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Yannis BUSSY*,
Raymond PANCHAUD**
* Cadre de santé, **Directeur des soins,
Fondation de Nant
Pris dans la mouvance voire la
contrainte du nouveau, du « jamais vu »,
du « enfin trouvé », ou encore du « très
récemment publié », nous en oublions
nos concepts plus anciens. Cet enraci-
nement pourtant conditionne nos écrits.
Ne nous méprenons pas sur son objet.
Il s’agit bien souvent d’écrirepour remettre
l’ouvrage sur le métier,noble tâche au
demeurant, de traduire« cet ouvrage »
dans l’actualité et le contexte, de se
l’approprier en quelque sorte plutôt que
de réellement l’inventer. Le rétablisse-
ment illustre cela fort bien.
L’idée du traitement de la folie a été à l’ori-
gine de la naissance de la psychiatrie (1).
D’emblée, une problématique fondamen-
tale s’est posée, restée ouverte pendant près
d’un siècle : aider les patients de manière
non coercitive, c’est-à-direavec leur active
participation, car à l’évidence c’est le
patient et personne d’autre qui « fait le tra-
vail ». Nous connaissons les « outils » du
traitement moral et ses limites. Un siècle
plus tard, la psychanalyse a amené un
paradigme complètement nouveau avec
l’idée d’un traitement individuel, de la
reconnaissance de la subjectivité et des
phénomènes inconscients. À ce stade, on
passe d’une « stratégie de la parole » à une
«stratégie de la relation ». La grande nou-
veauté s’est probablement opérée dans
l’établissement et le travail d’une relation
particulière, sans forme de pouvoir sur
l’autre, relation d’ « impouvoir » selon
Gauchet (1). Il s’agit plutôt d’un lien au
service du patient, qui devient le maître
du jeu. Autrement dit, la position du thé-
rapeute consiste à aider le patient à aug-
menter son pouvoir sur lui-même, sur ses
souffrances internes, sur ses parties
« malades ».
Ainsi, les institutions ayant mis en place
une philosophie de soins avec les concepts
analytiques, soignent à travers des relations
thérapeutiques du même type, dans le
même esprit.
Mais la question de fond reste la suivante :
comment aider les patients à utiliser soi-
gnants et institution pour leurs objectifs thé-
rapeutiques et quelle stratégie soignante
permet d’offrir ce rapport en vue du réta-
blissement ?La question du rétablisse-
ment s’est posée au moment même où
l’on s’est davantage intéressé aux intérêts
individuels du patient plutôt qu’à l’amen-
dement de ses symptômes (2), c’est-à-
dirson bien-êtreet à son libre arbitre,
et plus précisément à sa subjectivité, son
individualité, loin de la soi-disant objecti-
vité scientifique. On quitte ainsi la ques-
tion de la norme au profit d’un équilibre
dynamique plus satisfaisant (3). C’est dans
ce contexte d’une approche psychodyna-
mique que la Fondation de Nant travaille
depuis longtemps au rétablissement des
patients dont elle a la charge.
LE CONTEXTE HISTORIQUE
La fondation de Nant, établissement
psychiatrique privé, assure les presta-
tions de psychiatrie publique de la région
de l’Est vaudois (160 000 habitants).
Nant a toujours fonctionné dans un esprit
communautaire. En 1961 déjà, lors-
qu’elle s’organise en fondation, ses sta-
tuts prévoient le rétablissement des
patients comme un des principaux objec-
tifs. Dix ans plus tard, le projet institu-
tionnel se formalise dans une approche
plus psychodynamique que médicale (4),
dont l’objectif clinique n’est pas la réduc-
tion symptomatique ou l’adaptation
sociale, mais plutôt le confort de vie et
l’équilibre psychique selon la volonté
du patient.
Dès les années 1970, une unité se spé-
cialise dans le rétablissement des patients
nécessitant des prises en soins résiden-
tiels à moyen ou long terme. L’admis-
sion y est généralement l’aboutissement
d’une trajectoiredans les unités de soins
de l’établissement. Dans les années 1980,
cette unité se déplace en ville pour favo-
riser la partsociale du rétablissement. Cette
unité de réhabilitation thérapeutique
(URT) est aussi la seule en son genreen
Suisse romande.
LE PATIENT ACTEUR
Toute personne adulte souffrant d’une
atteinte psychiatrique avérée et désireuse
de régler au moins un problème tel que
(re)vivre en appartement de manière auto-
nome, reconstruireson intégration sociale
et reprendre une activité professionnelle
Àl’aide de différents outils, et en particulier en s’appuyant sur le groupe et les activités de
la vie quotidienne, une unité de soins permet au patient de construire progressivement
son rétablissement.
Orchestrer
son existence
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© Aimily Muzy.
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blissement. L’évaluation clinique per-
met de faire le bilan de l’évolution par
l’autoévaluation du patient et celle des
soignants.
À l’URT, patients et équipe infirmière
cohabitent du matin au soir. C’est une espace
thérapeutique avec plusieurs fonctions,
organisé en différents temps et espaces
où sont déployées à la fois une approche
relationnelle groupale sous une forme
communautaire et une approche individuelle.
Les soignants qui « habitent » ce lieu
sont garants de l’organisation du temps
et de l’espace ; ils coaniment la « scène
groupale » et assurent le pilotage du pro-
jet de soins dans un suivi individualisé.
Les soins proposés sont des mises en
situation qui se concrétisent par les acti-
vités de la vie quotidienne, la vie du
groupe, les relations individuelles et l’in-
vestissement du champ social. Il s’agit
d’un travail d’implication et de respon-
sabilisation des patients pour retrouver un
équilibre souvent gravement perturbé,
notamment après une décompensation
aiguë. Plutôt que de protéger le patient,
le dispositif favorise la confrontation
modulée aux éléments de sa réalité affec-
tive, sociale et économique. La « qualité »
de l’implication et de la responsabilisa-
tion permet de situer le patient dans son
processus de rétablissement.
TEMPS ET ESPACES
L’URT est une maison ouverte : les allées
et venues des résidents ne sont pas sur-
veillées, même si le cadre thérapeutique
définit un temps « où la présence des
patients est requise ». L’unité est située
en centre-ville pour favoriser le passage
du résidentiel à l’appartement privé et la
reprise d’une activité professionnelle ou
d’une formation.
L’organisation du temps et de l’espace est
conçue de manière à ce que le patient
expérimente sa propre capacité à conte-
nir ses émotions, ses angoisses et ses
peurs dans les interactions groupales
(sociales), comme lorsqu’il se retrouve seul
dans sa chambre le soir et la nuit : l’ac-
compagnement soignant se réduit au fur
et à mesure que la journée avance. Les
lieux se différencient également entre
les espaces partagés par les patients et
les soignants (les zones communautaires),
les espaces protégés (pour les patients et
pour les soignants) et l’espace social. La
manière dont le patient va utiliser ces dif-
férents espaces et les ressources à dis-
position donne des indications sur son évo-
lution clinique.
LA VIE COMMUNAUTAIRE
L’approche groupale favorise l’implication
des patients. Elle a plusieurs fonctions
fondamentales (6) : éviter la solitude; favo-
riser les relations et l’expression des
difficultés ; jouer un rôle de conseil et de
suggestion ; révéler par un effet de miroir
des aspects internes ; donner de l’es-
poir, du soutien (solidarité). Le groupe
possède un effet d’universalisation qui
diminue la honte et la culpabilité : une
chose partagée conduit à la constata-
tion que d’autres la vivent. Fréquem-
ment, les patients s’entraident, tissent
des amitiés et s’organisent en microré-
seaux sociaux.
Le temps groupal se compose de moments
structurés ou non. Les outils groupaux favo-
risent la reconstruction psychique indi-
viduelle et sociale : la dynamique de
groupe, le positionnement dans le groupe,
la gestion des conflits, l’expression orale,
les groupes de parole, les préparations de
repas, les activités diverses (sorties, acti-
vités nautiques, voile), le partage d’ex-
périences par la parole et l’action. Nous
veillons à ne pas nous laisser emporter
par l’activisme et le fait de « s’ennuyer
ensemble raisonnablement » reste pos-
sible … afin de favoriser l’étayage du
moi et de renforcer le lien social. La
majeure partie de l’activité thérapeutique
se fait en groupe avec l’ensemble des
soignants. Par contre, le soin individuel
est davantage porté par le soignant réfé-
rent au travers d’entretiens personnels
ou avec des thérapeutes internes et
externes. L’attitude du soignant consiste
à offrir un soutien et un holding spéci-
fique pour permettre des épreuves de
réalité nuancées et adaptées, dans le
sens d’une validation des expériences
positives de socialisation et ainsi d’un ren-
forcement des assises narcissiques.
ou une formation, est susceptible de
demander à suivre un traitement à l’URT.
La démarche est toujours volontaire et après
une phase de préparation, elle trouve
son point d’orgue lors de l’entretien d’ad-
mission destiné à définir le projet théra-
peutique (les objectifs du traitement),
et le programme de soins. Cette étape est
cruciale, puisque la demande d’admission
volontaire place le patient en position
de se réapproprier son pouvoir d’agir. Ce
recentrage sur lui-même mobilise sa part
active et fait des soignants des parte-
naires de son projet de soins. Cette capa-
cité à se mobiliser est un premier indi-
cateur d’engagement dans un processus
de rétablissement.
Le traitement se déroule classiquement
en trois phases :
– la première se présente sous forme rési-
dentielle, d’une durée variant de un mois
à un an.
– la deuxième est un passage progressif
vers une vie en appartement et/ou une reprise
du travail et/ou formation et se poursuit
en hôpital de jour, de façon dégressive :
le patient a un pied dans la réalité et un
autre dans l’unité. Pendant le traitement
de jour, celui-ci peut venir dans l’unité de
soins pour consolider ses acquis et trou-
ver du soutien. Il est alors capable d’uti-
liser la structure hospitalière en fonction
de ses besoins ce qui donne une indica-
tion de son rétablissement.
– la troisième phase peut revêtir la forme d’une
« continuité des soins », c’est-à-dire un suivi
ambulatoire au long cours par l’infirmier
référent.
Si l’URT est thérapeutique, c’est qu’elle
vise deux finalités capitales et indisso-
ciables : la transformation psychique (5)
et la reconstruction de l’interaction
sociale. Ces deux objectifs se trouvent
au cœur du dispositif thérapeutique, ils
le modèlent de manière à proposer les
outils nécessaires pour entamer le réta-
Marco et sa passion du foot
Impulsif, voire d’explosif, Marco souffre d’une fragilité psychique avérée. Lors de son
admission à l’URT, il est précédé d’une réputation de casseur et de voyou colérique et
procédurier. Il fait peur. Malgré plusieurs conflits ouverts, il trouve pourtant une place dans le
groupe. De cuisinier de la maison, il devient coach et entraîneur d’une équipe de football qu’il
a montée de sa propre initiative, en suivant son envie et sa passion pour ce sport. Sous son
impulsion, la commune a cédé un terrain pour les entraînements et un match contre une
autre équipe composée de patients de l’hôpital a été organisé. L’URT a perdu le match aller,
mais a magnifiquement remporté celui du retour. Marco, et ceux qu’il a entraînés dans son
sillage, ont hâte d’en découdre lors de la « belle ». À cette occasion, le positionnement en
retrait de l’équipe soignante a favorisé l’implication de ce patient et celle de nombreux autres.
Les infirmiers ne se sont pas approprié l’événement; ils se sont mis au service du projet et
l’ont co-piloté avec Marco.
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de rétablissement. Selon Linder (2011)
(9), cet apprentissage s’effectue également
au travers du contournement de certaines
règles de l’unité de soin. Faire preuve
d’imagination et de capacité à accomplir
des choix par rapport à ses besoins plu-
tôt qu’à ceux de l’institution (par exemple,
ne pas venir en traitement une journée pour
pouvoir rencontrer une personne avec qui
l’on tente de renouer contact) sont autant
de preuves que le patient, en transgres-
sant certaines règles, peut se détacher de
l’institution, donc devenir autonome.
Linder (2011) (10) précise : «Ainsi, comme
n’importe quel citoyen, les patients appren-
nent que certaines règles peuvent être
contournées en fonction de leurs besoins
personnels, alors que d’autres règles ne peu-
vent en aucun cas être contournées. »
L’apprentissage du patient citoyen par la
responsabilisation et la valorisation du
contournement de certaines règles est en
complète adéquation avec ce que nous dit
Corin (2002) (11) «le rétablissement
implique la possibilité de prendre ou de
reprendre pied dans l’existence, de se sen-
tir reconnu comme personne, de retrouver
une position d’acteur et de sujet ».
– La structuration comprend tous les aspects
d’un milieu capable de fournir une orga-
nisation prévisible du temps, de l’espace
et des interactions ce qui rend l’environ-
nement moins flou et plus rassurant. Ces
repères spatio-temporels sur qui fait quoi
et quand aident le patient à retrouver ses
propres repères et à régler sa distance
relationnelle. Cette fonction se traduit
habituellement par un programme journa-
lier de soins et d’activités. L’évolution du
patient dans ces différentes fonctions
donne des indications sur son processus
de rétablissement.
CONCLUSION
Le travail de rétablissement s’opère sur
l’étayage du dispositif, qui doit trouver les
moyens de stimuler la part active du
patient. Cette partie « raisonnable » est
celle qui permet au patient de s’engager
volontairement dans un traitement, de
s’investir dans la co-construction de son
projet thérapeutique et de son projet de
vie. L’émergence de cette part active le
propulse comme acteur de son traite-
ment plutôt que comme objet de nos
soins; l’objectif ultime étant qu’il devienne
le chef d’orchestre de sa propre exis-
tence.
1– Gauchet M, Swain G, La pratique de l’esprit humain,
Gallimard, Paris 1980 ; Swain G, Dialogue avec l’insensé,
Gallimard, Paris, 1994.
2– Huguelet P., Le rétablissement, un concept organisateur
des soins aux patients souffrant de troubles mentaux
sévères, Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie,
158, n° 6, 2007, p. 271-278
3– Provencher H, Corey L.M. Keyes. Une conception élar-
gie du rétablissement, L’information psychiatrique, 86,
n° 7, sept 2010, p. 579-589
4– Miéville C, L’activité du secteur psychiatrique de l’Est
vaudois, Bulletin de la Source, n° 11, nov. 1974, p. 3-8.
5– Transformation psychique : dans le sens d’une expérience
de maturation, plutôt que d’éduquer pour faire évoluer les
comportements par l’acquisition de compétences/habiletés
sociales
6– I. Yalom, Theory and Practice of Group Psychotherapy,
Fourth edition, 1975
7– Panchaud R. Miazza M. L’environnement thérapeutique
infirmier, travail de milieu en psychiatrie, EMC, savoirs et
soins infirmiers, 60-705-N-10, 2011, p. 1-11
8– Gunderson J, Definnig the therapeutic process in psy-
chiatric milieu, Psychiatry, 41, nov. 1978, p. 327-335
9– Linder A, Des processus de réinsertion et de réhabili-
tation à l’émergence d’un patient citoyen, Mémoire de Maî-
trise en Sciences Sociales, Option Politiques Sociales et Déve-
loppement, Université de Lausanne, Faculté des SSP,
session automne 2011, p.75.
10– Ibidem p. 90.
11– Corin E., Se rétablir après une crise psychotique :
ouvrir une voie ? Retrouver sa voix ?, Santé mentale au Qué-
bec, Vol. 27, No 1, 2002, p.. 65-82.
ENVIRONNEMENT INFIRMIER ET SOIN
Comment le lieu de vie peut-il favoriser
la part active du patient (7) ? Comment
les activités quotidiennes peuvent-elles sou-
tenir et stimuler cette part active ? à par-
tir de quels concepts ? L’organisation du
milieu résidentiel comme agent théra-
peutique actif se réfère aux fonctions du
milieu (8) et s’appuie sur le positionne-
ment interne des soignants dans les rela-
tions formelles et informelles avec les
patients dans les espaces communau-
taires de l’URT ou en société. Ce travail
de milieu, ou plus précisément l’environ-
nement thérapeutique infirmier, est fait
de toutes les prestations infirmières, struc-
turées ou non structurées. Il est consti-
tué d’activités, de relations, de présence
ou encore d’attitudes favorisant l’atteinte
des objectifs. Ainsi, dans le contexte du
rétablissement, le milieu s’organise pour
fournir les fonctions d’implication, de
mobilisation et de structuration.
– L’implication et la mobilisation se réfèrent
aux processus qui fon qu’un patient prend
part activement à son environnement
social. Cette fonction s’étaye largement sur
la vie communautaire, les groupes et
toutes forme de responsabilisation. Les soi-
gnants vont donc soutenir le patient dans
la lutte contre la passivité, la régression
et la dépendance et l’aider à contrôler
ses actes qui sont sa responsabilité (réap-
propriation du pouvoir d’agir). La partici-
pation volontaire aux activités et les expé-
riences de self contrôle en sont les moyens.
Gagner en autonomie et en responsabi-
lité sur sa propre vie passe par la redé-
couverte et la réappropriation de sa propre
existence et sa valeur de citoyen.
Au sein de l’URT, le patient se (re)construit
en tant que citoyen d’autant plus forte-
ment qu’il doit sans cesse composer avec
la réalité. Ce processus s’opère au travers
de l’autonomie développée dans les tâches
quotidiennes, de la responsabilité de la
médication et de l’élaboration du projet
Résumé :
Si l’on s’intéresse davantage aux intérêts du patient plutôt qu’à la réduction de ses symptômes, on le soutient à travers une relation
thérapeutique dans la recherche de son autonomie et de son équilibre, à partir de ses propres valeurs et ressources. Lapproche est alors psychodynamique. L’Unité
de réhabilitation thérapeutique (URT) de la fondation de Nant qui travaille dans cette optique présente son organisation et ses outils, au service des patients.
Mots-clés :Autonomie – Dynamique de groupe – Malade mental – Motivation– Pratique professionnelle – Projet de vie – Pro-
jet thérapeutique – Psychodynamie – Relation soignant soigné – Subjectivité – Rétablissement.
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