chapitre 4

publicité
CHAPITRE 4
France vers la modernité du milieu
Q La
du XIX siècle à 1914
e
Document d’ouverture
2. La France rurale en 1911
page 13
La France reste, à la veille de la Première Guerre
mondiale, majoritairement rurale, les campagnes
représentant encore 56 % de la population. Certaines
régions entières restent massivement rurales : le
sud du Massif central, les Alpes, les Landes, et
d’une façon générale les provinces de l’Ouest et
du Sud-Ouest. Seuls les départements du Nord,
du littoral méditerranéen, de la Gironde, du
Lyonnais, et l’Île de France sont déjà majoritairement citadins. Les grandes villes sont cependant
en nombre limité. Les villes petites et moyennes,
comprenant entre 5 et 20 000 habitants, dominent
numériquement.
Par ce caractère encore massivement rural, la France
se différencie nettement de ses grands voisins,
en particulier du Royaume-Uni, dans lequel dès
1851, la population urbaine est majoritaire. C’est
la conquête de cette France rurale qui permet
entre 1870 et 1877 aux républicains de conquérir
le pouvoir. Elle sera ensuite l’assise de la république radicale au début du XXe siècle.
François-Joseph Luigi Loir dit Luigi Loir (18451916) est un peintre français qui s’est illustré dans
les paysages et vues de Paris ; il a également été illustrateur de publicités et de titres. C’est lui qui a
réalisé cette couverture de l’Encyclopédie du siècle
consacrée à « l’Exposition universelle de 1900 ». Il
y représente bien des éléments qui caractérisent la
France au tournant des XIXe et XXe siècles.
Au premier plan, à gauche, les personnages exotiques font référence à l’empire colonial français,
base de la puissance économique, politique et
culturelle du pays.
Au-dessus se dressent deux allégories : l’une, tenant une roue, semble symboliser l’industrie (la
France entre alors dans la deuxième révolution
industrielle). L’autre, couronnée de tours et ayant
à ses pieds l’écusson, les armoiries bleues, rouges et
fleurdelisées de la ville de Paris, symbolise la capitale qui ouvre ses bras au monde. Ces deux figures
féminines ne sont pas sans évoquer Marianne, et
directement la République, régime de la France
depuis 1870.
À l’arrière-plan, et jusqu’à l’horizon, s’étend Paris,
dont on distingue surtout au premier plan le début de l’espace de l’Exposition : la porte de la place de la Concorde, à partir de laquelle se succèdent
le long de la Seine les principaux pavillons, jusqu’à la tour Eiffel, qui domine de sa flèche d’acier
l’étendue de la ville. La tour Eiffel et l’Exposition
sont des symboles du rayonnement qu’exercent
alors Paris et la France.
Cartes clés
pages 232-233
1. Le territoire français depuis 1789
Le territoire français a connu des modifications
territoriales tout au long du XIXe siècle : après les
changements provoqués par les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, le congrès de Vienne
de 1815 a fixé, pour près d’un demi-siècle, les limites du pays. Celles-ci évoluent à nouveau en
1860, avec l’acquisition de la Savoie et du comté
de Nice, puis en 1871 avec la perte de l’AlsaceMoselle.
3. La croissance du trafic ferroviaire
entre 1854 et 1913
Le réseau ferroviaire français s’est constitué en
trois phases principales. Le premier réseau date
de la monarchie de Juillet, notamment depuis le
vote de la loi de 1842 qui associe l’État, fournisseur des terrains, et les compagnies privées qui obtiennent la concession des lignes. Centré sur Paris, ce premier réseau relie la capitale aux grandes
villes du Nord, du Nord-Est et à Bordeaux, ainsi
qu’aux principales villes du centre et à la Normandie. En province, seules les régions de Lyon et de
Marseille, pôles industriels majeurs, possèdent
un réseau. Le Massif central, les Alpes, un grand
Sud-Ouest et l’Ouest ne sont pas pourvus.
Le réseau s’étend ensuite sous le Second Empire :
il se complète de liaisons entre Paris et les grandes
villes de province. Enfin, la IIIe République multiplie les lignes secondaires, d’intérêt local. Ainsi
à la veille de la Première Guerre mondiale, l’ensemble du territoire est-il maillé de voies ferrées.
Certains axes cependant dominent : le réseau
rayonnant de Paris, l’axe Nord-Lorraine, le sillon
rhodanien.
P59Q
Découvrir 1
Construction territoriale
et sentiment national
pages 140-141
Problématique : Comment les
modifications territoriales contribuentelles à forger le sentiment national ?
La France connaît plusieurs modifications territoriales après 1850 : elle récupère le comté de Nice
et la Savoie après plébiscites en 1860. Mais elle
perd l’Alsace et la Moselle lors de la guerre contre
la Prusse en 1870-1871. Cela suscite un véritable
traumatisme qui contribue à forger le sentiment
national, grâce à une importante réflexion sur les
termes de nation et de patrie dont le but est de légitimer l’appartenance de ces régions à la France.
Explication des documents
Doc 1Q Après l’annexion de l’Alsace et de la
Moselle à la France en 1871, une importante résistance à la germanisation se manifeste par le maintien du costume traditionnel ou l’emploi de la
langue française, dans le cadre privé comme dans
certaines écoles.
Doc 2Q Sous la IIIe République, l’enseignement
de l’histoire répond à une nécessité politique et
civique : l’étude du passé doit forger une mémoire
collective et faire l’éducation patriotique et républicaine des jeunes Français. Ernest Lavisse y contribue en tant qu’historien « officiel » (conception
des programmes à partir de 1882, rédaction de manuels…).
Il rappelle les principales modifications du territoire français depuis 1850. Il se réfère aux plaintes
des députés des provinces annexées et à l’action
du parti dit « de la protestation », qui envoie plusieurs députés alsaciens et lorrains au Reichstag,
lesquels réclament en vain en février 1874 la tenue
d’un plébiscite. Cependant à l’époque du texte, les
« protestataires » commencent à s’effacer devant
les partisans, plus pragmatiques, de l’autonomie.
Doc 3Q Forte du souvenir de son appartenance à
la France sous la Révolution et l’Empire, la Savoie,
rattachée au royaume de Piémont-Sardaigne en
1815, voit renaître les remises en cause de l’intégration de la province au royaume italien à partir
des années 1850. En échange de son intervention
aux côtés du Piémont contre l’Autriche en 1859,
Napoléon III avait obtenu en 1860 le rattachement de la Savoie et du comté de Nice à la France.
Ce rattachement fut rendu effectif après la tenue
d’un plébiscite.
Le document est emblématique de la propagande
exercée à quelques jours de la consultation par les
agents profrançais qui mettent en avant trois arguments principaux :
– un argument politique : le caractère démocratique du rattachement ;
– un argument économique : la Savoie bénéficiera
« de tous les avantages » offerts par la puissance
française : développement industriel, emploi, fréquentation des stations thermales… ;
– un argument culturel : Savoyards et Français
appartiennent à la même communauté culturelle,
donc nationale.
Doc 4Q Le débat sur l’appartenance de l’Alsace à
la France ou à l’Allemagne a été l’occasion d’une
polémique entre intellectuels français et allemands (Denis Fustel de Coulanges, Ernest Renan
d’une part, Theodor Mommsen, David Friedrich
Strauss d’autre part) qui est à l’origine de deux
définitions opposées de la nation. D’après Ernest
Renan, une nation se définit par deux critères essentiels :
– une histoire commune à tous les membres du
groupe : « un passé », « le sentiment des sacrifices
qu’on a faits » ;
– l’adhésion volontaire et libre à cette nation :
« le consentement, le désir clairement exprimé de
continuer la vie commune ».
Le droit des nations évoqué par Renan consiste
en l’idée qu’un État ne peut disposer à sa guise des
populations, ni conquérir un territoire comme il
l’entend : toute modification d’appartenance nationale doit passer par une consultation démocratique et être librement acceptée par la population
concernée. On retrouve cette idée chez Ernest
Lavisse et dans la tenue des plébiscites en 1860.
L’appartenance à une nation relève d’un choix
conscient, d’un effort des populations désireuses
de partager un même destin.
Doc 5Q Ce document a été publié dans le contexte
de la deuxième crise marocaine (« coup d’Agadir »
le 1er juillet 1911), qui oppose la France et l’Allemagne pour le contrôle, notamment économique,
du royaume chérifien. La tension est très grande
et mobilise les deux opinions publiques qui envisagent sérieusement le déclenchement d’une
guerre.
L’attitude belliqueuse du soldat allemand sur
l’image (il agite la foudre, bombe le torse, son épée
est dégainée : il est prêt à un combat qu’il semble
vouloir déclencher), et celle, pacifique, du soldat
français (il a le fusil au repos, il ignore celui qui le
défie), témoignent assez bien de cet état d’esprit. Le
soldat allemand est présenté comme agressif, alors
que le Français affirme un patriotisme défensif.
La frontière est représentée de deux manières : on
montre la frontière naturelle, avec la longue dépression marquant le terrain, qui évoque la vallée
du Rhin ; on montre également la frontière humaine, militaire, avec la barrière au sol, les deux
soldats « face à face » et les batteries d’artillerie
(canons à l’arrière-plan, à gauche).
P60Q
Doc 6Q La défaite de 1871 a entamé le modèle
jacobin d’une « République une et indivisible ».
Les critiques se multiplient dans les années 1870
contre l’idée trop abstraite de nation, qui a détourné les citoyens de leur appartenance identitaire fondamentale, le sol, la terre, le « pays ».
Aussi les Républicains cherchent-ils à renforcer le
sentiment individuel d’appartenance locale, par la
mise en avant des « petites patries », c’est-à-dire
les différentes régions, les « anciennes provinces »
qui ont leur propre histoire, une certaine identité
géographique (« les paysages familiers ») et des
spécificités culturelles (« les costumes, les coutumes, l’accent »). Elles sont complémentaires de la
« grande patrie » : aimer sa région est un moyen
de mieux aimer la France. L’École, par ses manuels scolaires (ici celui de Charles-Victor Langlois), met en exergue cette double appartenance :
loin de vouloir éradiquer le local, elle prend appui
sur lui pour construire l’identité nationale (voir
Jean-François Chanet, L’école et les petites patries,
Aubier, 1996).
Découvrir 2
Le territoire organisé,
vécu, imaginé
pages 142-143
Problématique : Comment les Français
s’approprient-ils le territoire national
dans la seconde moitié du XIXe siècle ?
Le territoire français est encore loin de l’unité
dans les années 1850-1914 : les langues régionales
y sont encore très présentes. Néanmoins on assiste
à une unification progressive grâce aux transports,
notamment ferroviaires, qui permettent de mieux
relier les différentes parties du pays. Cela entraîne
une certaine uniformisation des modes de vie, et
modifie la vision que les Français ont de leurs
concitoyens et de leur territoire, qu’ils connaissent et s’approprient de mieux en mieux.
Explication des documents
Doc 1Q Dans les années 1850-1914, la diversité
linguistique se manifeste par la persistance des
« patois » au détriment de la langue française,
notamment dans le sud du pays (Massif central,
Midi) et en Bretagne. Cependant, la pratique du
français progresse tout au long de la période, à
partir du Bassin parisien. À la fin du XIXe siècle, il
n’y a plus que quelques départements où résistent
les parlers locaux, en Bretagne et dans le Massif
central essentiellement. Cela est dû notamment à
la généralisation de l’enseignement primaire, mais
aussi à la mise en place du service militaire obligatoire qui produit un brassage de populations,
et bien entendu à la révolution ferroviaire qui
rapproche les hommes en réduisant les distances.
Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Eugen Weber (Peasants into Frenchmen), les paysans des terroirs deviennent peu à peu des Français.
Doc 2Q Le plan Freycinet, du nom du ministre
des Travaux publics, est un vaste programme de
construction d’infrastructures adopté en 1878. Il
consiste notamment à édifier 11 000 km supplémentaires de voies ferrées, d’intérêt local, et à
unifier le réseau de canaux afin de le rendre plus
praticable.
L’extension des réseaux de transport a de nombreux impacts. En matière d’économie, elle facilite
les échanges commerciaux, l’approvisionnement
en matières premières et en produits agricoles de
régions qui en manquent. Par ailleurs, la vie des
populations s’en trouve transformée : les régions
isolées sont désenclavées (notamment dans les
massifs montagneux), les habitants peuvent se déplacer plus facilement. Il y a également une plus
grande proximité entre pouvoir central et territoires, mais aussi entre les différentes régions du
pays.
Doc 3Q Le développement des chemins de fer
facilite les déplacements sur de longues distances
et donc les voyages touristiques. Il n’y a pas encore de tourisme de masse à la Belle Époque, celui-ci restant une pratique nécessitant des moyens
financiers et du temps libre dont ne disposent
par les classes populaires. Mais sur le modèle des
élites urbaines, une partie de plus en plus importante des classes moyennes s’approprie la mode de
la villégiature, balnéaire surtout. Cela permet des
contacts et des échanges entre les populations et
les modes de vie des différentes régions. La carte
postale, publiée par la compagnie des chemins de
fer de l’Ouest (sous la direction de l’État depuis
1906), traduit la volonté d’associer le local (le costume régional) au national (proximité de Paris
relié directement en 7 heures) et même l’échelle
européenne (Les Sables d’Olonne, plus belle plage
du continent). Elle met aussi en évidence la multiplicité de l’offre de loisirs (promenades, tir au
pigeons, régates), la modernité de la station (tramways, téléphone), traduisant ainsi la vision d’un
territoire dans lequel les distances sont réduites
et les périphéries reliées au centre, sans qu’elles
perdent pour autant leur identité.
Doc 4Q L’uniformisation des modes de vie se
manifeste dans les pratiques culturelles essentiellement, qu’elles soient vestimentaires ou alimentaires.
Les facteurs en sont variés : la révolution des
transports entamée dès avant 1850 facilite la
diffusion des produits alimentaires sur tout le
territoire ; la multiplication des voyages met en
contact les populations des différentes régions du
territoire, et permet des processus de transferts
culturels, d’acculturation. Le plus important est
P61Q
la diffusion du modèle urbain et notamment parisien. Les grands magasins qui fleurissent à partir
des années 1850 contribuent à cette uniformisation par la consommation de masse et la démocratisation de la mode.
Doc 5Q Les migrations internes et notamment
l’exode rural augmentent durant cette période.
Elles entraînent l’implantation dans la capitale
– mais aussi dans les autres grandes villes – de
« colonies » provinciales (Bretons, Auvergnats,
Savoyards, Corses…) qui amènent avec elles leurs
pratiques culturelles et leurs traditions qu’elles
cherchent à sauvegarder (le XIXe siècle est marqué par le goût nouveau du folklore). Cela n’est
pas sans conséquences sur les représentations et
l’installation d’un certain nombre de stéréotypes,
notamment concernant les Bretons, dont l’image
se fixe dès les années 1820-1830 et perdure tout au
long du siècle, avant d’être récupérée et revendiquée par les Bretons eux-mêmes comme constitutive de leur identité.
Doc 6Q Le trajet du Tour de France en 1913 suit
presque les frontières du pays et dessine ainsi
l’hexagone que forme le territoire. L’utilisation de
cette figure est popularisée par les géographes de
la fin du siècle (Élisée Reclus…). L’Hexagone, qui
remplace l’image de l’œuf, est le symbole d’une
certaine « perfection » géométrique de ce territoire, dont la construction semble ainsi achevée.
Départ et arrivée du Tour se font à Paris, ce qui est
caractéristique du rôle de la capitale dans le pays :
Paris, qui représente 7 % de la population française à la veille de la Grande Guerre, domine en
effet en matière politique, économique et culturelle, sans rivale ni contestation.
Découvrir 3
Stagnation démographique et
immigration
pages 144-145
Problématique : Quels défis l’évolution
de la population pose-t-elle à la France
de 1850 à 1914 ?
La France est confrontée au XIXe siècle à une évolution démographique originale, différente de celle
de ses voisins : sa faible natalité tout au long du
XIXe siècle inquiète les contemporains qui y voient
surtout un risque de déclassement de la France
dans le monde. Pour répondre à ce défi, les gouvernements encouragent la natalité et favorisent l’immigration. Dès 1889, une loi facilite l’obtention
de la nationalité française. Mais cette ouverture
provoque une xénophobie importante dès la fin du
XIXe siècle, dans les régions industrialisées de la
France où les étrangers sont nombreux.
Explication des documents
Doc 1 (voir également document page 147) Q
La propagande nataliste utilise massivement la
carte postale pour diffuser ses idées. La « Ligue
pour le relèvement de la natalité française et la
défense des familles nombreuses » cherche par ce
biais à sensibiliser la population aux risques que
représente l’affaissement de la natalité. L’impératif patriotique est mis en avant : la reconquête
de l’Alsace-Lorraine ne peut se faire sans une armée nombreuse, donc une reprise du dynamisme
démographique. L’analyse de la carte (page 147)
montre la situation difficile du pays, où l’on dénombre « plus de cercueils que de berceaux » : les
départements en noir sont ceux où la mortalité est
supérieure à la natalité : ils sont 67, contre 22 où
la situation est inverse. Les plus dynamiques sont
ceux où la tradition catholique perdure (Bretagne,
Centre-Ouest) et où la population ouvrière est importante (Nord). Le chiffre inscrit sur le département semble indiquer le pourcentage départemental de décès par rapport aux naissances.
Doc 2Q Comme de nombreux documents issus de manuels scolaires de l’époque, ce texte
met en avant la faiblesse de la natalité et de la
fécondité françaises et donc son faible accroissement naturel. Si celui-ci est en partie compensé
par l’immigration (principalement d’ouvriers),
les conséquences de cette évolution alarment les
contemporains, notamment la perte de puissance
de la France par rapport à ses voisins dont la population augmente (en particulier l’Allemagne) :
« le nombre semble devoir devenir de plus en plus
un des éléments principaux du succès ».
Doc 3Q On observera de 1851 à 1911 la très faible
augmentation de la population (à peine 5 millions
de personnes en plus). On remarquera la diminution de population après l’annexion de l’AlsaceMoselle en 1871. Cette très faible augmentation
s’explique par la faiblesse du taux de natalité (qui
ne cesse de baisser depuis les années 1880, et qui
est au plus bas en 1911 à moins de 20 ‰), à peine
supérieur au taux de mortalité. La précocité de la
transition démographique française (XVIIIe siècle) a provoqué l’entrée dans le nouveau régime
démographique. À ce fait ancien, s’ajoutent des
facteurs socio-politiques : les petits propriétaires
ruraux redoutent une descendance nombreuse
qui les obligerait au partage entre des héritiers
désormais égaux depuis le Code civil de 1804 et
provoquerait l’émiettement des patrimoines. On
peut y voir également un effet de la propagande
antinataliste dans certains milieux ouvriers qui
refusent d’enfanter de « la chair à canon » ou de
créer « l’armée de réserve du capital ».
L’augmentation de la population s’explique donc
uniquement par l’apport de l’immigration : sur
l’ensemble de la deuxième moitié du XIXe siècle,
le nombre d’étrangers a pratiquement triplé (il est
passé de 0,4 million en 1851 à 1,1 million en 1911).
P62Q
Doc 4Q L’objectif de cette loi est d’augmenter
le nombre de Français (et donc indirectement
le nombre de soldats dans un contexte de lendemains de défaite contre l’Allemagne, dont la démographie se porte mieux). Dès 1851, les conditions d’acquisition de la nationalité française ont
été assouplies afin d’augmenter le nombre de
Français. Ce droit est élargi par la loi de 1889 :
le droit du sol (« résidence non interrompue pendant dix années », article 2), le mariage (article 4),
ainsi que les services rendus par un étranger à la
France (même économiques, article 3) permettent
d’être naturalisé. La nationalité française permet
au citoyen de jouir des « droits civils et politiques
attachés à la qualité de citoyen français », notamment à l’époque, le droit de vote et d’éligibilité.
Doc 5Q Les étrangers sont plus nombreux dans
les régions frontalières et littorales ainsi que dans
les grandes villes. Cela s’explique par la proximité
géographique induite par leur provenance (les
étrangers sont concentrés dans les régions frontalières limitrophes de leur pays d’origine), mais
surtout parce que les régions fortement industrialisées qui offrent du travail sont essentiellement
situées dans le nord-est de la France.
Les migrants sont principalement européens, les
plus nombreux étant les Italiens et les Belges,
qui forment 60 % de l’effectif étranger en 1914.
Viennent ensuite les Espagnols, les Allemands et
les Suisses.
Là où les étrangers sont nombreux, incidents xénophobes et rixes se multiplient à la fin du XIXe
siècle, comme par exemple les émeutes anti-italiennes à Aigues-Mortes, le 17 août 1893 qui causeront la mort d’une dizaine d’Italiens, accusés de
prendre le travail des Français. L’on parlera même
à leur sujet des « Vêpres provençales », en référence
aux Vêpres siciliennes de 1282. Ainsi ces émeutes
correspondent-elles, d’un point de vue économique, à une période de crise et de chômage dont les
étrangers sont les boucs émissaires.
Doc 6Q La revue Simplicissimus est une revue
satirique allemande fondée en 1896 à Munich.
Cette caricature, qui vise à représenter la situation française, donne une vision xénophobe de
l’immigration au début du siècle. Celle-ci est représentée comme une invasion de gens pauvres
(image des mendiants) venus d’Afrique du Nord
(présence d’un chameau) et de gens qui pillent la
France (les personnages ont les mains remplies de
victuailles).
Bibliographie
Maîtrise du territoire et population
• C. Charle, Histoire sociale de la France au XIXe
siècle, Seuil, 1991.
•F. Demier, La France du XIXe siècle, 18141914, Seuil, 2000.
• P. Goetschel et E. Loyer, Histoire culturelle de
la France de la Belle Epoque à nos jours, Armand
Colin, Cursus, 2002.
• F. Melonio, Naissance et affirmation d’une
culture nationale. La France de 1815 à 1880
(extrait de Histoire culturelle de la France),
Points Seuil, 1998.
• C. Nicolet, L’idée républicaine en France (17891924), Gallimard, Tel, 1994.
• G. Noiriel, Atlas de l’immigration en France :
exclusion, intégration…, Autrement, 2002.
• F. Ronsin, La grève des ventres, Aubier, 1980.
Travaux à caractère pédagogique
La Documentation Photographique :
• N° 8024. La société européenne au XIXe siècle.
Hiérarchies et mobilités sociales, 2001, F. Demier.
• N° 8035. Les immigrés et la France. XIXe siècleXXe siècle, 2003, M.-C. Blanc-Chaleard.
Regards sur… les chemins de fer
pages 148-149
Le chemin de fer, moyen de transport moderne a
d’abord suscité, par son fracas, sa fumée et sa vitesse, le scepticisme, la crainte voire l’hostilité de
la population. Mais, dans la deuxième moitié du
XIXe siècle, par son extension progressive à tout
le territoire, il entre dans le quotidien des Français, et commence à faire partie de leur imaginaire.
La production culturelle s’en ressent, notamment
avec deux des vecteurs de la culture de masse que
sont, au tournant du siècle, la carte postale pour la
photographie, et le roman pour la littérature. Au
même titre que les monuments ou les panoramas,
les gares et l’architecture ferroviaire deviennent un
sujet de carte postale, preuve qu’elles entrent dans
le paysage mental des Français. Des peintres (Monet) en font un de leurs thèmes favoris (voir également pages 8-9). Émile Zola y consacre un roman
entier, La Bête humaine, en 1890 ; dans la description qu’il fait de la gare Saint-Lazare, il reprend
les images traditionnelles, le fracas des machines,
le bruit des sifflets et des jets de vapeur, les nuages
de fumée noire ou blanche, mais pour en livrer une
description poétique et en dégager l’intérêt esthétique. Sa description montre à quel point le train
est devenu banal : train de banlieue, train « grande
ligne », il est devenu indispensable à la vie quotidienne, pour le travail comme les voyages.
P63Q
Découvrir 4
Le processus d’intégration
républicaine
pages 150-151
Problématique : Comment la République
permet-elle la consolidation
de la démocratie à la Belle Époque ?
Si la IIIe République est installée définitivement à
la Belle Époque, en revanche, la démocratie progresse encore. De nouvelles structures, les partis
politiques, apparaissent et participent au processus d’intégration républicaine en défendant par
leurs programmes les valeurs de la démocratie
politique et sociale. Ils ne sont cependant pas les
vecteurs uniques de cette intégration, puisqu’ils
ne sont pas encore des partis de masse. L’élu local
joue un rôle important et permet notamment l’adhésion des campagnes à la République.
Explication des documents
Doc 1Q Même si des comités radicaux existent
depuis longtemps, le Parti républicain, radical et
radical-socialiste ne se constitue qu’en 1901. Il est
le premier parti de France à être crée après la loi sur
les associations, qui a donné une existence juridique aux partis.
Auparavant la vie politique se structurait dans des
clubs et des comités qui pouvaient être permanents
ou limités aux périodes électorales. Représentants
des comités locaux et parlementaires se rencontrent lors des Congrès qui permettent de définir le
programme du Parti. Ils sont animés par quelques
grandes figures politiques (comme Jean Jaurès pour
la S.F.I.O., document 4).
Doc 2Q A la veille de la Première Guerre mondiale, le radicalisme est implanté de façon inégale
sur le territoire.
Il l’est majoritaire dans les régions du Centre
(Bourgogne, Massif central) et du Sud-Ouest
(Aquitaine, Languedoc), qui représentent un quart
des députés radicaux aux élections de 1914. Dans
ces régions, le Parti radical dispose d’un électorat
issu des « couches nouvelles» (paysannerie aisée,
artisanat et petit commerce, professions libérales)
qui trouve son compte dans les avancées permises
par la République.
À l’inverse, dans les grandes villes, en région parisienne et dans le Nord, où les ouvriers sont majoritaires, le socialisme est plus présent, tandis que
les Alpes, le Nord-Est et, de façon plus ancienne,
la Corse et l’Ouest, sont des régions où la droite et
les modérés dominent. Il en va de même dans les
départements des régions radicales, comme ceux
du sud du Massif central et du Pays Basque.
Doc 3Q Le parti radical est traversé après sa victoire aux élections législatives de 1906 par une série de débats internes liés à son action gouvernementale. C’est dans le but de clarifier la situation,
et de fédérer les différents courants qu’est publié
le programme de Nancy en 1907.
Le radicalisme reprend l’héritage de la Révolution de 1789 et s’inspire également des mouvements égalitaristes du XIXe siècle. On retrouve
ainsi dans son programme la démocratie politique
et des éléments de démocratie sociale, l’égalité
étant surtout perçue comme un moyen d’assurer
la liberté des citoyens.
Les radicaux défendent ainsi le suffrage universel
et le parlementarisme, la liberté et la laïcité. Ils
affirment également face aux libéraux le rôle de
l’État dans la prise en charge des plus faibles grâce
à la solidarité (cf. le solidarisme théorisé par Léon
Bourgeois dans son ouvrage Solidarité, publié en
1896). Dans ce but, ils proposent la mise en place
de retraites (loi de 1910), et d’un impôt progressif sur le revenu (loi de juin 1914). Cependant, ils
restent, face aux socialistes, attachés à la propriété
individuelle.
Doc 4Q Jean Jaurès, fondateur en 1904 du journal L’Humanité, est l’un des chefs de la S.F.I.O.
fondée en 1905. Lors du 5e congrès national (octobre 1908), un grand débat oppose Jean Jaurès
partisan d’une action réformatrice aux guesdistes
qui prônent le recours à la révolution.
Jules Guesde étant absent du Congrès pour cause
de maladie, le débat tourne à l’avantage de Jaurès
qui conçoit le socialisme comme le prolongement
de la République. Il refuse d’engager le parti sur
la voie d’un soutien à la grève générale et à l’insurrection. Il réclame au contraire le soutien à une
voie réformiste, prenant le chemin de l’action parlementaire, municipale. Le Congrès de Toulouse
marque le début du leadership de Jaurès sur le
mouvement socialiste français qui durera jusqu’en
1914.
Doc 5Q La loi du 29 juillet 1913 réforme le code
électoral en instaurant la représentation officielle
des candidats dans les bureaux de vote (présence
d’assesseurs), l’utilisation d’enveloppes et l’obligation de passer par l’isoloir. Cette loi permet que
le vote, désormais secret, soit véritablement l’expression d’une opinion politique individuelle en
évitant les habituelles pressions exercées parfois
par les notables sur les électeurs. Elle fut testée
pour la première fois en 1913 à l’occasion d’élections partielles et généralisée aux élections législatives de 1914.
P64Q
Document complémentaire
Loi du 29 juillet 1913 sur le secret et la liberté du
vote ainsi que la sincérité des opérations électorales (extraits)
Article 3. Dans toutes les élections, le vote a lieu
sous enveloppes. Ces enveloppes sont fournies par
l’administration préfectorale. Elles sont opaques,
non gommées, frappées du timbre à date des préfectures ou des sous- préfectures, et de type uniforme pour chaque collège électoral. Elles seront
envoyées dans chaque mairie, cinq jours au moins
avant l’élection, en nombre égal à celui des électeurs inscrits.
Article 4. À son entrée dans la salle du scrutin,
l’électeur, après avoir fait constater son identité
suivant les règles et usages établis, ou après avoir
fait la preuve de son droit de voter par la production de la décision ou de l’arrêté mentionné
à l’article 213 de la loi municipale du 5 avril 1884,
prend lui-même une enveloppe. Sans quitter la
salle du scrutin, il doit se rendre isolément dans
la partie de la salle aménagée pour le soustraire
aux regards pendant qu’il met son bulletin dans
l’enveloppe ; il fait ensuite constater au président
qu’il n’est porteur que d’une seule enveloppe : le
président le constate sans toucher l’enveloppe que
l’électeur introduit lui-même dans l’urne. Dans
chaque section de vote, il y aura un isoloir par trois
cent électeurs inscrits ou par fraction. Les isoloirs
ne devront pas être placés de façon à dissimuler au
public les opérations électorales.
Doc 6Q Le professeur de français Roger Thabault
a raconté dans Mon Village (Delagrave, 1943) l’histoire de sa commune natale, un bourg d’un millier
d’habitants, Mazières-en-Gâtines, dans les DeuxSèvres.
Les idées républicaines se diffusent surtout par le
biais de la presse, notamment après la loi du 29
juillet 1881 qui supprime toute forme de censure
et permet la libre expression des opinions. La
lecture de cette presse prend des formes variées :
alors que les paysans sont encore peu lecteurs,
les ouvriers, artisans et employés et, bien sûr, les
élites anciennement alphabétisées, y sont plus habitués. La presse quotidienne provinciale compte
240 titres à la Belle Époque, tirés à quatre millions
d’exemplaires. Certains grands journaux de la
capitale (Le Petit Parisien, Le Petit Journal…) dépassent eux le million d’exemplaires. Ils sont les
vecteurs principaux du débat politique.
C’est au moment des campagnes électorales que
les idées républicaines trouvent un écho dans la
population. Cependant l’influence des notables
joue encore un rôle important dans les choix politiques des électeurs, qui n’ont pas toujours de
convictions personnelles bien affirmées.
Découvrir 5
Les limites du consensus
républicain
pages 152-153
Problématique : Quelles critiques
sont adressées au régime républicain ?
Le modèle républicain ne fait pas l’unanimité à
la Belle Époque : les anarchistes de la C.G.T. à
gauche, les monarchistes de l’Action française à
droite dénoncent le régime et proposent d’autres
modèles d’organisation politique. Les radicaux
au pouvoir suscitent aussi de fortes oppositions,
qui peuvent prendre des formes violentes : celle
des ouvriers déçus devant la lenteur des progrès
sociaux, celle de l’Église hostile à la politique anticléricale. Le modèle républicain est encore loin
d’être parfait, puisque les femmes, pour des raisons diverses, sont toujours exclues du droit de
vote.
Explication des documents
Doc 1 et 2Q Victor Griffuelhes est, de 1902 à
1908, le secrétaire général de la C.G.T. Celle-ci est
alors le plus puissant regroupement de syndicats
français, bien qu’elle ne représente en 1910 que
5 % des 6 millions de salariés du pays. Griffuelhes dirige la tendance anarcho-syndicaliste (ou
syndicaliste révolutionnaire), dont fait également
partie Louis Niel. Pour eux, la grève est le moyen
privilégié d’expression du monde ouvrier, dans le
cadre de la lutte des classes, bien plus que le droit
de vote, la démocratie parlementaire étant alors
rejetée par une partie du mouvement ouvrier.
Griffuelhes est donc le grand initiateur des mouvements de grève qui agitent la France à la Belle
Époque, notamment la grande grève générale du
1er mai 1906.
Les anarchistes, à la C.G.T. comme à L’Assiette au
beurre, s’en prennent aux radicaux qu’ils accusent
de ne pas tenir leurs promesses sociales. Le parti
radical prône en effet la mise en place de retraites
ouvrières et d’un impôt progressif sur le revenu.
Mais ce programme est appliqué lentement : en
1910 pour les retraites, en 1914 pour l’impôt. Face
à des mouvements de grève souvent très violents,
le gouvernement, effrayé, emploie les grands
moyens et requiert l’armée pour faire face aux grévistes et aux manifestants : c’est le cas du gouvernement dirigé par Clemenceau qui réprime très
durement les mouvements sociaux des mineurs de
Courrières (Nord) en 1906 ou des carriers de Draveil et Villeneuve Saint-Georges en région parisienne en 1907 et 1908. Aussi, les caricaturistes de
L’Assiette au Beurre le représentent-ils en bourgeois
défenseur de l’ordre, responsable du sang versé et
traître à ses engagements initiaux.
P65Q
Doc 3Q L’Action française est au départ une revue,
fondée en 1898 par des nationalistes en réaction à
la publication du J’Accuse ! de Zola. En 1908, l’Action française devient un quotidien. Elle occupe
une place à part à l’extrême droite de l’échiquier
politique : jusqu’à elle, le nationalisme, celui des
boulangistes comme celui de la Ligue de la Patrie
française (dominée par Maurice Barrès), était resté
au sein de la République. L’Action française, elle,
sous la direction spirituelle de Charles Maurras,
prône le « nationalisme intégral », dans la perspective duquel la France ne peut qu’être monarchique – d’où un rejet viscéral de la République
et de ses valeurs de liberté, d’égalité, de tolérance
– et catholique – d’où la haine des Juifs, des protestants et des francs-maçons. Le but ultime est la
sauvegarde de la nation, qu’ils estiment menacée
par les étrangers.
Doc 4 et 5Q Les radicaux mènent une politique
anticléricale, contre les congrégations notamment, qui aboutit en 1905 à la loi de séparation
des Églises et de l’État. L’opinion catholique réagit énergiquement à ces mesures, à travers des organes de presse comme Le Pèlerin. La caricature
du document 4 témoigne du désarroi de l’opinion
cléricale face à ces mesures accusées d’affaiblir la
France. Enchaînée à l’arbre de la Liberté, Marianne, représentée en martyre chrétienne des
premiers siècles, est livrée, sous l’œil de « l’empereur » Clemenceau (président du Conseil à la date
du document), aux fauves lâchés par l’enseignement laïque : le collectivisme, allusion au mouvement socialiste, l’antipatriotisme. Les « apaches »,
eux, sont des gangs de jeunes, ouvriers déclassés
ou adolescents, marginalisés dans les banlieues
industrielles en expansion à la Belle Époque. Leur
émergence prouve aux opposants à la République
que celle-ci est à l’origine d’une déliquescence sociale et d’une montée de l’insécurité.
La violence n’est pas seulement verbale, comme
en témoigne la querelle des Inventaires. La loi
de Séparation prévoit en effet que les fidèles doivent désormais exercer leur culte dans le cadre
d’associations cultuelles, auxquelles doivent être
attribués les biens ecclésiastiques (sous peine de
confiscation). Ces biens ecclésiastiques doivent
être d’abord inventoriés officiellement. Mais l’entrée de fonctionnaires républicains au cœur des
lieux de culte est ressentie comme une provocation, comme aux églises Saint-Pierre-du-GrosCaillou et Sainte-Clotilde, à Paris, le 1er février
1906. La résistance des fidèles poussés par la Ligue
de l’Action française tourne à l’émeute (voir carte
page 95).
Doc 6Q Le suffrage universel demeure sous la
IIIe République exclusivement masculin. Deux
séries d’arguments principaux unissent les opposants à une féminisation du droit de vote. D’une
part, un réflexe traditionaliste, qui tient à maintenir la femme dans son rôle d’épouse et de mère,
et tend à la juger incapable de participer à la vie
politique. D’autre part, un réflexe de défense laïque : la femme est vue comme soumise à l’autorité
de l’Église, et les anticléricaux craignent que leur
vote ne joue en leur défaveur.
Bibliographie
La République installée
• D. Lejeune, La France de la Belle Époque,
1896-1914, Armand Colin, Cursus, 2000.
• M. Leymarie, De la Belle Époque à la Grande
Guerre, 1893-1918. Le triomphe de la République,
Livre de Poche, 1999.
• J.-M. Mayeur, La séparation des Églises et de
l’État, Édition de l’Atelier, 2005.
• J.-T. Nordmann, La France radicale, collection Archives, Gallimard, 1977.
• M. Rébérioux, La République radicale ? (18481914), Points Seuil, 1975.
• M. Winock, La Belle Époque : la France de
1900 à 1914, 2002, rééd. Poche, 2003.
• Dictionnaire d’histoire contemporaine, 18702001, Ellipses 2006.
Sitographie
Site de L’Assiette au beurre (1901-1912) : www.
assietteaubeurre.org
Découvrir 6
Le rayonnement culturel
de Paris à la Belle Époque
pages 156-157
Problématique : Quels éléments font
de Paris une capitale culturelle
mondiale à la Belle Époque ?
Avec 3 millions d’habitants en 1914, Paris est la
troisième ville du monde après Londres et New
York à la Belle Époque. Elle reflète le dynamisme
culturel de cette période, comme le montre le
succès de l’Exposition universelle de 1900. La
ville attire ainsi de nombreux artistes français et
étrangers, et voit naître de nombreux courants
artistiques, notamment picturaux. Paris devient
le théâtre de l’émergence d’une culture de masse
qui se retrouve dans l’Art nouveau, qui utilise les
formes nouvelles de la technique, et qui s’oppose
à une culture bourgeoise dont certains regrettent
la dilution.
P66Q
Explication des documents
Doc 1 et 2Q La tour Eiffel, symbole de la modernité et de Paris, a été un important sujet d’inspiration pour les peintres européens.
Alexei Petrovic Bogolioubov (1824-1896) est un
Russe, peintre et professeur de peinture, qui étudia notamment à Paris sous la direction d’Isabey et
revint ensuite à plusieurs reprises dans la capitale
française, notamment à l’occasion de l’Exposition
universelle de 1889. On lui doit, outre ce tableau,
un Ecouen, dans les environs de Paris et des Côtes de
Normandie. Il a aussi laissé deux fresques à l’église
russe de Paris. Son tableau nous montre une tour
immense et majestueuse, qui domine, comme un
nouveau phare d’Alexandrie, une ville illuminée,
prospère et active. De ce rayonnement de la capitale, Bogolioubov est l’un des exemples : sa vie et
son œuvre montrent que la capitale est à la Belle
Époque une importante métropole culturelle, qui
attire et inspire les artistes de toute l’Europe.
Le peintre Robert Delaunay (1885-1941) a lui représenté la tour Eiffel une trentaine de fois entre
1910 et 1925, à chaque fois sous une lumière et
un angle différents. Cette représentation cubiste,
mouvement auquel Delaunay a été l’un des premiers à adhérer, restitue l’impression de vertige et
d’élan engendrée par la tour : en effet, l’espace y
est traité sous de multiples facettes et la déconstruction du monument est accentuée par l’emploi
des contrastes chromatiques brisant et recomposant les formes.
Doc 3Q Le peintre Marc Chagall (1887-1985)
appartient à l’École de Paris, qui regroupe les peintres immigrés arrivés à la Belle Époque à Paris,
attirés par l’ambiance de liberté et l’effervescence
intellectuelle qui y régnait. Il est né en Russie (à Vitebsk) et arrive en France en 1910. A la Belle Époque, il a fréquenté Apollinaire, Max Jacob, Blaise
Cendrars et c’est Robert Delaunay qui le soutient
pour exposer au salon des Indépendants. S’il est
resté à l’écart des mouvements d’avant-garde du
XXe siècle, sa peinture étant plus ancrée dans ses
racines juives et russes, il a connu le foisonnement
culturel de Paris dont il témoigne dans cette conférence prononcée en 1943. Il y explique pourquoi il
a été attiré par Paris : s’y rassemblent de nombreux
artistes, qui sont à l’origine de nouveaux courants
artistiques : Cézanne, Matisse (fauvisme)… Il parle
de « révolution de l’œil », que le cubisme met en
œuvre par exemple (document 2).
Doc 4Q Hector Guimard (1867-1942), architecte
décorateur, représentatif de l’Art nouveau français
se voit confier par la Compagnie générale du Métro l’édification de l’ensemble des édicules destinés à couvrir les entrées des stations souterraines.
La station Bastille appartient à la ligne Vincennes-Porte Maillot, première ligne inaugurée le 19
juillet 1900 pendant l’Exposition universelle.
Surnommée le « pavillon chinois » pour son allure
de pagode, cette véritable petite gare est représen-
tative de l’Art nouveau parisien qui s’inscrit dans
la ville, faisant le lien entre l’art et la société : les
matériaux industriels qu’il utilise (acier, verre)
sont considérés comme non nobles, mais il les
a choisis car cet art a pour but de s’intégrer à la
vie quotidienne (ici un moyen de transport). Son
œuvre est donc controversée, dès le départ, et de
nombreuses entrées furent détruites. Celle de la
station Bastille le fut en 1962.
Doc 5Q Paul Morand (1888-1976), écrivain et
diplomate de carrière, a participé comme d’autres
écrivains de l’époque à la postérité de l’Exposition
de 1900. Ainsi, son livre 1900 constitue une chronique de cette année à Paris. Mais il l’a écrit en
1931, alors que la nostalgie, née des déceptions de
l’après-guerre, lui fait regretter le foisonnement
culturel de ces années (le texte de Marc Chagall
est également postérieur à la Belle Époque). L’Exposition exalte toutes les formes nouvelles de la
technique (on a parlé de la « fée Électricité »), et
Morand évoque à ce propos la « religion » du progrès.
Doc 6Q Arthur Meyer est à la Belle Époque un
personnage incontournable de la vie mondaine
parisienne. Directeur du journal conservateur
Le Gaulois, cet antirépublicain et monarchiste
raconte dans son livre Ce que mes yeux ont vu ses
souvenirs depuis la chute de l’Empire.
Dans cet extrait, il reproche à Paris, d’avoir perdu
sa spécificité culturelle nationale ; cette évolution
est liée à l’important brassage que connaît la ville, mais surtout à son agrandissement démesuré.
Une culture-spectacle (ou culture de masse) qui
s’oppose à la culture bourgeoise a émergé. Elle se
diffuse grâce aux nouveaux moyens de communications (télégraphie, téléphone). L’on perçoit dans
le texte d’Arthur Meyer une imprégnation nationaliste, parfois xénophobe.
Découvrir 7
Une puissance prospère mais
traversée par des inégalités
pages 158-159
Problématique : Quelles sont les formes
et les limites de la prospérité de
l’économie française à la Belle Époque ?
La France de la Belle Époque est contrastée
d’un point de vue économique et social. Elle est
une grande puissance au rayonnement mondial,
comme l’attestent ses investissements à l’étranger,
mais aussi la possession de ses colonies. Cependant
les secteurs économiques modernes de l’industrie
comme l’automobile voisinent avec des secteurs
plus traditionnels qui stagnent. Ces contrastes ont
P67Q
des conséquences sociales : le niveau de vie général de la population augmente, mais cette amélioration rend d’autant plus insupportables les difficultés persistantes de certains groupes sociaux,
notamment celles des ouvriers.
Explication des documents
Doc 1Q Les années 1900-1914 sont vraiment
pour la France une « Belle Époque » : elle est alors
l’une des premières puissances mondiales.
La France est une puissance économique : ses
capitaux sont présents partout dans le monde, en
Russie (un quart des investissements français), en
Europe, en Amérique, dans son empire africain,
en Chine. Ces investissements se dirigent vers des
emprunts d’État mais aussi vers des compagnies
privées, preuve du dynamisme des grandes entreprises françaises. Par ailleurs l’empire colonial
fournit à la France les ressources et des débouchés
nécessaires à son activité économique.
La France est aussi une puissance politique, militaire et culturelle, notamment par le biais de
ses colonies. L’empire français est le deuxième du
monde en superficie (10,6 millions de km² et 55
millions d’habitants en 1914), derrière celui de
l’Angleterre. Il assure la domination de la France
sur tous les continents, et océans.
Doc 2Q La France participe pleinement à la Belle
Époque à la deuxième révolution industrielle, en
s’investissant massivement dans les nouveaux
secteurs moteurs comme la chimie, l’aéronautique
et l’automobile. A la veille de la Première Guerre
mondiale, la France est le deuxième producteur
et le premier exportateur mondial d’automobiles.
Symbole de ce dynamisme, les usines Renault,
fondées en 1895, sont à la pointe de la modernité.
Inspiré par le fordisme, Louis Renault a organisé
rationnellement la production, selon les principes du taylorisme, dans de nouveaux locaux assez
vastes pour accueillir les chaînes de production,
qui rompent avec la tradition de l’atelier automobile.
Doc 3 et 4Q Jean Béraud (1849-1935) est un
peintre mondain très réputé à la Belle Époque,
époque dont il a essayé de retranscrire l’atmosphère dans son œuvre, par des scènes de la vie parisienne, notamment de la haute société. Celle-ci
correspond essentiellement à la haute bourgeoisie,
symbolisée par les attributs de la richesse : hautde-forme, canne, riche vêtement, immeuble, calèche avec chauffeur…
Cette catégorie comprend les propriétaires, les rentiers, les grands négociants et industriels. Ce sont les
groupes les plus riches de la société : celui des propriétaires / rentiers de Toulouse laisse en moyenne
plus de 70 000 F au décès, et les mêmes possèdent
plus de la moitié des fortunes lyonnaises.
Au rang inférieur se trouve la grande diversité des
classes moyennes : fonctionnaires, professions li-
bérales, artisans et petits commerçants, groupes
disparates (un artisan toulousain est dix fois moins
riche à sa mort qu’un fonctionnaire de la même
ville) qui connaissent tous leur propre hiérarchie
interne, et se partagent, à Lyon, près de 45 % de a
fortune.
Les ouvriers vivent dans la pauvreté, voire la misère, avec une « fortune » s’élevant à 350 F en 1911
à Toulouse. Mais ils ne sont pas les plus à plaindre : Béraud a représenté autour de son bourgeois
des exclus : les invalides (l’homme à la béquille),
les vieillards, les femmes seules, dont les ressources, en l’absence d’un État-providence moderne,
sont insuffisantes, et les poussent à la mendicité.
Le tableau de Béraud est révélateur de la conscience qu’a la population des inégalités profondes qui
la traversent, et du fait que la « Belle Époque » ne
l’est pas pour tout le monde.
Doc 5Q Les conditions de vie des ouvriers, la
« question sociale », intéressent depuis que ce
groupe a acquis une certaine visibilité dans les années 1830. Des analystes sociaux se sont attachés,
depuis, à décrire leur quotidien, de Louis-René
Villermé dans les années 1840 à Alfred Picard
(1844-1913), ingénieur et haut fonctionnaire, qui
livre, à l’occasion de l’Exposition universelle de
1900, une analyse des évolutions qui ont marqué
le XIXe siècle, tant pour les ouvriers que pour l’ensemble de la société.
Tout en remarquant que les conditions de vie des
ouvriers se sont améliorées, notamment sous le
rapport du temps de travail, Picard tient à nuancer selon les professions, les régions, le sexe :
les périodes de chômage restent nombreuses et
difficiles, les femmes sont mal payées, les salaires
restent globalement faibles. Pour les ouvriers
donc, l’époque n’est pas obligatoirement une Belle
Époque.
Découvrir 8
Espoirs de paix,
menaces de guerre
pages 160-161
Problématique : Comment l’idée
de guerre occupe-t-elle le débat
à la Belle Époque ?
La France à la Belle Époque est occupée par l’éventualité d’une guerre prochaine. Un profond sentiment anti-allemand alimente dans une partie de la
population l’idée qu’un nouveau conflit est inévitable entre les deux pays, au nom de l’honneur national. Cette éventualité a un impact certain sur la
population, et des conséquences politiques, avec
le vote d’une loi allongeant le service militaire à
trois ans. Face au nationalisme, les pacifistes se
P68Q
mobilisent, dénonçant l’idée d’une revanche, et
l’exploitation du patriotisme par les bellicistes. Le
débat entre les deux parties est très vif.
Explication des documents
Doc 1Q La crainte de l’expansionnisme allemand
est un sujet majeur de préoccupation de l’opinion
publique française à la Belle Époque. Elle est essentiellement motivée par la recherche d’alliés
par Berlin (Triple Alliance avec l’Autriche-Hongrie et l’Italie, tentatives de rapprochement avec
la Russie). Les caricatures sont nombreuses alors
contre la « pieuvre » allemande, toujours coiffée
du casque prussien qui symbolise son bellicisme.
Les milieux nationalistes sont les plus virulents :
leur antigermanisme tire ses racines de la défaite
de 1871 et s’inspire de l’idée de revanche qui avait
un temps mobilisé l’opinion publique dans les années 1880.
Doc 2Q Jean Jaurès, leader de la S.F.I.O., apparaît
dans les années 1900-1910 comme l’un des hérauts
du pacifisme. En 1912, il participe avec d’autres
leaders socialistes français (notamment Édouard
Vaillant, que l’on voit à ses pieds) au congrès de
l’Internationale à Bâle, où il dénonce l’atmosphère belliqueuse de l’Europe (crises marocaines,
balkaniques).
Ses opposants, nationalistes surtout, dénoncent ce
pacifisme en diabolisant Jaurès : emploi de la couleur rouge, position agressive ; ils le présentent
également comme un traître : la chaire d’où il harangue la foule n’est autre que le casque prussien
renversé.
Doc 3Q Face à la menace d’une guerre contre
l’Allemagne, les chefs militaires français – et notamment le chef d’état-major, le général Joffre
– proposent dans les années 1910 l’extension du
service militaire à trois ans.
Ses partisans y voient un moyen de compenser la
supériorité numérique de l’Allemagne qui élève
au même moment ses effectifs d’active à 750 000
hommes.
Ses opposants, eux, notamment le socialiste Joseph Caillaux, jugent cette loi trop coûteuse et
inutile, et proposent des solutions alternatives :
la formation de la jeunesse, l’armement de la population (proposition de Jaurès dans L’Armée nouvelle en 1911), la fortification de la frontière avec
l’Allemagne, enfin un plus grand effort en matière
d’armement (proposition notamment du général
Pétain).
Doc 4Q Le littérateur Remy de Gourmont (18581915) est assez indifférent à la question d’AlsaceLorraine, pour laquelle il n’est pas prêt à se battre.
Pour lui, ces régions ne sont pas plus françaises
qu’allemandes, ayant été sans cesse ballottées d’un
pays à l’autre au fil de l’histoire. Par ailleurs, il
constate que depuis 1871, aucune tentative n’a été
faite pour les récupérer et qu’il est maintenant
trop tard : ce sont des « provinces oubliées ». Enfin, leur récupération signifierait la guerre avec
l’Allemagne, or il s’y montre hostile, jugeant
« l’entente » entre les deux États nécessaire au développement de chacun d’eux et de l’Europe.
Cette opinion rompt alors avec l’opinion dominante. Certes, les Français qui souhaitent déclencher une guerre contre l’Allemagne pour récupérer l’Alsace et la Moselle sont minoritaires. Mais
le patriotisme est en revanche massif, l’antigermanisme important, nourri par la fierté autant que
par la crainte de l’expansionnisme allemand, et
son discours entre en contradiction avec ces deux
courants alors majoritaires. À tel point qu’après la
publication du Joujou patriotisme dans le Mercure
de France en 1891, Gourmont fut obligé de quitter
son poste à la Bibliothèque nationale.
Doc 5Q Les nationalistes envisagent un conflit
avec l’Allemagne. Dans la thématique de leur discours se rejoignent en effet exaltation de la guerre,
antigermanisme et sentiment de l’honneur et de
la grandeur de la France. La reconquête des provinces perdues redevient à leurs yeux une cause
nationale.
Ils sont ici représentés comme une masse d’individus agités et vociférants, belliqueux et agressifs.
La violence verbale et les manifestations de rue
sont en effet l’une des marques de fabrique des ligues nationalistes (Ligue des patriotes, Ligue de la
patrie française…) à la Belle Époque. Aussi représentent-ils un danger (« les périls ») selon Grand-
Bibliographie
Dynamisme et pesanteurs à la Belle Époque
• M. Bacha, Les expositions universelles à Paris de
1855 à 1937, 2005.
• M. Gaillard, Paris : les expositions universelles de 1855 à 1937, Les Presses Franciliennes,
2003.
• P. Offenstadt, Jean Béraud - La Belle Époque,
une Époque Rêvée - Catalogue raisonné, Taschen
- Wildenstein Institute, Paris, 1999.
• J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli , La culture de
masse en France de la Belle Epoque à aujourd’hui,
Fayard, 2002.
Travaux à caractère pédagogique
• TDC : L’année 1914 : la fin des illusions, 15
octobre 1994.
Sitographie
• Site sur l’exposition de 1900 (projet de reconstruction de l’Exposition en 3D, de très
nombreuses photographies) : http://lemog.
club.fr/index.html
• Site sur Hector Guimard : http://www.lecercleguimard.com/
P69Q
jouan et les milieux antimilitaristes. Ils mènent en
effet de violentes campagnes de presse servant à
exciter la population. C’est d’ailleurs après la lecture d’une feuille nationaliste que Raoul Villain
considérera qu’il était de son devoir d’assassiner
Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, au Café du Croissant
à Paris.
Doc 6Q La C.G.T., elle, ne veut pas de cette
guerre : d’abord parce qu’elle n’est pas populaire,
ensuite parce que ce sont les ouvriers qui en pâtiront le plus, enfin parce l’état d’esprit est le même
dans le prolétariat allemand. On retrouve là la thématique, chère aux partis marxistes avant 1914,
d’une union prolétarienne transfrontalière contre
une guerre impérialiste et « capitaliste », décidée
uniquement par et pour les puissances d’argent.
Certains chefs socialistes proposent donc de se
concerter avec les autres partis ouvriers européens
et de déclencher une grève générale en cas de déclaration de guerre.
S’entraîner au bac - Etude d’un
ensemble documentaire
Peut-on parler d’un consensus
républicain en France à la Belle
Époque ?
pages 166-167
Première partie
� L’expression Belle Époque a été forgée après
la Première Guerre mondiale. Elle exprime la
nostalgie des années qui ont précédé le premier
conflit mondial, années caractérisées par la paix
en Europe malgré des crises internationales, par
la croissance de l’activité économique, par le sentiment de vivre une période de progrès aussi bien
technique et scientifique que social, le tout dans le
cadre du rayonnement du continent européen qui
ne semblait pas alors remis en cause. L’expression
Belle Époque traduit donc davantage une représentation des années 1900-1914 que l’exacte réalité de cette période.
� Dans les années qui précédent la Première
Guerre mondiale, le parti radical est le pivot de la
vie politique française. Créé officiellement en 1901
sous le nom de parti radical et radical-socialiste, il
est encore une nébuleuse relativement lâche, mais
par le nombre de ses députés, il est indispensable
pour former des majorités gouvernementales. Il
est donc associé à tous les gouvernements et en
occupe souvent la présidence du Conseil (Combes
de 1902 à 1905, Clemenceau de 1906 à 1909).
Il a fait voter de nombreuses lois : loi sur les associations en 1901, loi sur les congrégations qui
doivent désormais demander une autorisation
sous peine d’être expulsées, loi de séparation des
Églises et de l’État en 1905, dont les radicaux
avaient fait leur cheval de bataille depuis 1869. Ils
veulent aller plus loin et proposent des réformes
sociales : le vote de l’impôt sur le revenu et la création de retraites ouvrières.
L’on voit que leur programme politique est
construit autour de trois valeurs principales : le
patriotisme hautement proclamé, voire revendiqué, dans la tradition de Gambetta, l’anticléricalisme, héritage du combisme, et le solidarisme,
théorisé par Léon Bourgeois. Ils militent pour une
voie intermédiaire entre le capitalisme trop brutal
et la révolution dont ils craignent les dérives : ils
se proclament donc les défenseurs de la propriété
privée, dans laquelle ils voient le fondement de la
République.
� Le mouvement d’Action Française a été crée
en 1899 dans le contexte du paroxysme de l’affaire
Dreyfus (préparation du second procès Dreyfus).
Les amis de Charles Maurras sont violemment
antidreyfusards et s’en prennent à la République
qu’ils présentent comme un régime de faiblesse et
de perversion, comme le font alors la plupart des
nationalistes. Selon eux, la République n’est pas
en mesure d’assurer la défense du sol national, pas
plus que celle de l’identité française. Seule la monarchie est capable d’assurer la continuité nationale : tous les moyens (y compris le coup d’État)
doivent donc être mis en œuvre pour la rétablir.
L’Action française développe ici un programme
fortement xénophobe (dénonciation du règne de
l’étranger), antisémite, imprégné du catholicisme
le plus traditionnel et ouvertement nationaliste.
Il se situe donc à l’extrême droite de l’échiquier
politique. Chacun des points annoncés dans ce
programme se situe à l’opposé des idéaux républicains : apologie du catholicisme traditionnel d’un
côté, combat en faveur de la laïcité de l’autre ;
xénophobie et antisémitisme du côté de Maurras,
volonté d’ouverture et d’acceptation de l’autre
dans l’idéal républicain ; éventualité d’un coup
d’État monarchiste d’une part, volonté de défense
des acquis de 1789 d’autre part. L’opposition entre le programme de l’Action française et celui des
Républicains recoupe celle de deux conceptions
antithétiques de la France, de ses valeurs et de son
avenir.
� L’affrontement autour des rapports entre
Églises et État fut l’un des plus virulents de la
IIIe République et surtout des années 1900-1914.
Il repose sur une opposition de fond entre le rationalisme des républicains qui revendiquent une
séparation totale du politique et du religieux, au
nom de la laïcité, et l’attachement des milieux catholiques à une tradition qui faisait de la France
« la fille aînée de l’Église », liée à Rome par le
Concordat.
Les premiers, souvent libres penseurs, parfois
violemment anticléricaux, ont inscrit à leur programme, depuis 1869, le vote d’une loi de Séparation. Dans les années 1880, ils organisent la laï-
P70Q
cisation de l’École, par le vote des lois Ferry. En
1901, la loi sur les associations oblige les congrégations religieuses à demander une autorisation ;
beaucoup d’entre elles sont expulsées. Enfin, en
1905, la loi de séparation des Églises et de l’État,
met fin au Concordat, proclame la liberté totale
des cultes, mais affirme la neutralité de l’État en la
matière. Dans les années suivantes, notamment en
1906, la réalisation des inventaires des biens des
Églises donne lieu à de nombreux incidents qui
traduisent la permanence d’un conflit. Les républicains radicaux, comme Combes, sont alors décrits comme des diables fourchus qui font brûler
les ecclésiastiques dans la marmite des enfers !
� L’extrême gauche publie des caricatures hostiles à la République parlementaire. Ils la décrivent (document 2) comme un lieu de débauche,
voire de corruption qu’il convient de nettoyer.
Aussi Marianne arrive-t-elle pour chasser les « ordures ». C’est là un des thèmes classiques de l’antiparlementarisme.
D’autres (document 5) la présentent comme un
régime qui n’a pas tenu ses promesses, notamment
à l’égard du monde ouvrier. Parlant beaucoup (des
mots), affichant volontiers leurs valeurs (Liberté,
Égalité, Fraternité), les républicains auraient dans
les faits trahi la cause du peuple. Alliés aux forces
de répression (l’armée et la justice), à celles de l’argent (les sacs d’or), ils n’auraient fait qu’aggraver
les maux qu’ils prétendaient guérir. Il serait donc
légitime que le peuple, déçu, s’en prenne à eux, y
compris par la force (ici la pioche). C’est un appel au soulèvement contre la République « bourgeoise », tout à fait dans la ligne de l’anarcho-syndicalisme des années 1900-1914, surtout dans le
contexte des violents affrontements sociaux de
1906-1907.
Deuxième partie
La République, proclamée en 1870, officialisée
par les lois constitutionnelles de 1875, a du faire
face jusqu’en 1900 à de nombreuses oppositions,
contestations ou crises. Mais, dans les années
1900-1914, ces années qu’après la Première Guerre mondiale, on appellera la Belle Époque, elle
semble, après avoir surmonté la plus grave de ces
crises, celle de l’affaire Dreyfus, être admise par
la majorité des Français. Peut-on cependant véritablement parler d’un consensus républicain ?
La République sort consolidée de l’affaire Dreyfus.
Entre 1894 et 1906, celle-ci a menacé la solidité du
régime. Les antidreyfusards, ou au moins une partie d’entre eux, voyaient dans le régime républicain l’incarnation du mal : régime de faiblesse et
de corruption, il aurait été incapable d’assurer la
défense du sol national. Les mouvements nationalistes (Ligue de la patrie française) ou violemment
antirépublicains appelaient à l’établissement
d’un État fort, voire à la restauration de la monarchie, et certains de leurs leaders n’hésitaient
pas devant la perspective du coup d’État : ainsi
Paul Déroulède avait-il envisagé de marcher sur
l’Élysée en février 1899. Face à ces menaces sur
la République et ses valeurs, les républicains de
toutes obédiences avaient su se regrouper dans un
gouvernement de Défense républicaine dirigé par
Waldeck-Rousseau, dans lequel figuraient des personnalités radicales, mais également pour la première fois, un socialiste, Millerand. C’est ce gouvernement qui parvient à apporter une solution à
l’affaire Dreyfus (grâce du capitaine) et à éloigner
la menace nationaliste. Les élections législatives
de 1902 montrent que l’opinion approuve majoritairement ce choix.
Pour réaliser ce consensus républicain les radicaux, au pouvoir de façon quasi continue durant
les années 1900-1914, mettent en place un ensemble de réformes dont le but est de consolider
la base sociale du régime. Partisans d’une société
d’ordre, d’équilibre, de liberté, mais également
reposant sur un principe d’égalité qui ne soit pas
que formel, ils avancent leur idéal de solidarité,
théorisé par Léon Bourgeois dans son livre au
titre éponyme en 1896. Chaque citoyen doit contribuer, selon ses facultés, au bonheur commun.
L’impôt progressif sur le revenu est donc la base
même de leur projet : payé par tous en fonction
de sa faculté contributive, il permet de redistribuer un peu la richesse et de financer des services
publics et des biens collectifs ouverts à tous :
l’école, la santé, l’aide aux plus démunis. Il assure
la solidarité sans pour autant porter atteinte à la
liberté. En effet, les radicaux demeurent attachés
à la propriété privée ; ils récusent toute forme de
collectivisme, toute idée de lutte des classes et de
révolution violente. La réforme progressive leur
apparaît comme la voie la plus efficace pour permettre une transformation sociale.
Ce faisant, les radicaux sont en phase avec la société française de l’époque ; dans une France
rurale marquée par la petite propriété familiale,
leur idéal d’une République de propriétaires est
particulièrement bien reçu. Leur idéalisation de
l’École et de la méritocratie qui permettrait à tous
de s’élever socialement par le diplôme et le talent,
correspond aux souhaits des classes moyennes,
soucieuses d’ascension sociale et de sécurité pour
leurs enfants, et de la paysannerie dont le travail
de la terre ne peut retenir tous les fils.
La force des radicaux est donc de développer un
idéal social, une conception de la République qui,
entre 1900 et 1914, rassemble, les élections en témoignent, une majorité de Français.
Cependant, malgré cette tendance au consensus
majoritaire autour de la République, celle-ci a
encore bien des adversaires et connaît bien des
soubresauts.
La République rencontre encore une forte opposition sur sa droite, dans les milieux nationalistes.
Les mouvements qui en sont le vecteur demeurent
P71Q
puissants ; ainsi l’Action française, fondée en 1899
autour de Charles Maurras affirme sa croyance
dans le principe monarchiste, milite pour une restauration, développe une thématique xénophobe,
antisémite, aux antipodes de l’idéal républicain ;
ne reculant pas devant l’affrontement de rue, influente dans une partie de la jeunesse étudiante,
diffusant un discours politique structuré, elle est
un adversaire résolu, bien que minoritaire, de la
République, avec laquelle elle ne peut composer.
Dans les premières années du XXe siècle, la République se trouve également confrontée à l’opposition du monde catholique. Certes, à l’appel du
pape, les catholiques ont depuis 1892, accepté le
régime, mais ils récusent sa politique. En effet,
constatant que les milieux catholiques se sont
rangés majoritairement dans le camp antidreyfusard, les radicaux s’engagent avec vigueur dans le
combat pour la laïcité. Souvent libres penseurs,
parfois anticléricaux, ils prennent, avec Combes,
des mesures qui affectent profondément les catholiques : expulsion de certaines congrégations,
rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, puis vote de la loi de séparation des Églises
et de l’État en 1905. La fin du Concordat, puis les
inventaires qui suivent le vote de la loi sont l’occasion d’un clivage entre les républicains radicaux
et les catholiques, dont certains sont pourtant ralliés à la République. La querelle religieuse met à
mal le consensus républicain.
Enfin, la République rencontre la contestation
venue de l’extrême gauche. Celle-ci, d’inspiration
anarcho-syndicaliste, s’exprime par exemple au
travers de la C.G.T., et par le biais de nombreuses
caricatures dont Jules Grandjouan ou Aristide
Delannoy se font les spécialistes. Prônant la révolution par l’action directe et la grève générale, les
militants d’extrême gauche se heurtent aux forces
policières que le gouvernement radical, soucieux
de défendre l’ordre et la propriété, a envoyées
contre eux. Ce fut le cas en 1906 à Courrières
(Nord), à Villeneuve Saint-Georges et à Draveil
en région parisienne en 1907, ou bien encore dans
le midi viticole en révolte. La République radicale
est alors accusée de défendre l’ordre établi, le capitalisme bourgeois, et pour cela, d’avoir passé un
pacte avec les forces les plus répressives. La République aurait donc trahi son idéal originel de
défense des plus faibles et le projet radical de solidarisme ne serait plus qu’un cache-misère. Les
formes parlementaires de la République sont alors
rejetées comme autant de marque d’embourgeoisement. L’extrême gauche libertaire, ayant fait le
choix de l’action directe, récuse le Parlement qui
ne représenterait plus véritablement le peuple.
Ainsi, à un antiparlementarisme de droite, d’origine nationaliste, s’ajoute un antiparlementarisme
de gauche.
L’on voit donc que malgré le sursaut républicain
qui a sauvé le régime en 1899, la République, bien
que majoritaire dans l’opinion, rencontre de fortes
oppositions, sur sa droite comme sur sa gauche.
Désormais enracinée, elle ne fait pas encore
pleinement consensus. L’épreuve de la Première
Guerre mondiale sera le creuset au sein duquel se
construira un quasi unanimisme républicain.
Regards sur…
Jean Jaurès à la tribune
pages 168-169
Jean Jaurès fut une personnalité marquante de
la vie politique à la Belle Époque. Leader de la
S.F.I.O., il était réputé pour ses talents d’orateur,
qu’il exerçait tant dans ses mémorables passes
d’armes à l’Assemblée nationale avec Clemenceau
que dans les réunions publiques où, comme nous
le montre Roger Martin du Gard, il était capable
de captiver et de déchaîner les foules.
La réunion du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913
est un important rassemblement d’opposants à
la loi des Trois Ans (voir document 3 page 160).
Rassemblant socialistes et pacifistes, elle fournit
à Jaurès l’occasion de déployer tous les trésors de
son éloquence, avec d’autant plus de force qu’elle
se déroule en plein air et sans micro !
Deux décennies plus tard, le romancier Roger Matin du Gard, dans son ouvrage le plus célèbre, Les
Thibault, fait le récit des années qui ont précédé
la Première Guerre mondiale et plus particulièrement de ce mois de juillet 1914. Il y mêle une reconstitution historique précise (il était archiviste
de formation) bien qu’orientée (l’on y retrouve
parfois davantage le contexte de 1936 que celui de
1914) et le récit d’une histoire familiale (en particulier les deux frères Jacques et Antoine Thibault).
L’un des moments forts du roman (sa dernière
partie, L’été 14) décrit les tentatives d’opposition
à la guerre auxquelles participe Jacques Thibault ;
parmi celles-ci figure la réunion socialiste de
Bruxelles au cours de laquelle s’exprime Jaurès
dans son dernier discours. (Voir Jean-Jacques Becker Revue d’Histoire moderne et contemporaine
Avril-Juin 1978 ; « L’Eté 14 » de R. Martin du Gard,
un ouvrage d’histoire ?).
P72Q
Téléchargement