Dossier mt pédiatrie 2010 ; 13 (5-6) : 337-42 La rougeole : une maladie pas comme les autres Marie-Aliette Dommergues Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Centre Hospitalier de Versailles, Service de pédiatrie, 177 rue de Versailles 78150 Le Chesnay, France <[email protected]> La rougeole est une maladie infectieuse aiguë virale, extrêmement contagieuse, quasi « obligatoire » avant l’ère de la vaccination. Son fort taux de reproduction implique une couverture vaccinale élevée afin d’interrompre la circulation virale. La description clinique de cette maladie, méconnue d’un grand nombre de médecins devant la forte baisse d’incidence liée à la vaccination, doit être rappelée devant la recrudescence actuelle des cas. En l’absence de signe clinique spécifique en dehors du signe de Köplik, pathognomonique mais fugace, il est important de confirmer biologiquement le diagnostic. Un signalement de cas de rougeole doit être réalisé devant l’association d’une fièvre ≥ 38◦ 5, à une éruption maculopapuleuse et à au moins un des signes suivants : conjonctivite, coryza, toux, signe de Köplik. Cette maladie, généralement considérée comme bénigne, induit constamment une immunodépression et peut être à l’origine de graves complications, notamment pulmonaires et neurologiques. Le diagnostic précoce des cas et le repérage des éventuels sujets contact non immuns dans l’entourage permet de proposer une vaccination ou une immunoprophylaxie passive. Mots clés : rougeole, infection virale, contagiosité, éruption cutanée, déclaration obligatoire, immunodépression doi:10.1684/mtp.2011.0330 Contagiosité de la rougeole mtp Tirés à part : M.-A. Dommergues La rougeole est une des maladies infectieuses les plus contagieuses. L’analyse d’une des épidémies de rougeole survenues en France depuis 2008 confirme l’extrême contagiosité de cette maladie, avec un taux d’attaque de 82 % chez les personnes susceptibles dans les quinze jours suivant l’exposition à un cas index [1]. Lors d’une épidémie survenue à Philadelphie dans une communauté religieuse refusant la vaccination, le taux d’attaque était de 94 % dans la tranche d’âge 1-4 ans [2]. Les variables intervenant dans la dynamique d’une maladie infectieuse au sein d’une population sont représentées par la proportion de sujets susceptibles à l’infection, la force de l’infection (probabilité de contracter l’infection pour des populations susceptibles : maximale au cours de la petite enfance), le taux de reproduction de base de la maladie, Ro (nombre moyen attendu de cas secondaires à partir d’un individu infecté dans une population entièrement susceptible) et le taux de reproduction effectif, R (nombre moyen attendu de cas secondaires à partir d’un individu infecté dans une population constituée d’individus susceptibles et immuns) [3]. La très grande majorité des vaccins apporte à la fois une protection individuelle directe et une protection collective indirecte (immunité de groupe), cette dernière apparaissant à partir d’un certain seuil de couverture vaccinale. Le taux de couverture nécessaire varie d’un vaccin à l’autre et dépend du taux de reproduction de la maladie infectieuse considérée (Ro). Plus la maladie est contagieuse, plus le Ro est élevé et plus la couverture vaccinale doit être importante pour éviter les épidémies (tableau 1). Le Ro élevé (15-17) de la rougeole implique un taux de couverture vaccinale élevé (95 %) pour interrompre la circulation du virus et éliminer la maladie. Pour citer cet article : Dommergues MA. La rougeole : une maladie pas comme les autres. mt pédiatrie 2010 ; 13 (5-6) : 337-42 doi:10.1684/mtp.2011.0330 337 La rougeole : une maladie pas comme les autres Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Tableau 1. Taux de reproduction Ro des maladies à prévention vaccinale et couverture vaccinale (CV) nécessaire pour empêcher les épidémies. Maladie infectieuse Ro CV en % Rougeole 15-17 95 Coqueluche 15-17 93-95 Varicelle 10-12 90-92 Oreillons 10-12 90-92 Rubéole 7-8 87 Diphtérie 5-6 83 Polio 5-6 83 Influenzae 2-20 50-95 30 minutes. Le virus est inactivé par la chaleur (56 ◦ C pendant 30 minutes), est sensible à de nombreux désinfectants : hypochlorite de sodium à 0,5 % de chlore actif, éthanol à 70 %, glutaraldéhyde, formaldéhyde. Transmission de la rougeole La phase de contagiosité commence la veille de l’apparition des premiers symptômes, soit cinq jours avant le début de l’éruption (J0), et s’étend jusqu’à au moins cinq jours après le début de l’éruption. L’ARN viral peut être détecté dans la salive, le nez, la gorge et l’urine de environ–J5 à +J12. La période de détection optimale dans le sang, la salive le nez ou la gorge s’étend de l’apparition de l’éruption à +J5 (figure 1 ) [4]. Le virus de la rougeole peut survivre deux heures sur les surfaces inertes et l’infectiosité des aérosols persiste au moins La rougeole est caractérisée par un réservoir exclusivement humain. Sa transmission se fait surtout par voie aérienne à partir des sécrétions nasopharyngées, et plus rarement par contact indirect avec des mains ou des objets contaminés par ces mêmes sécrétions. Le virus est le plus souvent transmis par l’intermédiaire de gouttelettes provenant des voies aériennes supérieures, générées lors de la toux, les éternuements ou la parole d’une personne infectée. Il peut également être transmis par inhalation d’aérosols contaminés : cas documentés d’infections survenues dans des endroits clos jusqu’à deux heures après le départ du patient source (transmission aéroportée) [5, 6]. Description clinique de la maladie Après une période d’incubation de 10 à 12 jours, la phase d’invasion correspond à une phase virémique avec présence de virus dans les sécrétions nasopharyngées et l’urine, l’atteinte de l’épithélium respiratoire étant Incubation Contagiosité J-14 Contage Érupion maculopapuleuse Phase d'invasion (-7 à -18) -J5 0 J3 JO : Date de début de l'éruption J5 J7 J10 J12 J28 J60 lgM sériques ou salivaires˙ PCR ¨ Période de positivité du test Période conseillée pour le prélévement ´ détectés depuis I’apparition de I’éruption jusqu’a´ environ 60 jour apres ´ ; ils sont le plus souvent * Les anticorps IgM peuvent ´etre positifs entre +J3 et + J28 dans la salive et le sérum. ** L’ARN viral ´etre ´ dérecté dans la salive, le nez, la gorge et I’urine de environ –J5 a´ + J12. La période de détection optimale dans le sang, la salive le nez ou la gorge s’étend de I’apparition de I’éruption a´ + J5. Figure 1. Évolution clinique et biologique de la rougeole. 338 mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. prédominante. D’une durée de 2 à 4 jours, cette phase est caractérisée par l’apparition d’une fièvre pouvant atteindre 39-40 ◦ C, d’un catarrhe oculo-respiratoire (toux, rhinite, conjonctivite) accompagné d’un malaise général avec asthénie. Des symptômes digestifs (douleurs abdominales, diarrhée, vomissements) peuvent aussi être observés à ce stade. Le signe de Köplik, pathognomonique, est inconstant : petites tâches blanches sur fond érythémateux au niveau de la muqueuse jugale, à la hauteur des molaires (figure 2). Il apparaît vers la 36e heure, est rare et fugace (souvent présent moins de 24 heures) puis disparaît après le début de la phase éruptive. Le délai moyen d’apparition de l’éruption est de 14 jours après le contage (de 7 à 18 jours). La phase éruptive correspond à la phase d’état de la maladie. L’éruption morbilliforme débute au niveau de la tête (derrière les oreilles) et du visage ; son extension est descendante en 3 à 4 jours : cou, épaules, thorax et membres supérieurs, puis abdomen, et membres inférieurs. Il s’agit de maculopapules érythémateuses, mesurant un à plusieurs millimètres, non prurigineuses, s’effaçant à la pression, de contours irréguliers, confluentes avec intervalles de peau saine (figure 3). Cette éruption dure cinq à six jours. La toux, les râles bronchiques, parfois associés à des sibilants, présents dès la phase catarrhale, persistent lors de la phase éruptive. La radiographie pulmonaire révèle le plus souvent un syndrome bronchique avec épaississement périhilaire, parfois accompagnés de troubles de ventilation. Durant la quatrième et dernière phase, l’éruption s’efface en laissant une coloration cutanée brune cuivrée, et fait place à une desquamation fine, visible pendant quelques jours. La fièvre disparaît, mais la convalescence, marquée par la persistance d’une toux et d’une asthénie, dure une dizaine de jours. Figure 2. Signe de Köplik. Figure 3. Exanthème de la rougeole. Complications de la rougeole Les complications les plus fréquentes, telles la diarrhée (5-13 %), l’otite moyenne aiguë (5-9 %) sont habituellement bénignes. Plus graves, les pneumonies virales ou bactériennes surviennent dans 1 à 7 % des cas. Les surinfections bactériennes se traduisent généralement par une reprise de la fièvre après la phase éruptive et une aggravation de la toux. La pneumonie interstitielle à cellules géantes s’observe chez les sujets ayant un déficit de l’immunité cellulaire (déficit immunitaire combiné sévère, infection par le VIH, traitement immunosuppresseur) ou en cas de malnutrition. Cette pneumopathie est la conséquence de la multiplication virale au niveau de l’arbre respiratoire. Elle se caractérise par une détresse respiratoire progressive, très fébrile, allant jusqu’à l’hypoxémie réfractaire et au décès. Elle peut survenir à la phase aiguë ou dans les deux mois suivant la rougeole. Il existe, dans le tissu pulmonaire, des cellules géantes multinucléées contenant des inclusions intranucléaires et cytoplasmiques, parfois retrouvées dans le liquide de lavage bronchoalvéolaire [7]. La laryngite striduleuse, pouvant survenir lors de la phase d’invasion ou d’état, est d’origine virale et bénigne. Les laryngo-trachéo-bronchites sévères, à l’origine d’une détresse respiratoire, sont plus rares, le jeune âge (inférieur à deux ans) et les surinfections bactériennes contribuant à la gravité du tableau clinique [8]. Les complications graves sont surtout d’ordre neurologique. L’encéphalite aiguë (1/1 000) survient le plus mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 339 La rougeole : une maladie pas comme les autres Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. souvent une à deux semaines après l’éruption. Elle aboutit à 15 % de décès et 40 % de séquelles. La panencéphalite subaiguë sclérosante (0,5 à 4/100 000) survient en moyenne 7 ans après l’éruption. Elle se manifeste par une démence évolutive constamment mortelle. Il existe également des formes retardées d’encéphalites (2 à 6 mois après l’éruption) essentiellement chez des sujets immunodéprimés. Le purpura thrombopénique aigu, survenant environ deux semaines après l’éruption, d’origine auto-immune, est rare. Les hépatites aiguës, secondaires à un effet cytopathogène du virus ou à la réponse immune de l’organisme, sont également rares. Ont été décrites des stomatites, des méningites lymphocytaires sans encéphalite, des myélites, des myocardites, des péricardites, des glomérulonéphrites et des pancréatites [9]. Le taux d’hospitalisation est d’environ 20 %, tous âges confondus, en France [10]. Les formes compliquées sont plus fréquentes chez les patients âgés de moins d’un an et de plus de 20 ans. Les complications les plus sévères sont la pneumonie chez l’enfant (2 à 7 %) et l’encéphalite aiguë chez l’adulte (1/1 000). La fréquence des décès est de l’ordre de 0,2 %. Rougeole et grossesse La rougeole, lors de la grossesse, est associée à un risque accru d’avortement (20 à 50 %), de mort fœtale et de prématurité, ces événements pouvant être en rapport avec l’hyperthermie maternelle [11-13]. Le virus de la rougeole n’est pas embryotoxique et n’induit pas de malformations fœtales. Les rougeoles congénitale ou néonatale, bien que très rares, peuvent être sévères, le taux de décès rapporté allant jusqu’à 30 % des cas [11, 13]. La grossesse semble également augmenter le risque de complications (laryngites, pneumopathies) chez la mère [12, 13]. La rougeole dans les pays en voie de développement La grande sensibilité des enfants à cette infection dans les pays en voie de développement s’explique par le mode de contamination : larges épidémies, surpopulation et promiscuité, importance de l’inoculum viral. Le catarrhe est souvent intense, en particulier la rhinorrhée et les signes oculaires. La diarrhée est également intense et aggravée par les co-infections parasitaires et bactériennes, par la malnutrition [14]. Une déshydratation est possible dès la phase d’invasion. L’éruption est typique et profuse, le signe de Köplik plus durable. Après la desquamation, constante, apparaissent des tâches conférant un aspect tigré à la peau pendant plusieurs semaines [9]. Les 340 infections bactériennes pulmonaires représentent la première complication. Les stomatites peuvent être étendues et associées à des infections candidosiques. Des conjonctivites purulentes et des kératites sévères peuvent aboutir à la fonte purulente de l’œil [9]. Il existe une relation directe entre l’état nutritionnel et la mortalité [15]. La rougeole maligne, encore décrite dans les pays en voie de développement, associe une hyperthermie majeure, des troubles de l’hémostase et un œdème aigu du poumon. Elle est rapidement fatale, en quelques heures ou jours. Rougeole et immunité Les complications infectieuses au décours immédiat de la rougeole et principalement les infections bronchopulmonaires sont la première cause de mortalité dans les pays en voie de développement et demeurent dans les pays plus riches la première cause de morbidité de cette maladie. Les relations de la rougeole avec le système immunitaire sont très complexes. Les sujets agammaglobulinémiques font une rougeole ordinaire. Les patients ayant un déficit immunitaire cellulaire ne peuvent éliminer le virus et sont exposés à des encéphalites semi retardées ou à des pneumonies à cellules géantes. Chez les sujets dont l’immunité était antérieurement considérée comme normale, l’immunodépression induite par le virus morbilleux dure plusieurs mois. Elle résulte de la coexistence de plusieurs mécanismes : lymphopénie portant sur les sous-populations T et B (mort et inhibition de la prolifération), production de cytokines immunosuppressives, diminution du nombre des polynucléaires dont le chimiotactisme est altéré in vivo et in vitro, suppression de l’activation des cellules dendritiques impliquées dans la présentation antigénique [16, 17]. Les réactions cutanées d’hypersensibilité retardée à la tuberculine se négativent toujours, dès l’éruption, et ne se repositivent que progressivement en 4 à 6 semaines. La rougeole augmente pendant des mois le risque d’infections et le risque de devoir prendre des antibiotiques [18]. Mesures autour d’un cas L’extrême contagiosité et la gravité potentielle de la rougeole imposent des mesures de contrôle précoces. La déclaration du cas au médecin inspecteur de santé publique de la DDASS, obligatoire, devant une suspicion clinique de rougeole ou un cas confirmé biologiquement, s’appuie sur les critères de notification (figure 4) [4]. La fiche de notification, à la disposition des médecins et des biologistes, est téléchargeable sur le site internet de l’InVS (http://www.invs.sante.fr/surveillance/mdo/fiches/ fiche_rougeole.pdf). Une éviction de la collectivité du mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 Rougeole Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Critères de notification Cas clinique : fièvre à 38,5 °C associée à une éruption maculopapuleuse et à au moins un des signes suivants : • conjonctivite • coryza • toux • signe de Köplik Cas confirmé : - cas confirmé biologiquement (détection d’IGM spécifiques* dans la salive ou le sérum et/ou séroconversion ou élévation de quatre fois au moins du titre des IgG* et/ou PCR positive et/ou culture positive) ou - cas clinique ayant été en contact dans les 7 à 18 jours avant le début de l’éruption avec un cas confirmé * En l’absence de vaccination récente Figure 4. Déclaration de la rougeole : critères de notification. malade est recommandée pendant toute la période de contagiosité, jusqu’à cinq jours après le début de l’éruption [19]. Il est essentiel de repérer la source de contamination, de rechercher d’autres cas et d’identifier les sujets contact dans l’entourage familial du malade. La vérification du statut vaccinal de ces personnes permettra de leur proposer un traitement préventif, en cas de non-immunisation préalable, pour éviter la survenue de la maladie : vaccination dans les 72 heures suivant le contage ou administration intraveineuse d’immunoglobulines polyvalentes dans les 6 jours suivant le contage chez les sujets à risque de rougeole sévère ne pouvant bénéficier de la vaccination postexposition [4]. of measles, mumps and rubella in Europe: implications for modelling studies. Epidemiol Infect 2000 ; 125 : 635-50. Remerciements et autres mentions Financement : aucun ; conflits d’intérêts : aucun. 8. Fortenberry JD, Mariscalco MM, Louis PT, Stein F, Jones JK, Jefferson LS. Severe laryngotracheobronchitis complicating measles. Am J Dis Child 1992 ; 146 : 1040-3. Références 9. Strebel PM, Papana MJ, Dayan GH, Halsey NA. Measles Vaccine. In : Plotkin SA, Orenstein WA, Offit PA, editors. Vaccines, 5th Edition. Philadelphia : Saunders, 2008, p. 353-398. 1. 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