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Doc 6Q La défaite de 1871 a entamé le modèle
jacobin d’une « République une et indivisible ».
Les critiques se multiplient dans les années 1870
contre l’idée trop abstraite de nation, qui a dé-
tourné les citoyens de leur appartenance iden-
titaire fondamentale, le sol, la terre, le « pays ».
Aussi les Républicains cherchent-ils à renforcer le
sentiment individuel d’appartenance locale, par la
mise en avant des « petites patries », c’est-à-dire
les différentes régions, les « anciennes provinces »
qui ont leur propre histoire, une certaine identité
géographique (« les paysages familiers ») et des
spécificités culturelles (« les costumes, les coutu-
mes, l’accent »). Elles sont complémentaires de la
« grande patrie » : aimer sa région est un moyen
de mieux aimer la France. L’École, par ses ma-
nuels scolaires (ici celui de Charles-Victor Lan-
glois), met en exergue cette double appartenance :
loin de vouloir éradiquer le local, elle prend appui
sur lui pour construire l’identité nationale (voir
Jean-François Chanet, L’école et les petites patries,
Aubier, 1996).
Découvrir 2
Le territoire organisé,
vécu, imaginé
pages 142-143
Problématique : Comment les Français
s’approprient-ils le territoire national
dans la seconde moitié du XIXe siècle ?
Le territoire français est encore loin de l’unité
dans les années 1850-1914 : les langues régionales
y sont encore très présentes. Néanmoins on assiste
à une unification progressive grâce aux transports,
notamment ferroviaires, qui permettent de mieux
relier les différentes parties du pays. Cela entraîne
une certaine uniformisation des modes de vie, et
modifie la vision que les Français ont de leurs
concitoyens et de leur territoire, qu’ils connais-
sent et s’approprient de mieux en mieux.
Explication des documents
Doc 1Q Dans les années 1850-1914, la diversité
linguistique se manifeste par la persistance des
« patois » au détriment de la langue française,
notamment dans le sud du pays (Massif central,
Midi) et en Bretagne. Cependant, la pratique du
français progresse tout au long de la période, à
partir du Bassin parisien. À la fin du XIXe siècle, il
n’y a plus que quelques départements où résistent
les parlers locaux, en Bretagne et dans le Massif
central essentiellement. Cela est dû notamment à
la généralisation de l’enseignement primaire, mais
aussi à la mise en place du service militaire obli-
gatoire qui produit un brassage de populations,
et bien entendu à la révolution ferroviaire qui
rapproche les hommes en réduisant les distances.
Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Eugen We-
ber (Peasants into Frenchmen), les paysans des ter-
roirs deviennent peu à peu des Français.
Doc 2Q Le plan Freycinet, du nom du ministre
des Travaux publics, est un vaste programme de
construction d’infrastructures adopté en 1878. Il
consiste notamment à édifier 11 000 km supplé-
mentaires de voies ferrées, d’intérêt local, et à
unifier le réseau de canaux afin de le rendre plus
praticable.
L’extension des réseaux de transport a de nom-
breux impacts. En matière d’économie, elle facilite
les échanges commerciaux, l’approvisionnement
en matières premières et en produits agricoles de
régions qui en manquent. Par ailleurs, la vie des
populations s’en trouve transformée : les régions
isolées sont désenclavées (notamment dans les
massifs montagneux), les habitants peuvent se dé-
placer plus facilement. Il y a également une plus
grande proximité entre pouvoir central et terri-
toires, mais aussi entre les différentes régions du
pays.
Doc 3Q Le développement des chemins de fer
facilite les déplacements sur de longues distances
et donc les voyages touristiques. Il n’y a pas en-
core de tourisme de masse à la Belle Époque, ce-
lui-ci restant une pratique nécessitant des moyens
financiers et du temps libre dont ne disposent
par les classes populaires. Mais sur le modèle des
élites urbaines, une partie de plus en plus impor-
tante des classes moyennes s’approprie la mode de
la villégiature, balnéaire surtout. Cela permet des
contacts et des échanges entre les populations et
les modes de vie des différentes régions. La carte
postale, publiée par la compagnie des chemins de
fer de l’Ouest (sous la direction de l’État depuis
1906), traduit la volonté d’associer le local (le cos-
tume régional) au national (proximité de Paris
relié directement en 7 heures) et même l’échelle
européenne (Les Sables d’Olonne, plus belle plage
du continent). Elle met aussi en évidence la mul-
tiplicité de l’offre de loisirs (promenades, tir au
pigeons, régates), la modernité de la station (tram-
ways, téléphone), traduisant ainsi la vision d’un
territoire dans lequel les distances sont réduites
et les périphéries reliées au centre, sans qu’elles
perdent pour autant leur identité.
Doc 4Q L’uniformisation des modes de vie se
manifeste dans les pratiques culturelles essentiel-
lement, qu’elles soient vestimentaires ou alimen-
taires.
Les facteurs en sont variés : la révolution des
transports entamée dès avant 1850 facilite la
diffusion des produits alimentaires sur tout le
territoire ; la multiplication des voyages met en
contact les populations des différentes régions du
territoire, et permet des processus de transferts
culturels, d’acculturation. Le plus important est