limitation de l'autonomie des patients, car ce sont des sujets à propos desquels les personnes raisonnables
peuvent facilement être en désaccord. Le Dr Simmons a l'obligation d'obtenir, pour son patient, le meilleur
traitement et de prendre sa défense dans le système de soins de santé. Cette obligation fiduciaire du médecin
s'appuie sur des motifs à la fois éthiques et juridiques3. L'orthopédiste, le Dr White, a lui aussi une responsabilité
envers M. Lambert, car il l'a reçu en consultation et il connaît son état. S'il n'existait aucune autre ressource pour
obtenir des services de chirurgie ou de diagnostic, la solution serait simple : les deux médecins ne pourraient que
faire pression auprès du gouvernement et des hôpitaux pour que l'on augmente les ressources afin de réduire les
listes d'attente. Dans le cas présent, toutefois, le système de santé offre des solutions de rechange, mais divers
mécanismes en restreignent l'accès.
Le concept même des listes d'attente est sujet à l'abus et à la critique, car il existe peu de normes généralement
reconnues définissant qui devrait être sur les listes, à quel moment une personne devrait être inscrite sur une
liste d'attente et comment devrait être établi l'ordre de priorité des personnes inscrites. On tente de régler la
question de l'équité en cherchant à s'assurer que le temps d'attente est le même pour tous. Cependant, si aucun
mécanisme n'est prévu pour tenir compte de l'acuité du problème du patient, le processus pourrait être
équitable, mais il ne serait pas pour autant juste. De l'avis de certains, tant que ces normes n'auront pas été
définies et acceptées, il est inutile de tenter de réduire les listes d'attente en affectant davantage de ressources4.
En effet, l'augmentation des ressources allouées aux hôpitaux et aux praticiens pour aider à réduire les listes
d'attente crée un incitatif en faveur du maintien des listes d'attente, en vue d'obtenir encore plus de ressources.
Dans les cas d'interventions chirurgicales telles que les arthroplasties ou les chirurgies de la cataracte (qui
dépendent en partie de l'habileté du chirurgien), on pourrait faire valoir que les médecins ayant de longues listes
méritent le respect des patients qui sont dirigés vers eux, en raison de leur rendement élevé. Il pourrait donc
être préférable de diriger les nouvelles ressources vers les chirurgiens qui ont de longues listes d'attente et,
plutôt que d'examiner les listes d'attente de chaque praticien, d'établir les délais d'attente régionaux ou locaux
d'une manière plus globale5. De nombreuses organisations et collaborations ont défini des critères devant régir la
prestation des soins et ont cherché à établir des délais d'attente médicalement acceptables pour tenter
d'atténuer ces problèmes. Le Western Canada Waiting List Project (WCWP) et le Cardiac Care Network de
l'Ontario sont deux exemples fréquemment cités4,6,7. Le WCWP cherche à établir des délais d'attente
médicalement acceptables pour un éventail de procédures, alors que le Cardiac Care Network a défini des critères
cliniques et diagnostiques précis pour établir l'ordre de priorité des patients en attente d'une chirurgie cardiaque8.
Les listes d'attente peuvent aussi influencer le choix du traitement et la pratique clinique, comme l'a démontré
une étude sur la radio-oncologie menée dans le Queensland, en Australie9, qui révèle que les radio-oncologues
réduisent la quantité de traitements (surtout chez les patients en soins palliatifs) lorsque les délais d'attente
augmentent. Ainsi, lorsque les cliniciens sont de plus en plus pressés par le temps, ils réduisent le nombre de
fractions par patient, ce qui leur permet d'en traiter un plus grand nombre. Selon un sondage réalisé au
Royaume-Uni, les patients en attente d'une arthroplastie de la hanche doivent composer avec de longs délais,
autant pour leur premier rendez-vous que pour la date de l'opération. Au moment de la chirurgie, les personnes
pour qui les délais ont été les plus longs présentent les niveaux de douleur et d'incapacité les plus élevés, ce qui
laisse croire que ces critères n'ont pas été pris en compte dans l'établissement de l'ordre de priorité des patients.
En d'autres mots, après l'inscription sur la liste d'attente, l'ordre de priorité des patients n'est plus ajusté en
fonction de l'aggravation des symptômes10.
Dans le cas présent, les Drs White et Simmons ont l'obligation éthique d'obtenir des soins rapidement pour leur
patient, afin de lui donner les meilleures chances de reprendre normalement ses activités à la maison et au
travail. Ils devraient donc tenter de s'assurer que leur patient n'a pas à attendre un délai déraisonnable pour
obtenir les soins dont il a besoin. Cependant, le problème, pour les patients, les gouvernements, les médecins et
les tribunaux, est justement de définir ce qui constitue un délai d'attente raisonnable. Comme il existe d'autres
moyens d'obtenir des soins, par exemple être dirigé à l'extérieur de la province ou vers un établissement privé,
on pourrait faire valoir qu'un délai de 14 mois pour décider si M. Johnston a besoin d'une chirurgie est
déraisonnable, si cela l'empêche de travailler et cause du stress à sa famille. On pourrait donc alléguer que les
Drs White et Simmons ont l'obligation éthique d'informer le patient des autres voies de traitement disponibles et
de faciliter son aiguillage, si cela doit lui permettre d'obtenir de meilleurs soins.
Certains médecins allégueront que l'aiguillage du patient vers un établissement privé équivaut au resquillage, ce
qui est contraire aux principes éthiques de justice sociale et d'accès équitable aux soins. Ces principes ont ils
priorité sur la responsabilité fiduciaire qu'a le médecin d'obtenir les meilleurs soins pour ses patients? Si un
médecin croit en ces principes, quelle devrait être sa réaction face à un patient qui demande d'être dirigé vers un
établissement privé? Une question similaire a été soulevée en ce qui a trait aux médecins et à la prestation de
services d'avortement; tant sur le plan juridique qu'éthique, le médecin a l'obligation de s'assurer que le patient
reçoit les soins dont il ou elle a besoin, même si cela va à l'encontre des convictions personnelles du médecin11.