DOSSIER RÉTABLISSEMENT ET SCHIZOPHRÉNIE
32 SANTÉ MENTALE |166 |MARS 2012
blissement. L’évaluation clinique per-
met de faire le bilan de l’évolution par
l’autoévaluation du patient et celle des
soignants.
À l’URT, patients et équipe infirmière
cohabitent du matin au soir. C’est une espace
thérapeutique avec plusieurs fonctions,
organisé en différents temps et espaces
où sont déployées à la fois une approche
relationnelle groupale sous une forme
communautaire et une approche individuelle.
Les soignants qui « habitent » ce lieu
sont garants de l’organisation du temps
et de l’espace ; ils coaniment la « scène
groupale » et assurent le pilotage du pro-
jet de soins dans un suivi individualisé.
Les soins proposés sont des mises en
situation qui se concrétisent par les acti-
vités de la vie quotidienne, la vie du
groupe, les relations individuelles et l’in-
vestissement du champ social. Il s’agit
d’un travail d’implication et de respon-
sabilisation des patients pour retrouver un
équilibre souvent gravement perturbé,
notamment après une décompensation
aiguë. Plutôt que de protéger le patient,
le dispositif favorise la confrontation
modulée aux éléments de sa réalité affec-
tive, sociale et économique. La « qualité »
de l’implication et de la responsabilisa-
tion permet de situer le patient dans son
processus de rétablissement.
TEMPS ET ESPACES
L’URT est une maison ouverte : les allées
et venues des résidents ne sont pas sur-
veillées, même si le cadre thérapeutique
définit un temps « où la présence des
patients est requise ». L’unité est située
en centre-ville pour favoriser le passage
du résidentiel à l’appartement privé et la
reprise d’une activité professionnelle ou
d’une formation.
L’organisation du temps et de l’espace est
conçue de manière à ce que le patient
expérimente sa propre capacité à conte-
nir ses émotions, ses angoisses et ses
peurs dans les interactions groupales
(sociales), comme lorsqu’il se retrouve seul
dans sa chambre le soir et la nuit : l’ac-
compagnement soignant se réduit au fur
et à mesure que la journée avance. Les
lieux se différencient également entre
les espaces partagés par les patients et
les soignants (les zones communautaires),
les espaces protégés (pour les patients et
pour les soignants) et l’espace social. La
manière dont le patient va utiliser ces dif-
férents espaces et les ressources à dis-
position donne des indications sur son évo-
lution clinique.
LA VIE COMMUNAUTAIRE
L’approche groupale favorise l’implication
des patients. Elle a plusieurs fonctions
fondamentales (6) : éviter la solitude; favo-
riser les relations et l’expression des
difficultés ; jouer un rôle de conseil et de
suggestion ; révéler par un effet de miroir
des aspects internes ; donner de l’es-
poir, du soutien (solidarité). Le groupe
possède un effet d’universalisation qui
diminue la honte et la culpabilité : une
chose partagée conduit à la constata-
tion que d’autres la vivent. Fréquem-
ment, les patients s’entraident, tissent
des amitiés et s’organisent en microré-
seaux sociaux.
Le temps groupal se compose de moments
structurés ou non. Les outils groupaux favo-
risent la reconstruction psychique indi-
viduelle et sociale : la dynamique de
groupe, le positionnement dans le groupe,
la gestion des conflits, l’expression orale,
les groupes de parole, les préparations de
repas, les activités diverses (sorties, acti-
vités nautiques, voile), le partage d’ex-
périences par la parole et l’action. Nous
veillons à ne pas nous laisser emporter
par l’activisme et le fait de « s’ennuyer
ensemble raisonnablement » reste pos-
sible … afin de favoriser l’étayage du
moi et de renforcer le lien social. La
majeure partie de l’activité thérapeutique
se fait en groupe avec l’ensemble des
soignants. Par contre, le soin individuel
est davantage porté par le soignant réfé-
rent au travers d’entretiens personnels
ou avec des thérapeutes internes et
externes. L’attitude du soignant consiste
à offrir un soutien et un holding spéci-
fique pour permettre des épreuves de
réalité nuancées et adaptées, dans le
sens d’une validation des expériences
positives de socialisation et ainsi d’un ren-
forcement des assises narcissiques.
ou une formation, est susceptible de
demander à suivre un traitement à l’URT.
La démarche est toujours volontaire et après
une phase de préparation, elle trouve
son point d’orgue lors de l’entretien d’ad-
mission destiné à définir le projet théra-
peutique (les objectifs du traitement),
et le programme de soins. Cette étape est
cruciale, puisque la demande d’admission
volontaire place le patient en position
de se réapproprier son pouvoir d’agir. Ce
recentrage sur lui-même mobilise sa part
active et fait des soignants des parte-
naires de son projet de soins. Cette capa-
cité à se mobiliser est un premier indi-
cateur d’engagement dans un processus
de rétablissement.
Le traitement se déroule classiquement
en trois phases :
– la première se présente sous forme rési-
dentielle, d’une durée variant de un mois
à un an.
– la deuxième est un passage progressif
vers une vie en appartement et/ou une reprise
du travail et/ou formation et se poursuit
en hôpital de jour, de façon dégressive :
le patient a un pied dans la réalité et un
autre dans l’unité. Pendant le traitement
de jour, celui-ci peut venir dans l’unité de
soins pour consolider ses acquis et trou-
ver du soutien. Il est alors capable d’uti-
liser la structure hospitalière en fonction
de ses besoins ce qui donne une indica-
tion de son rétablissement.
– la troisième phase peut revêtir la forme d’une
« continuité des soins », c’est-à-dire un suivi
ambulatoire au long cours par l’infirmier
référent.
Si l’URT est thérapeutique, c’est qu’elle
vise deux finalités capitales et indisso-
ciables : la transformation psychique (5)
et la reconstruction de l’interaction
sociale. Ces deux objectifs se trouvent
au cœur du dispositif thérapeutique, ils
le modèlent de manière à proposer les
outils nécessaires pour entamer le réta-
Marco et sa passion du foot
Impulsif, voire d’explosif, Marco souffre d’une fragilité psychique avérée. Lors de son
admission à l’URT, il est précédé d’une réputation de casseur et de voyou colérique et
procédurier. Il fait peur. Malgré plusieurs conflits ouverts, il trouve pourtant une place dans le
groupe. De cuisinier de la maison, il devient coach et entraîneur d’une équipe de football qu’il
a montée de sa propre initiative, en suivant son envie et sa passion pour ce sport. Sous son
impulsion, la commune a cédé un terrain pour les entraînements et un match contre une
autre équipe composée de patients de l’hôpital a été organisé. L’URT a perdu le match aller,
mais a magnifiquement remporté celui du retour. Marco, et ceux qu’il a entraînés dans son
sillage, ont hâte d’en découdre lors de la « belle ». À cette occasion, le positionnement en
retrait de l’équipe soignante a favorisé l’implication de ce patient et celle de nombreux autres.
Les infirmiers ne se sont pas approprié l’événement; ils se sont mis au service du projet et
l’ont co-piloté avec Marco.
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