La Bible, un traité d’économie ?
faire l’éloge de l’insouciance économi-
que (Lc 12,24-27), la parabole du se-
meur (Mc 4) qui donne en exemple le
gaspillage, sans parler des miracles de
l’eau changée en vin à Cana (Jn 2) et
de la multiplication des pains (Jn 6) :
ces miracles résonnent comme une pro-
vocation aux oreilles des travailleurs qui
connaissent par expérience le b.a.-ba
de l’économie : il n’existe pas de petits-
déjeuners gratuits.
Inspiration
Faire de l’Evangile une autorité écono-
mique, voilà l’erreur. Certes, cette erreur
succède à bien d’autres de même na-
ture : n’a-t-on pas voulu transformer la
Bible en livre d’histoire, puis en manuel
de morale, voire en une collection de re-
cettes de cuisine diététique ? Bossuet a
même prétendu tirer de l’Ecriture sainte
une politique au service de l’absolutisme
royal de Louis XIV.
Apparemment, chacun trouve dans la
Bible l’économie qui lui plait. Les uns
rappellent que la richesse est une bé-
nédiction venant de Dieu : « Abraham
était très lourd en troupeaux, argent et
or » (Gn 13,2), « Isaac s’enrichit de plus
en plus, jusqu’à devenir extrêmement
riche » (Gn 26,13), « Yahvé bénit la con-
dition nouvelle de Job, plus encore que
l’ancienne. Il posséda quatorze mille
brebis, six mille chameaux, mille paires
de bœufs et mille ânesses » (Jb 42,12).
En revanche, les autres soulignent, à la
suite de Marie, la mère de Jésus, que
Dieu préfère les pauvres : « Le Puissant
renvoie les riches les mains vides » (Lc
1,53) ; ce que confirme la parole de Jé-
sus : « Il sera difficile à un riche d’entrer
dans le Royaume des cieux » (Mt 20,23).
Juda est scandalisé : « Pourquoi n’a-t-
on pas vendu ce parfum trois cents de-
niers pour le donner aux pauvres ? »
(Jn 12,5) : il ne fait ce faisant que trans-
crire littéralement l’injonction du Maître
en Lc 12,33 : « Vendez vos biens et don-
nez-les en aumônes. » Mais, en fait, il lui
manque l’inspiration.
Comment expliquer toutes ces mala-
droites récupérations des textes évan-
géliques au profit de causes économi-
ques contradictoires ? La réponse n’est
pas à chercher bien loin : l’Evangile est
utilisé, à la manière d’une valeur abso-
lue, comme un argument d’autorité au
service d’un objectif légitime, certes,
mais discutable et qu’il faudrait relativi-
ser. Liberté, liberté, que de crimes on
commet en ton nom ! disait-on au siè-
cle du libéralisme triomphant. Egalité,
égalité, que de crimes on commet en
ton nom ! disait-on déjà en constatant
les actes de terreur des Jacobins sous
la Révolution française. Sécurité, pou-
voir, pauvreté ou richesse, que de crimes
on commet en ton nom !
Ce qui est ici source de violence, c’est
la sanctification d’un objectif économi-
que particulier : égalité, sécurité, con-
fort, pauvreté ou richesse. Cet objectif
intouchable, supposé voulu par Dieu,
justifie tous les moyens, même les plus
criminels. Hors de toute intention cri-
minelle, il est facile de tomber dans la
tentation de se mettre à la place de Dieu
qui seul voit « l’ensemble du temps »,
comme disait le sage Quohélet (3,11)
et seul peut donner sens aux objectifs
disparates portés par les êtres humains.
Autrement dit, c’est Dieu seul qui justifie,
et non pas la cause économique, aussi
légitime soit-elle.
Le discernement s’en inspire, qui consiste
à passer son désir au filtre de l’échec
envisagé : lorsque je considère que l’ob-
jectif économique poursuivi ne sera peut-
être
pas atteint, est-ce que je garde ce-
pendant le désir d’y travailler ?
C’est ce dont témoigne Jeanne d’Arc
lors d’un des nombreux procès inten-
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économie
novembre 2007
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