L’atout luzerne dans la rotation
Eugène Triboï, chercheur émérite de l’INRA de Clermont Ferrand, a suivi l’essai
longue durée sur la luzerne. Il était l’invité d’honneur et nous a livré la synthèse de
sa réflexion. Contrairement à sa position actuelle, la luzerne a une place essentielle à
tenir dans les systèmes agricoles qu’il nous faut inventer.
Pas de chance pour la luzerne !
La luzerne et le sainfoin occupaient 19% des terres arables en 1960. Cette surface est tombée
à 3% aujourd’hui, remplacée par le maïs et les prairies temporaires à bases de graminées. Les
jachères industrielles et autres cultures énergétiques récemment introduites dans la PAC
excluent les légumineuses au profit du colza, du blé, du tournesol et de la betterave. La
luzerne serait donc loin derrière ces cultures en termes de production énergétique, ou de coût
de revient ? Ce n’est pas la thèse d’Eugène Triboï qui, chiffres à l’appui, a défendu cette plante
« usine d’azote et de carbone ». La luzerne est reconnue pour être la légumineuse qui fixe le
plus d’azote sous nos climats. Elle l’est moins sur sa capacité à fixer du carbone, c’est à dire de
l’énergie, et pourtant même dans ce domaine elle n’est pas ridicule. Le coût très bas de
l’énergie fossile pendant un siècle explique en grande partie le déclin de cette légumineuse
remplacée par les engrais de synthèse qui représentent 53% de l’énergie consommée par
l’agriculture. Pour aggraver sa situation, le cours des céréales explose. Décidément : pas de
chance pour la luzerne !
Un triple défi
L’agriculture qui a été réduite à la production alimentaire doit pourtant répondre à de
nouveaux défis. Si la sécurité alimentaire reste le premier, l’environnement n’est pas sans
poser problème, quant à l’énergie elle entre directement en concurrence avec la production
alimentaire. L’Union européenne s’est fixée pour 2020 « trois fois 20 » : réduire de 20% les
gaz à effet de serre, améliorer de 20% l’efficacité énergétique et produire 20% d’énergie
renouvelable. Sur le plan agricole, ce n’est pas gagné ! La luzerne pourrait-elle y contribuer ?
Elle a des atouts : l’autonomie pour produire de l’azote et du carbone et un effet positif
indiscutable sur l’environnement. L’essai comparatif d’un système avec deux ans de luzerne
sur six ans de culture et d’un autre avec 6 ans de culture conduit durant trente ans à Clermont
Ferrant montre que la luzerne a fourni 891 unités d’azote en moyenne, soit près de 150
N/ha/an, dont près de 700 N à la luzerne elle-même . L’azote d’origine organique est absorbé
à 80% au cours des années suivantes, alors que l’azote minéral ne l’est qu’à 65%. C’est 15%
de pertes supplémentaires dans l’environnement. Sur le plan énergétique les systèmes avec
luzerne se montrent supérieurs aux systèmes conventionnels. Si la symbiose des légumineuses
coûte un peu d’énergie à la plante, de l’énergie renouvelable, c’est très peu au regard des
engrais azotés dont la synthèse nécessitent beaucoup d’énergie non renouvelable. A long
terme, la luzerne améliore la fertilité des sols et préserve les ressources naturelles. L’analyse
au niveau international montre que les systèmes avec luzerne sont égaux ou supérieur sur le
plan écologique, et supérieurs aux systèmes conventionnels sur les plans de la sécurité
alimentaire et de l’énergie.
Mettre en route l’agriculture de demain
Pour l’avenir, c’est le biogaz produit au sein de systèmes mixtes cultures de vente et
fourragères qui est mis en avant par Eugène Triboï. Une simulation à l’échelle de l’UE à 25
réalisée par Amon en 1998 comparait un système de culture mixte valorisant les inter-cultures
de trèfle et de luzerne et les résidus de culture dans un méthaniseur à un système consacrant
20% de sa surface à des cultures énergétiques. Elle montre que le premier fournit trois fois
plus d’énergie que le second. Généralisé à l’échelle de l’UE, ce système mixte pourrait produire
96% de l’énergie nécessaire aux transports routiers sans remettre en cause la sécurité
alimentaire et tout en faisant progresser l’environnement.
Eugène Triboï concluait son intervention en suggérant que « les activités de valorisation de la
biomasse devrait être assimilées à « des activités agricoles non concurrentielles » afin de
favoriser leur adoption.