Corinne Roux-Lafay
Atelier didactique
Le langage à l'école maternelle
Avril 2008
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Je souscris entièrement à l'avis du philosophe Michel Tozzi qui, dans L'éveil de la pensée réflexive à
l'école primaire, note que "l'enfant ne peut comprendre la portée de la question qu'il pose que lorsqu'on la lui
renvoie en écho, avec des reformulations qui lui donnent un sens humainement travaillé et entendu".
Pour cette raison, je pense que le modèle d'Alain Delsol exposé dans Les activités à visée philosophique
en classe, l'émergence d'un genre ?, et qui préconise de donner des responsabilités à de jeunes élèves de 5/6ans
(président de séance, animateur, secrétaire mais aussi dessinateur et observateurs) est également discutable de
par le rôle très en retrait du professeur, lequel vise seulement à la bonne régulation des débats. Outre le fait que
l'autorité de l'enseignant ne saurait se déléguer, à la différence du pouvoir, la surcharge cognitive des élèves
menant le débat risque de s'opérer au détriment du débat, de son contenu. Bref, la forme risque de prévaloir sur le
fond et l'intérêt est alors surtout relatif à la mise en place de rôles ayant pour but, selon l'auteur, "d'élargir les
compétences langagières de l'élève".
En effet, il est possible que les rôles proposés fonctionnent effectivement comme autant de "masques"
permettant à l'enfant de "décentrer son point de vue pour l'intéresser davantage aux autres membres du groupe".
Pourtant, une expérience réalisée en référence à ce modèle par une stagiaire PE 2, Charlotte Lafay, prouve au
contraire que ce protocole semblait inhiber la prise de parole des élèves timides, La philosophie à l'école
primaire, 2005-2006. On pourrait objecter que les masques, les rôles sociaux, créent davantage un personnage
alors qu'il convient de faire émerger, dans la discussion, la personne porteuse d'altérité.
Notons également que les rôles de président de séance et de secrétaire ne sauraient guère être réalisés avec
quelque pertinence avant le cycle 3. Enfin, j’ai pu observer (en cycle 3) une relative frustration de la part des
élèves ainsi « écartés » du débat.
La mise en place de rôle différenciés exercés successivement semble surtout un outil pour construire
une "attitude citoyenne", posture d'autonomie, de respect de la parole d’autrui, qui peut s’éduquer
préférentiellement à travers des débats relatifs à la vie de la classe, ayant un enjeu non point réflexif mais
décisionnel.
Pour conclure sur ce 1
er
point, je dirai que l'autorité de la pensée se construit précisément dans
des échanges réglés, sous réserve d'un guidage cognitif de l'enseignant extrêmement présent, en vue de
garantir la qualité réflexive des débats. Pour ce faire, le professeur assumera les fonctions d'animateur
irréductibles à la gestion et la circulation de la parole. Il s'agira, par un questionnement prenant appui sur les
arguments des élèves, de faire progresser rationnellement la discussion tout en visant à faire acquérir aux élèves
des compétences à la fois langagières et réflexives. Anne Lalanne in Faire de la philosophie à l'école
élémentaire, considère que le guidage de l'enseignant s'articule autour de deux axes : la reformulation entendue
en un sens large (outre la précision à travers le maniement du langage, désigne aussi la relance du débat, le fait
de pointer une incohérence, une contradiction, ou de poser une question en vue d'approfondir l'argumentation), et
la structuration logique des idées avancées par les différents élèves.
La posture professorale ressemble alors à la maïeutique socratique : le retrait relatif dans la
discussion (au regard des situation habituelles d'enseignement) présuppose une écoute active critique, afin de
faire accoucher les élèves d'une raison qu'ils portent en eux sans le savoir, par un jeu réglé de questions
ponctuant et rythmant les échanges.
2) On l'aura compris : il ne s'agit pas de développer l'esprit de critique mais bien l'esprit critique.
Comme le dit parfaitement Gérard Auguet in "Du "débat"à l'école, oui, mais pas n'importe quoi", Cahiers
pédagogiques, septembre 2000 :" on ne peut appeler débat qu'une situation d'interlocution organisée, destinée à
faire émerger les représentations fautives, non pertinentes ou insuffisantes de chacun, dans le but qu'elles soient
ensuite dépassées dans une confrontation coopérative fondée sur l'exigence commune de rationalité et de vérité.
C'est dans cette acception qu'il faudra désormais entendre le mot. Par conséquent, échappe à cette définition
toute situation d'échange qui se bornerait à une simple exhibition d'"idoles de la caverne". Il existe d'autres lieux
que l'école pour cela."
Egalement; l'école laïque républicaine a pour mission d'instituer un "sens commun à tous" pour
reprendre l'expression kantienne, "sens commun" qui se décline travers les trois maximes d'une "pensée sans
préjugés", d'une "pensée élargie", et d'une "pensée conséquente", Critique de la faculté de juger.