Délais d`attente - The Royal College of Physicians and Surgeons of

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7.1.1 Délais d'attente
James Clarke, FRCPC
Objectifs d'apprentissage
Après examen de l'étude de cas, l'apprenant doit être en mesure de :
1. Définir les principales considérations éthiques que soulève la question des listes d'attente
2. Définir la responsabilité éthique du médecin en ce qui a trait aux listes d'attente
Cas
M. Lambert, un travailleur de l'automobile âgé de 42 ans, consulte le Dr Simmons, un médecin de famille, à son
cabinet pour une douleur à l'épaule. Père de trois enfants, M. Lambert s'est blessé à l'épaule en jouant au hockey
et il a maintenant de la difficulté à travailler. Il craint de devoir s'absenter du travail et, comme il ne s'agit pas
d'un accident du travail, il craint de ne pas être admissible à des prestations. Le Dr Simmons soupçonne un
traumatisme de la coiffe des rotateurs et il dirige M. Lambert vers un orthopédiste de la région, le Dr White. Deux
semaines plus tard, le cabinet du Dr White communique avec le Dr Simmons pour l'informer que le Dr White ne
pourra recevoir le patient avant neuf mois. Le Dr Simmons communique alors avec l'autre orthopédiste de la
région et apprend que sa liste d'attente est de 13 mois. Le Dr Simmons demande si des mesures pourraient être
prises pour accélérer le processus, et le cabinet du Dr White lui indique que, s'il s'agissait d'un accident du travail,
la commission d'indemnisation des accidentés du travail pourrait lui obtenir un rendez-vous d'ici six semaines.
M. Lambert doit finalement arrêter de travailler en attendant son rendez-vous chez le Dr White. Neuf mois plus
tard, le Dr White pose un diagnostic de traumatisme des coiffes du rotateur. Il prescrit un arthrogramme par IRM
pour évaluer la coiffe des rotateurs et le bourrelet glénoïdien et indique à M. Lambert qu'il prendra une décision
finale au sujet de l'opération après avoir obtenu les résultats de l'IRM. Dans l'intervalle, il recommande au patient
de faire de la physiothérapie et de prendre des analgésiques. Une semaine plus tard, M. Lambert reçoit un appel
de l'hôpital qui lui fixe un rendez-vous pour l'IRM dans cinq mois. M. Lambert demande alors au Dr White s'il
connaît une clinique privée où il pourrait passer son IRM, afin de subir son opération plus rapidement et de
retourner plus tôt au travail. Il demande également au Dr Simmons s'il connaît des orthopédistes qui exercent
dans le privé et qui pourraient l'opérer plus tôt.
Questions
1.
2.
3.
4.
5.
Quelles sont les obligations éthiques du Dr Simmons envers M. Lambert à ce stade-ci?
Quelles sont les obligations éthiques du Dr White envers M. Lambert à ce stade-ci?
Le rationnement des soins de santé par les listes d'attente est il justifiable sur le plan éthique?
Y a t il un seuil au delà duquel les listes d'attente deviennent contraires à l'éthique?
Un système de soins de santé peut il être contraire à l'éthique?
Discussion
Discussion Un sondage réalisé auprès de douze bioéthiciens du Canada a placé les listes d'attente au deuxième
rang, parmi une liste des dix principaux problèmes d'ordre éthique auxquels avaient eu à faire face les patients
canadiens en 20051. De l'avis des bioéthiciens, des listes d'attente d'une longueur inappropriée peuvent
empêcher le patient de reprendre normalement ses activités et son travail et peuvent causer une détresse
psychologique. Les listes d'attente peuvent aussi aggraver les problèmes causés par la pénurie des ressources,
du fait que des lits dans des hôpitaux de soins actifs sont occupés, à tort, par des patients en attente d'une
chirurgie ou d'une place dans une maison de soins infirmiers.
Au cours des dernières années, la portée des obligations éthiques du médecin a été élargie, celui-ci ne devant
plus se préoccuper essentiellement du patient du moment, conformément au serment d'Hippocrate, mais devant
aussi veiller à une répartition équitable des rares ressources2,3. Il est difficile pour les médecins d'envisager la
question des listes d'attente comme moyen de régler les problèmes dus à la pénurie des ressources et celle de la
limitation de l'autonomie des patients, car ce sont des sujets à propos desquels les personnes raisonnables
peuvent facilement être en désaccord. Le Dr Simmons a l'obligation d'obtenir, pour son patient, le meilleur
traitement et de prendre sa défense dans le système de soins de santé. Cette obligation fiduciaire du médecin
s'appuie sur des motifs à la fois éthiques et juridiques3. L'orthopédiste, le Dr White, a lui aussi une responsabilité
envers M. Lambert, car il l'a reçu en consultation et il connaît son état. S'il n'existait aucune autre ressource pour
obtenir des services de chirurgie ou de diagnostic, la solution serait simple : les deux médecins ne pourraient que
faire pression auprès du gouvernement et des hôpitaux pour que l'on augmente les ressources afin de réduire les
listes d'attente. Dans le cas présent, toutefois, le système de santé offre des solutions de rechange, mais divers
mécanismes en restreignent l'accès.
Le concept même des listes d'attente est sujet à l'abus et à la critique, car il existe peu de normes généralement
reconnues définissant qui devrait être sur les listes, à quel moment une personne devrait être inscrite sur une
liste d'attente et comment devrait être établi l'ordre de priorité des personnes inscrites. On tente de régler la
question de l'équité en cherchant à s'assurer que le temps d'attente est le même pour tous. Cependant, si aucun
mécanisme n'est prévu pour tenir compte de l'acuité du problème du patient, le processus pourrait être
équitable, mais il ne serait pas pour autant juste. De l'avis de certains, tant que ces normes n'auront pas été
définies et acceptées, il est inutile de tenter de réduire les listes d'attente en affectant davantage de ressources4.
En effet, l'augmentation des ressources allouées aux hôpitaux et aux praticiens pour aider à réduire les listes
d'attente crée un incitatif en faveur du maintien des listes d'attente, en vue d'obtenir encore plus de ressources.
Dans les cas d'interventions chirurgicales telles que les arthroplasties ou les chirurgies de la cataracte (qui
dépendent en partie de l'habileté du chirurgien), on pourrait faire valoir que les médecins ayant de longues listes
méritent le respect des patients qui sont dirigés vers eux, en raison de leur rendement élevé. Il pourrait donc
être préférable de diriger les nouvelles ressources vers les chirurgiens qui ont de longues listes d'attente et,
plutôt que d'examiner les listes d'attente de chaque praticien, d'établir les délais d'attente régionaux ou locaux
d'une manière plus globale5. De nombreuses organisations et collaborations ont défini des critères devant régir la
prestation des soins et ont cherché à établir des délais d'attente médicalement acceptables pour tenter
d'atténuer ces problèmes. Le Western Canada Waiting List Project (WCWP) et le Cardiac Care Network de
l'Ontario sont deux exemples fréquemment cités4,6,7. Le WCWP cherche à établir des délais d'attente
médicalement acceptables pour un éventail de procédures, alors que le Cardiac Care Network a défini des critères
cliniques et diagnostiques précis pour établir l'ordre de priorité des patients en attente d'une chirurgie cardiaque8.
Les listes d'attente peuvent aussi influencer le choix du traitement et la pratique clinique, comme l'a démontré
une étude sur la radio-oncologie menée dans le Queensland, en Australie9, qui révèle que les radio-oncologues
réduisent la quantité de traitements (surtout chez les patients en soins palliatifs) lorsque les délais d'attente
augmentent. Ainsi, lorsque les cliniciens sont de plus en plus pressés par le temps, ils réduisent le nombre de
fractions par patient, ce qui leur permet d'en traiter un plus grand nombre. Selon un sondage réalisé au
Royaume-Uni, les patients en attente d'une arthroplastie de la hanche doivent composer avec de longs délais,
autant pour leur premier rendez-vous que pour la date de l'opération. Au moment de la chirurgie, les personnes
pour qui les délais ont été les plus longs présentent les niveaux de douleur et d'incapacité les plus élevés, ce qui
laisse croire que ces critères n'ont pas été pris en compte dans l'établissement de l'ordre de priorité des patients.
En d'autres mots, après l'inscription sur la liste d'attente, l'ordre de priorité des patients n'est plus ajusté en
fonction de l'aggravation des symptômes10.
Dans le cas présent, les Drs White et Simmons ont l'obligation éthique d'obtenir des soins rapidement pour leur
patient, afin de lui donner les meilleures chances de reprendre normalement ses activités à la maison et au
travail. Ils devraient donc tenter de s'assurer que leur patient n'a pas à attendre un délai déraisonnable pour
obtenir les soins dont il a besoin. Cependant, le problème, pour les patients, les gouvernements, les médecins et
les tribunaux, est justement de définir ce qui constitue un délai d'attente raisonnable. Comme il existe d'autres
moyens d'obtenir des soins, par exemple être dirigé à l'extérieur de la province ou vers un établissement privé,
on pourrait faire valoir qu'un délai de 14 mois pour décider si M. Johnston a besoin d'une chirurgie est
déraisonnable, si cela l'empêche de travailler et cause du stress à sa famille. On pourrait donc alléguer que les
Drs White et Simmons ont l'obligation éthique d'informer le patient des autres voies de traitement disponibles et
de faciliter son aiguillage, si cela doit lui permettre d'obtenir de meilleurs soins.
Certains médecins allégueront que l'aiguillage du patient vers un établissement privé équivaut au resquillage, ce
qui est contraire aux principes éthiques de justice sociale et d'accès équitable aux soins. Ces principes ont ils
priorité sur la responsabilité fiduciaire qu'a le médecin d'obtenir les meilleurs soins pour ses patients? Si un
médecin croit en ces principes, quelle devrait être sa réaction face à un patient qui demande d'être dirigé vers un
établissement privé? Une question similaire a été soulevée en ce qui a trait aux médecins et à la prestation de
services d'avortement; tant sur le plan juridique qu'éthique, le médecin a l'obligation de s'assurer que le patient
reçoit les soins dont il ou elle a besoin, même si cela va à l'encontre des convictions personnelles du médecin11.
Si un médecin ne trouve pas acceptable d'avoir recours à des services privés pour obtenir des soins plus
rapidement, il a l'obligation éthique de transférer le patient à un autre médecin qui sera disposé à le faire. On
pourrait aussi faire valoir que, s'il ne l'a pas déjà fait, le Dr White doit élaborer une politique appropriée pour
gérer les listes d'attente et y greffer un mécanisme permettant d'établir l'ordre de priorité des cas inscrits sur ces
listes.
Le conflit survient du fait qu'il n'existe pas de normes établies relativement aux listes d'attente, ni de système
largement utilisé pour établir l'ordre de priorité des patients inscrits sur ces listes. Qui plus est, il existe des voies
bien établies et sanctionnées par l'État qui permettent de contourner les listes d'attente dans le secteur public et
qui soulèvent des questions sur l'éthique de l'ensemble du système. Au Canada, les commissions d'indemnisation
des accidentés du travail de certaines provinces accordent des contrats pour la prestation plus rapide des
services, afin de favoriser un retour plus rapide au travail et de réduire le fardeau imputable aux incapacités des
patients12. Le même patient qui subirait le même traumatisme dans un cadre non relié au travail n'aurait pas le
même accès. Si l'on invoque le retour plus rapide au travail dans l'intérêt du patient pour justifier le système des
commissions d'indemnisation des accidentés du travail, pourquoi ces mêmes arguments ne s'appliqueraient-ils
pas pour les traumatismes non subis au travail? Si l'objectif est de permettre aux commissions d'indemnisation
des accidentés du travail et aux employeurs de réduire leurs coûts liés aux incapacités, pourquoi alors ne serait il
pas acceptable pour un patient d'obtenir un traitement plus rapidement pour préserver ses possibilités de
revenu? Le même raisonnement s'applique au traitement prioritaire dont bénéficient les membres de la
Gendarmerie royale du Canada (GRC) et les militaires canadiens. S'il est acceptable pour ces employeurs de
court circuiter les listes d'attente pour permettre à leurs employés de retourner au travail le plus rapidement
possible, pourquoi n'est il pas aussi acceptable pour une personne de chercher à obtenir un traitement plus
rapidement pour retourner au travail le plus tôt possible? Certains allégueront que les membres des Forces
armées et de la GRC servent davantage la société et qu'il est donc dans l'intérêt public de veiller à ce qu'ils
reprennent le travail le plus rapidement possible. Cependant, le fondement éthique des listes d'attente serait
beaucoup plus facilement justifiable si les soins n'étaient dispensés que par l'État et si personne ne bénéficiait
d'une considération spéciale ou d'un traitement prioritaire.
La question de la responsabilité ultime du financement du traitement d'un patient prête également à discussion.
Le gouvernement perçoit des impôts pour aider à financer le système de soins de santé; le coût des soins
dispensés à une personne est donc réparti entre l'ensemble de la population. Cependant, l'État a beaucoup
d'autres priorités, et il est possible qu'une personne soit en désaccord avec la manière dont l'argent des
contribuables est dépensé, en particulier lorsque cette personne ou un membre de sa famille a besoin de soins.
Si le gouvernement choisit de financer un système qui requiert l'établissement de listes d'attente pour rationner
les soins, le patient qui a les moyens de s'offrir des soins ailleurs a t il l'obligation de rester sur la liste d'attente?
Certains gouvernements qui ont la responsabilité de systèmes de soins de santé ayant de longues listes d'attente
ont commencé à diriger les patients à l'extérieur pour qu'ils puissent y obtenir des soins plus rapidement13. En
pareils cas, il est probable qu'un processus d'aiguillage centralisé sera plus efficace que des systèmes mis en
place par chaque médecin pour ses propres patients; un tel processus demeurerait néanmoins sujet à la
variabilité des compressions budgétaires de l'État.
Conclusion
En résumé, les listes d'attente et la manière de composer avec ces listes d'attente posent un problème d'éthique
complexe pour les médecins, les patients et les gouvernements du Canada. S'il existe des lignes directrices bien
établies définissant les critères d'inscription sur une liste d'attente et la manière d'établir l'ordre de priorité des
patients inscrits sur ces listes, les listes d'attente peuvent alors être considérées comme des solutions
acceptables sur le plan éthique au problème de la pénurie de ressources. Cependant, si un patient fait face à des
délais d'attente déraisonnables, le médecin a l'obligation de l'informer des autres options qui existent pour
obtenir des soins, y compris l'aiguillage possible vers d'autres fournisseurs de soins.
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