et laccélération maximale induite par
le laser.
La seconde technique montrée par léquipe de J. Hall
à Boulder en 1985, consiste à balayer linéairement au cours
du temps, la fréquence du laser. Elle est plus simple à mettre
en œuvre, mais demeure moins efficace que la prédente,
Figure 2 : Profils de distribution d’un jet de césium ralenti par diodes
lasers à différentes vitesses. Les profils sont obtenus en regardant
le signal de fluorescence atomique induit par un faisceau laser sonde
placé à 1,6 m de la sortie du four (Figure extraite du C.R. Acad. Sci.
Paris, t 306, Série II, p. 1319-1324, 1988).
Effet Doppler
Leffet Doppler est le changement apparent de la
fréquence d’une onde acoustique ou électromagnéti-
que lorsque la source est en mouvement par rapport à
l’observateur. Cet effet est à l’origine du changement de
la tonalidu son émis par une ambulance en mouve-
ment. Le son est aigu (fréquence élevée) lorsqu’elle se
rapproche de l’observateur et il devient grave (basse f-
quence) lorsqu’elle s’en éloigne. Au premier ordre près,
le calage Doppler est proportionnel à la vitesse rela-
tive entre la source et lobservateur, tant en référentiel
galiléen qu’en hypothèse relativiste.
Encadré 2 : Effet Doppler.
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les atomes froids
Comment refroidir les atomes froids avec la lumière laser ? Principes et techniques
elle permet de produire uniquement des bouffées datomes
lents. La figure 2 montre une série de profils de vitesses,
réalisés en 1988 dans l’équipe de C. Cohen-Tannoudji au La-
boratoire Kastler Brossel. Les profils de vitesse sont obtenus
en détectant la fluorescence des atomes en fonction de la
fréquence d’un laser sonde placé à 1,6 m de la sortie du four
atomique. On duit le profil de vitesse du spectre de fluo-
rescence grâce à leffet Doppler. On voit sur la figure 2, qu’il
est possible de ralentir les atomes à différentes vitesses et on
peut même changer leur direction pour les renvoyer dans le
four. On observe aussi une réduction substantielle de la lar-
geur de la distribution des vitesses autour de la vitesse finale.
Lagitation thermique des atomes ralentis est beaucoup plus
faible. Le laser permet ainsi de refroidir les atomes.
Refroidissement datomes par laser :
mélasse optique
La décennie qui a suivi les premières expériences de ra-
lentissement d’atomes fut une époque faste pour la physique
atomique. Les premières idées ont exalté le génie des phy-
siciens et ouvert des horizons extraordinaires pour la physi-
que. De nombreux mécanismes, de plus en plus subtils, ont
été proposés pour manipuler finement le mouvement des
atomes : mélasse optique, piège magnéto-optique, refroidis-
sement évaporatif, etc. Ces nouveaux systèmes physiques
ont rapidement été mis en pratique pour comprendre et affi-
ner diverses facettes de la physique : physique de la matière
condensée, biophysique, métrologie.
Le mécanisme le plus simple pour refroidir les atomes, uti-
lise la force de pression de radiation. Il s’agit du « refroidisse-
ment Doppler ». Le principe consiste à éclairer les atomes par
deux faisceaux laser de même fquence se propageant dans
deux directions opposées. Pour que le mécanisme soit ef-
cace, la fréquence des lasers doit être légèrement inférieure
à la fquence de résonance dun atome au repos. Un atome
au repos subit une force nulle, du fait de laction antagoniste
des deux faisceaux laser. Considérons maintenant un atome
animé d’une vitesse . A cause de l’effet Doppler, la fréquen-
Figure 3 : Principe du refroidissement Doppler.
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Comment refroidir les atomes froids avec la lumière laser ? Principes et techniques
ce laser apparente est déplacée de la quantité . D’après
la figure 3, pour un atome qui se dirige vers la gauche, la fré-
quence apparente de l’onde laser 1 est plus grande que celle
du laser 2. En dautres termes le saccord à résonance avec
le laser 1 est plus faible comparé au désaccord avec le laser 2.
Il absorbe beaucoup plus de photons du laser 1. Par consé-
quent l’intensité de la force de pression de radiation exercée
par ce laser est plus importante. La situation s’inverse quand la
vitesse de l’atome est inversée. Au final, tous les atomes dont
la vitesse est inférieure à la vitesse de capture
v
c
1 sont soumis
à une force de friction proportionnelle à la vitesse. Cette force
résulte de l’action conjointe des forces de pression de radiation
exercées par les deux ondes laser.
Ce modèle, à une dimension, peut aisément se générali-
ser à trois dimensions. En pratique, pour fabriquer un échan-
tillon datomes froids. On choisit des atomes pour lesquels
les fréquences lasers requises sont disponibles. C’est le cas
des atomes de rubidium et du sium. Le gaz atomique est
éclairé par trois paires de faisceaux laser. Au bout dune frac-
tion de seconde, plusieurs milliers d’atomes sont confinés
dans une mélasse optique : une zone de lumière définie par
l’intersection des six faisceaux lasers. Leur vitesse dagitation
thermique se réduit à une dizaine de centimètres par secon-
de soit une température moyenne de lordre de la centaine
de microkelvins.
Le mole du refroidissement Doppler pdit une tempéra-
ture limite qui pend de la largeur naturelle du niveau excité Γ,
120 microkelvins pour l'atome de rubidium. La première mélas-
1 La vitesse de capture est telle que le déplacement Doppler est environ
égale à la largeur naturelle du niveau excité G.
se optique tridimensionnelle a été observée au Bell Labs, à New
Jersey, sur des atomes de sodium (figure 4). Pour augmenter
l’efficacité de capture dans la mélasse, celle-ci fut chargée par
des atomes préalablement ralentis dans un jet atomique.
Figure 4 : Photographie d’une mélasse optique de sodium. Les atomes sont ralentis par laser avant de rentrer dans la mélasse optique
à trois dimensions (figure extraite de la leçon Nobel de Steven Chu, lauréat 1997).
Figure 5 : Mesures de température d’une mélasse optique
à trois dimensions en fonction de l’intensité laser et du désaccord
à résonance δ. Le paramètre représente la fquence de Rabi
(proportionnelle à l’intensité laser) et Γ la largeur naturelle
du niveau excité. Ces mesures ont été réalisées en 1990
au Laboratoire Kastler Brossel. La figure est extraite du papier :
C. Salomon et al. Europhys. Lett. 12, 683 (1990).
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