La nanophotonique

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AVANT-PROPOS
La miniaturisation incessante des composants électroniques au cours des
cinquante dernières années nous a habitués au concept de microélectronique, lorsque
les dimensions des transistors ont côtoyé le micron, puis aujourd’hui à celui de
nano-électronique avec l’annonce de longueurs de grille de transistor d’une dizaine
de nanomètres. Il est d’ailleurs d’usage de faire référence à la loi de Moore1, loi
prédictive selon laquelle la longueur de grille des transistors se réduit d’un facteur
deux tous les dix-huit mois environ.
Le concept de nanophotonique, s’il ne nous surprend pas, reste cependant moins
précisément perçu par la communauté scientifique que celui de nano-électronique.
Certes, on se rend compte des tailles réduites qu’ont aujourd’hui les composants
optoélectroniques, tels que les diodes lasers, les modulateurs et détecteurs
développés pour les besoins des télécommunications optiques, mais il n’existe pas
de loi de Moore de l’optoélectronique et la limite la plus habituelle que l’on imagine
naïvement pour l’optique est celle de la longueur d’onde, c’est-à-dire une dimension
voisine du micron pour les ondes du visible et du proche infrarouge.
C’est donc bien le propos de cet ouvrage de tenter de donner une vue d’ensemble
plus précise d’un domaine en pleine émergence, celui de la nanophotonique, où l’on
cherche à maîtriser et façonner les champs optiques à des échelles d’une fraction de
longueur d’onde et même largement sub-longueur d’onde.
De fait, si la « puce » optique n’existe pas à l’instar de la « puce » électronique,
les cristaux photoniques entretiennent, depuis peu, un formidable espoir pour
l’intégration à grande échelle de composants optoélectroniques. Les cristaux
photoniques bidimensionnels, obtenus par structuration périodique d’un guide
1. G. Moore, fondateur d’INTEL.
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Nanophotonique
optique planaire ont, en particulier, de nombreuses caractéristiques qui les
rapprochent des micro- et nanostructures de l’électronique. Dans une vision simple,
il suffit d’introduire des défauts de périodicité à des endroits convenablement choisis
au sein du cristal pour réaliser les composants optiques que l’on désire (guides,
virages de lumière, microrésonateurs, filtres…), et les coupler entre eux en formant
ainsi un véritable circuit photonique. Certes, la réalité est plus difficile qu’il n’y
paraît, ne serait-ce que par la précision requise dans la fabrication des structures.
Dans de nombreux cas, celle-ci est couramment estimée inférieure ou égale à la
dizaine de nanomètres, et l’on réalise alors toute la pertinence du parallélisme entre
nano-électronique et nanophotonique. Les deux premiers chapitres sont donc
principalement consacrés aux cristaux photoniques en optique planaire, faisant écho
à d’autres ouvrages récemment parus sur le sujet2, tout en se focalisant sur les
composants photoniques proprement dits, la dynamique des photons plongés dans le
milieu structuré périodiquement et la perspective d’aboutir à des circuits photoniques à
haute intégration.
Dans la lignée des cristaux photoniques bidimensionnels, mais s’écartant
radicalement de l’optique guidée planaire, le chapitre 3 aborde le thème des fibres à
cristal photonique et plus généralement, celui des fibres structurées. Non seulement
la propagation de la lumière s’effectue, cette fois, perpendiculairement au plan de
structuration périodique, mais la technologie de fabrication, unique en son genre,
repose sur un premier assemblage réalisé à une échelle macroscopique, les
micronanostructurations finales s’obtenant, dans une seconde étape, par un procédé
d’étirage. Il est impressionnant de pouvoir ainsi « dérouler » la micronanophotonique
sur des distances de plusieurs kilomètres ! De manière pratique, les fibres structurées
et les fibres à cristal photonique ouvrent des perspectives sans précédent pour ce qui
concerne le contrôle du mode de propagation en optique fibrée et celui de la
dispersion chromatique. En maîtrisant le confinement optique, on peut, par ailleurs,
maîtriser à volonté les processus d’optique non linéaire qui peuvent se développer au
sein de ces fibres.
Avant même que soient apparues les notions de circuit photonique ou de fibre
photonique, il faut se rappeler que les premières études de cristaux photoniques et de
matériaux structurés pour l’optique avaient été motivées, au début des années 1980,
par le désir de contrôler et même inhiber l’émission spontanée dans les composants
optoélectroniques. L’image emblématique largement véhiculée est celle de l’émetteur
unique dans une microcavité unimodale, tout photon émis l’étant dans le mode
2. J-M. Lourtioz, H. Benisty, V. Berger, J-M. Gérard, D. Maystre, A. Tchelnokov, Les
Cristaux photoniques ou la lumière en cage, Collection Technique et Scientifique des
Télécommunications, Hermès, Paris, 2003.
Avant-propos
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électromagnétique unique de la cavité. Cela étant, pour que l’image puisse devenir à
terme une réalité, il a d’abord fallu maîtriser la réalisation de nano-émetteurs à l’état
solide, puis savoir combiner nano-émetteur et microcavité. Le chapitre 4 traite, en
particulier, des boîtes quantiques semi-conductrices et de leur association à divers
types de microcavités optiques. Le chapitre introduit les notions de couplage faible
et couplage fort en microcavité, de même qu’il fait le point sur les applications aux
lasers semi-conducteurs à très faible seuil ainsi qu’aux micronanosources à « photon
unique » destinées à la cryptographie quantique.
La micronanostructuration des matériaux est également riche de perspectives
pour d’autres composants actifs que sont les composants d’optique non linéaire. En
effet, il est non seulement possible d’aboutir à une véritable ingénierie de la
dispersion de l’indice de réfraction, mais on peut aussi contrôler la dispersion de la
vitesse de groupe de même que la localisation du champ électromagnétique. Adapter
en phase et en vitesse de groupe des ondes électromagnétiques de fréquences très
différentes pour mieux exalter leurs interactions est un exemple d’application dans
le cas de non-linéarités optiques du second ordre. Les chapitres 5 et 6 développent
ainsi différents aspects de l’optique non linéaire dans des matériaux micro- et
nanostructurés tels que la génération de second harmonique, l’effet Kerr optique, la
propagation de solitons ou le mélange à quatre ondes dégénérées. Après une brève
introduction théorique à l’optique non linéaire, les différents effets sont illustrés à
partir d’expériences conduites très récemment.
Avec le septième chapitre, on aborde franchement le domaine de l’optique sublongueur d’onde avec les techniques d’analyse de champ proche optique. Le
caractère sub-λ résulte non seulement des distances mises en jeu entre une pointe et
un objet diffractant, mais aussi des ondes évanescentes dont l’extension spatiale peut
être nettement inférieure à celle de la longueur d’onde de la lumière. Encore
récemment limitée à des cas d’espèce, l’analyse de champ proche trouve aujourd’hui tout
son intérêt avec le développement des nanotechnologies et des micronanodispositifs
optiques. Après avoir défini la notion de champ proche et rappelé les variantes de
microscopie en champ proche, le chapitre 7 illustre ainsi quelques caractérisations
récentes de microcomposants semi-conducteurs en optique intégrée planaire.
Les dispositifs métalliques mettant en jeu les plasmons-polaritons de surface ou
les plasmons localisés sont aussi des objets de choix pour les études de champ
proche, car ces ondes ne sont pas détectables en champ lointain. Le chapitre 8 leur
est en grande partie consacré ainsi qu’à la technique de microscopie optique par effet
tunnel. Le couplage entre une onde optique et les charges électriques oscillantes
dans un métal est un phénomène connu depuis longtemps et généralement considéré
comme parasite, puisque dissipatif sur des longueurs de propagation excédant
typiquement la dizaine de microns. Or, là aussi, le développement des
micronanotechnologies a permis une relance sans précédent des études avec la
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Nanophotonique
création d’une nouvelle thématique que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de
plasmonique. L’expérience, désormais célèbre, d’Ebbesen3 a été l’un des éléments
déterminants du regain d’intérêt pour les ondes plasmons. Plus généralement, la
miniaturisation des structures métalliques apparaît comme une voie possible des
connexions optiques au même titre que les cristaux photoniques.
De taille plus petite que tous les dispositifs évoqués précédemment y compris les
nano-émetteurs à boîte quantique, les nanocristaux semi-conducteurs, formés de
quelques centaines à quelques milliers d’atomes, rentrent dans la catégorie des nanoobjets de grand intérêt pour l’optique aux petites dimensions. Élaborés par des
procédés différents des boîtes quantiques semi-conductrices, les nanocristaux
peuvent être incorporés dans des matrices transparentes, comme ils peuvent aussi
être greffés à des entités biologiques. Excellents candidats à l’émission de « photons
uniques », ils servent également de marqueurs biologiques et présentent des
applications potentielles à la réalisation de microlasers accordables. Le chapitre 9
nous fait ainsi découvrir les structures des niveaux électroniques et les propriétés
optiques de ces nano-objets qui, comme les nanotubes de carbone, restent toujours
aussi fascinants pour le physicien.
Traitant également d’objets de petite dimension mais dans un tout autre contexte,
le dixième et dernier chapitre de l’ouvrage termine le tour d’horizon de la
nanophotonique en abordant le thème interdisciplinaire de la nanobiophotonique. Le
mariage de l’optique et de la biologie n’est certes pas totalement nouveau, car, si la
microscopie électronique offre une résolution nanométrique pour étudier les entités
moléculaires des cellules, les techniques optiques permettent, pour leur part, une
analyse peu invasive, voire non invasive, des cellules vivantes. Le chapitre rapporte
notamment les techniques classiques de fluorescence pour la détection d’entité
moléculaire unique de même que des techniques plus récentes, tirant parti des
interactions entre impulsions optiques ultrabrèves et milieux biologiques. Le thème
émergent de la nanophotonique vise plus particulièrement à réduire le volume
d’observation en deçà de la limite imposée par la diffraction. Le chapitre montre
comment atteindre cet objectif en mettant à profit des effets d’optique non linéaire
ou en utilisant des dispositifs photoniques nanostructurés à proximité des objets
biologiques à étudier.
L’ouvrage, que nous venons de présenter succinctement, a été écrit par des
spécialistes reconnus internationalement, chacun dans leur domaine. Il constitue
aussi la suite à une première école de printemps du CNRS sur la nanophotonique,
3. T.W. Ebbesen, H.J. Lezec, H.F. Ghaemi, T. Thio, P.A. Wolf, « Extraordinary Optical
Transmission through sub-wavelength hole arrays », Nature, 391, p. 667-669, 1998.
Avant-propos
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qui s’est tenue aux Houches (France) en juin 2003 et qui a été organisée par les
quatre coordinateurs de l’ouvrage. C’est, à notre connaissance, l’une des premières
fois que sont rassemblés des aspects aussi divers et complémentaires de la
nanophotonique. Il serait, sans doute, vain d’attribuer un caractère d’exhaustivité à
l’ouvrage, mais les étudiants et les scientifiques travaillant dans les nanosciences
pourront toutefois y trouver une source riche d’informations sur un nouveau
domaine passionnant et en pleine expansion.
Jean-Michel LOURTIOZ,
Claude DELALANDE,
Ariel LEVENSON,
Hervé RIGNEAULT
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