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ici adoptée, va, toutefois, au-delà du caractère « hallucinatoire-évocateur »
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habituellement
présumé : en mobilisant une interaction entre mot et image, symbolique et imaginaire, dans le corps
écrit du texte, l’œuvre littéraire reflète elle-même, en dernier recours, la structure au fond de
l’identité de la culture – c’est-à-dire la structure de cette fiction qui constitue le ‘au nom de’ derrière
la production esthétique et l’ordre normatif constitutifs de la culture, la structure de l’Hyper-miroir,
dans lequel le sujet monumental de la culture constitue sa propre identité. Ainsi la littérature touche
à une dimension au-delà même de la fiction, à une sphère derrière la fiction, ou, selon la
terminologie de Legendre : à l’abîme de l’existence humaine, et donc à une zone qui, en tant
qu’espace chaotique, constitue la base de l’ordre humain. C’est donc dans le cadre protégé de sa
constitution écrite et normative que le texte littéraire transforme cette dimension, l’entité y naissant,
en une formation image-mot qui, pour assurer l’existence non-délirante de la culture, voile l’abîme.
Or, en même temps, il ouvre, en tant que « fenêtre sur le chaos »
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, le regard sur le lieu de l’origine de
cette entité, sur cette dimension, dans laquelle c’est du chaos, du principe de l’indifférence
qu’émerge l’ordre normatif, le principe de Référence, permettant la raison, le non-délire.
La littérature est caractérisée par le fait que sa structure – mot-image-corps – est mise au service de
la fiction à des fins normatives. Elle est le médium esthétique capable de mettre en scène une
dialectique entre forme et absence de forme, non seulement dans sa structure et son contenu, mais
aussi dans la confrontation avec le lecteur. En tant que représentante de l’altérité par excellence, elle
tient compte de cette dimension, où normativité et chaos fusionnent de manière culturellement
constitutive ; où « ce qui dépasse tout ordre » devient la source de l’ordre.
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Du fait de son lien structurel avec l’ordre qu’elle aide elle-même à ériger, et du fait de sa position
spécifique entre sujet et Référence, la littérature devient l’interface de la dialectique entre la
constitution de la Référence et ses sujets : la relation entre mot, image, corps du sujet, et mot,
image, corps de la Référence fondatrice, passe par le triangle mot, image, corps du texte littéraire –
celui-ci devenant ainsi un médium en position de miroir, dont la puissance de réfraction peut irradier
dans les deux directions. De cette manière, la littérature peut, d’un côté, rassurer le sujet quant à son
intégration dans l’ordre normatif de la Référence, et de l’autre, créer un moment d’accès du lecteur à
la Référence qui peut ainsi, à travers la mobilisation du chaos auquel la littérature donne voix, faire
vaciller la Référence de manière émancipatrice.
Notre étude ose donc l’hypothèse suivante : le rattachement efficace du sujet au système du droit
qui fait foi, qui est légitimé et fondé, donc dogmatiquement mis en scène, passe par la littérature.
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Ibid., 52.
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Cf. Cornelius Castoriadis, Fenêtre sur le chaos (Paris: Seuil 2007).
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Gérard Raulet, “Der opake Punkt des Politischen. Kleists ‘Penthesilea’ als Gründungsmythos“, dans:
Penthesileas Versprechen: Exemplarische Studien über die literarische Referenz, éd. par Rüdiger Campe,
(Freiburg i. Br.: Rombach 2008), 343-74, 368.