MEMOIRE DE FIN DE FORMATION A LA METHODE MEZIERES Place de la Méthode Mézières dans le traitement de la BronchoPneumopathie Chronique Obstructive Sybille Dubois AMIK Promotion 2010 - 2012 La bronchopneumopathie chronique obstructive, ou BPCO, est une maladie respiratoire grave qui touche 3,5 millions de Français, soit 6 à 8% de la population adulte, et qui en 2020 deviendra la troisième cause de décès par maladie. Le coût lié aux hospitalisations ainsi qu’aux traitements est élevé pour la société : il représente 3,5 milliards d’euros par an, soit environ 4000 euros annuels par malade. C’est pourquoi elle a fait l’objet d’un plan national d’actions entre 2005 et 2010. [1] Les répercussions de la maladie ne se limitent pas à l’appareil respiratoire. Des troubles de la statique sont rapidement associés du fait même de la physiopathologie, ce qui participe également à la dégradation de la fonction respiratoire. Or cet aspect postural est souvent mis de côté dans la prise en charge actuelle du patient. Après avoir rappelé la physiopathologie de la maladie, nous verrons quels résultats la Méthode Mézières apporterait à la prise en charge du patient atteint de BPCO. Définition et physiopathologie de la BPCO Définition Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la BPCO est définie par une limitation des débits, à prédominance expiratoire, non totalement réversible. Le tableau ci-contre [Figure 1] décrit les différents stades de la maladie, en fonction des débits. Cette limitation est généralement progressive et associée à une réaction inflammatoire du tissu pulmonaire et des voies aériennes à des particules ou gaz nocifs. Le tabac est responsable de 80% des cas. [2] Il s’agit donc d’un trouble ventilatoire obstructif incomplètement réversible. Sous cette définition clinique, nous trouvons les bronchites chroniques, les asthmes évolués ainsi que les emphysèmes. La bronchite chronique correspond à une hypersécrétion bronchique, chronique et récurrente, responsable d’expectorations durant au minimum 3 mois par an et au moins 2 années consécutives. Tant que les débits expiratoires ne sont pas diminués, il ne s’agit pas encore de BPCO. 10 à 15% des bronchites chroniques évolueront en BPCO, d’où une surveillance régulière des débits expiratoires pour un dépistage précoce. [2] L’emphysème correspond à une destruction permanente et une dilatation de territoires pulmonaires situés en aval des bronchioles terminales. Cette destruction est responsable d’une instabilité des diamètres des voies aériennes et d’une diminution de l’élasticité pulmonaire causant une hyperinflation dynamique des poumons. Physiopathologie Au niveau tissulaire et bronchique [2] Les agressions itératives de l’inhalation de fumée de tabac, ou de molécules toxiques entraînent une destruction puis une reconstruction de l’épithélium respiratoire. Ces remaniements se font au détriment des cellules ciliées et au profit des cellules caliciformes, avec une hypertrophie des glandes muqueuses. Le patient produit de plus en plus de mucus tandis que le tapis ciliaire devient inefficient, c’est l’encombrement. 1 Parallèlement on assiste à une hyperplasie de la musculature lisse et un infiltrat inflammatoire qui aboutissent à une hyperréactivité bronchique. Au niveau des débits et des volumes [figure 2] L’encombrement entraîne une compression dynamique des voies aériennes, correspondant à une réduction voire un collapsus des bronches. La limitation de débit qui en résulte allonge le temps de vidange expiratoire, à tel point que l’inspiration suivante débute avant que le volume ne revienne à son niveau de base (au niveau de la Capacité Résiduelle Fonctionnelle (CRF)). Celle-ci augmente donc. Ce phénomène s’appelle l’hyperinflation dynamique, et est nécessaire pour éviter les collapsus. La destruction du parenchyme pulmonaire entraîne une diminution de la force de rétraction du poumon. Il s’ensuit donc également une augmentation de la CRF (l’expiration passive est moins profonde). [3] La CRF se déplace donc dans le volume inspiratoire, ce qui entraine une position plus inspiratoire de l’ensemble thorax-poumons. Au niveau musculaire et fonctionnel La dyspnée apparaît insidieusement, ce qui entraîne un phénomène inconscient d’évitement des activités essoufflantes, engendrant une fonte musculaire et une désadaptation à l’effort. L’atteinte musculaire est à la fois quantitative (diminution du volume et du nombre de fibres musculaires) et qualitative, car les fibres IIb (contraction anaérobie) deviennent majoritaires. Des études ont démontré une corrélation négative entre la force du quadriceps et la consommation de soins [3], d’où l’intérêt du renforcement musculaire aérobie. Au niveau psychologique Comme dans beaucoup de pathologie respiratoire, le patient atteint de BPCO a la sensation de manquer d’air, ce qui engendre une forte angoisse. Aussi, la diminution progressive des activités, ainsi que la lente dégradation physique que cela entraîne, ont des répercussions sur la vie sociale et familiale du patient, engendrant fréquemment une dépression et une perte d’estime de soi. Traitements de la BPCO Les objectifs thérapeutiques sont de : - Prévenir la progression de la maladie en luttant contre le tabagisme, en aidant au sevrage Améliorer la qualité de vie en soulageant les symptômes et en améliorant la tolérance à l’effort Prévenir et traiter les complications et les exacerbations pour réduire la mortalité. Moyens pharmacologiques [1] Les bronchodilatateurs sont le principal traitement symptomatique de la BPCO. En retardant le phénomène de compression dynamique des bronches, ils évitent le collapsus et améliorent les débits expiratoires. Les corticoïdes inhalés sont plutôt utilisé en cas d’exacerbations répétées ou de sévérité de la maladie. Quant aux antibiotiques, ils ne sont administrés que lors d’épisodes d’exacerbation et de surinfection bronchique. 2 La réhabilitation respiratoire [3] Le plan d’action national pour la BPCO a défini comme principal traitement non médicamenteux la réhabilitation respiratoire. Il s’agit d’un programme transdisciplinaire qui inclut le réentraînement à l’effort, une prise en charge nutritionnelle, une prise en charge psychologique et sociale ainsi que l’éducation thérapeutique. Son efficacité est reconnue dans la BPCO car elle diminue la sensation de dyspnée, améliore la tolérance à l’effort et la qualité de vie, tout en induisant une réduction des coûts. Le réentrainement à l’effort permet d’augmenter le nombre de capillaires et de fibres oxydatives, avec une diminution de la fatigue musculaire. Il permet également de diminuer la ventilation pour un même effort, donc l’hyperinflation dynamique et la dyspnée. Le kinésithérapeute intervient donc sur le désencombrement bronchique, la rééducation respiratoire, le renforcement musculaire, l’éducation thérapeutique et le réentrainement à l’effort. Nous allons maintenant voir que la prise en charge selon la Méthode Mézières nous permet également d’agir sur chacun de ces axes, grâce à son principe de normaliser la forme pour libérer la fonction. Traitement du BPCO selon la Méthode Mézières Le bilan Comme dans tout traitement Mézières, l’examen se fera d’abord debout, puis en penché avant, puis en décubitus dorsal, à la recherche des dysmorphismes engendrés par les chaînes en excès. Cidessous sont décrits les dysmorphismes liés à la pathologie respiratoire, ce qui n’exclut pas qu’il y ait d’autres marqueurs de chaînes liés aux antécédents et habitudes de vie du patient. Nous avons vu que la maladie oblige le patient à aller dans ses volumes inspiratoires, on retrouve donc un thorax en tonneau, c’est-à-dire avec un aspect rigide et des diamètres antéro-postérieurs et latéraux augmentés, et un thorax en carène, avec un sternum horizontalisé. Cette distension thoracique engendre souvent une expiration active avec une contraction et un bombement de l’abdomen. L’inspiration peut également être modifiée : La distension entraine aussi un aplatissement des coupoles diaphragmatiques. Le diaphragme inverse donc sa physiologie en diminuant le diamètre transversal des côtes basses, au lieu de l’augmenter. C’est le signe de Hoover. Dès lors, les inspirateurs accessoires [figure 3] sont obligés d’intervenir. D’où une antéprojection de la tête entraînant une contraction réflexe des trapèzes supérieurs et des angulaires. Le patient ressent d’ailleurs souvent des douleurs cervicales. La maladie, en modifiant au fur et à mesure la respiration du patient, est donc responsable de plusieurs dysmorphismes : un enroulement des épaules, une antéprojection de la tête avec une hyperlordose cervicale haute, une horizontalisation du sternum, des ceintures scapulaires hautes, une cyphose dorsale, etc… La position en décubitus dorsal, pour l’observation couchée, peut être difficile pour le patient car le diaphragme perd l’appui sur la masse viscérale, nécessaire pour l’écartement des côtes basses, et 3 donc l’inspiration. Un coussin trapèze pourra aider à obtenir une position intermédiaire en demiassis. Il faudra également évaluer l’encombrement bronchique, les douleurs, la dyspnée, ainsi que la saturation en oxygène, qui doit être supérieure à 90%. [Figure 4] Au total, avec notre bilan Mézières et l’étude de la physiopathologie, nous mettons en évidence que la BPCO a une répercussion sur toutes les chaînes musculaires : - - Sur la chaîne postérieure, les muscles paravertébraux étant synergiques de l’inspiration [4] et l’hyperlodose cervicale haute récupérant l’horizontalité du regard, perturbée par l’antéprojection de la tête, Sur la chaîne brachiale antérieure, du fait de l’appui nécessaire des membres supérieurs pour l’utilisation des inspirateurs accessoires, [3] Et sur la chaîne cervico-thoraco-abdomino-pelvienne avec le blocage inspiratoire du diaphragme ainsi que l’utilisation excessive des inspirateurs accessoires [5]. Application des techniques Mézières La respiration au centre de notre prise en charge Nous savons à quel point toutes nos chaînes musculaires convergent vers le thorax et peuvent en bloquer les mouvements. D’ailleurs, l’une des premières notions que nous apprenons lors de la formation à la Méthode, est de libérer la respiration [6]. En effet, la récupération de l’élasticité des muscles, en particulier de la chaîne postérieure, est conjointe au relâchement du diaphragme par l’allongement de l’expiration au-delà du volume courant. [4] C’est également par la libération de la respiration que nous commencerons le traitement Mézières du patient atteint de BPCO. Et du fait de la limitation pathologique des débits expiratoires, décrite dans la première partie, cette expiration longue et passive sera notre priorité, tout en respectant l’atteinte pulmonaire. Ainsi, nos mains aideront à l’abaissement des côtes, dans le plan sagittal pour les plus supérieures et dans un plan plus frontal pour les côtes basses. Le patient devra se laisser faire le plus possible au début, pour que notre pression sur la cage thoracique reste minime. Car, à cause de la pathologie, une pression thoracique un peu trop importante peut engendrer un collapsus bronchique. Un collapsus peut même apparaître sans pression thoracique, juste sur une expiration bouche ouverte [3]. Dans ce cas, nous demanderons au patient d’expirer lèvres pincées, afin de maintenir l’ouverture bronchique, en essayant toujours d’éviter une expiration active. De plus, un appui dosé au niveau de l’abdomen lors de l’expiration facilitera la remontée du diaphragme et donc sa détente [7], tout en augmentant les débits et les volumes expirés. Cette augmentation du flux expiratoire est la base de la kinésithérapie de désencombrement bronchique [3], il sera donc fréquent que notre patient expectore pendant nos séances. L’apprentissage de cette expiration passive la plus longue possible est déjà le début de l’assouplissement des différentes chaînes musculaires. En effet, pendant que notre patient respire, nous corrigeons les compensations qui apparaissent. Par exemple l’augmentation de la lordose cervicale, de l’antéprojection de la tête, et l’aggravation de l’enroulement des épaules lors de 4 l’expiration et l’augmentation de la lordose lombaire et de l’appui sur les membres supérieurs lors de l’inspiration. Les postures globales d’étirement Les premières séances seront effectuées en posture couchée. En partant de l’alignement dans l’axe vertébral, nous modifierons progressivement la position des membres de manière symétrique ou non, afin de mettre en tension l’ensemble du corps, toujours en veillant à aider l’expiration [7]. Par exemple, en mettant les membres supérieurs en abduction, humérus en légère rotation externe, le thorax augmente sa position inspiratoire. En recherchant une expiration longue à partir de cette position, nous solliciterons les courses externes des chaînes antérieures du cou et du thorax. De même, en effectuant l’élévation d’un ou deux membres inférieurs, la lordose cervicale augmente. En corrigeant cette compensation, le thorax se place en à nouveau en inspiration. L’expiration nous permettra de corriger cette dernière tricherie. Ce travail sera ensuite réalisé en position debout, puis en fente avant. Les postures au carré, assise et debout, étant les plus difficiles, elles ne seront travaillées qu’après toutes les autres postures. La fréquence respiratoire sera notre indicateur de référence pour évaluer la difficulté de l’exercice. En effet, si elle augmente trop, au-delà de 20 cycles par minute, l’hyperinflation et donc la distension thoracique risquent d’augmenter. Ce qui va à l’opposé de nos objectifs. [3] Autres moyens utilisés Au cours de nos postures, le patient peut avoir des difficultés à relâcher ou à mobiliser une zone. C’est pourquoi nous utiliserons certaines techniques locales comme les traits-tirés, la décoaptation articulaire, ou les mobilisations spécifiques. Par exemple, le thorax étant bloqués en inspiration souvent depuis plusieurs années, l’abaissement des côtes ne pourra se faire qu’après un travail au niveau des espaces intercostaux postérieurs, ou des cartilages sterno-costaux. Aussi, des traits-tirés au niveau des rampes chondrales faciliteront la détente de l’abdomen, et donc l’abaissement des côtes. Discussion autour de l’impact de la méthode sur l’évolution de la maladie Nous venons de voir que la Méthode Mézières agit sur la distension thoracique grâce à sa vision globale du corps, à la chasse aux compensations, et à la recherche de la liberté de la respiration. En effet, l’assouplissement des différentes chaînes permettent une position plus expiratoire du thorax [8], avec un meilleur positionnement et une meilleure efficacité du diaphragme, donc un travail ventilatoire moins coûteux en énergie. La recherche de l’expiration longue et passive participe également au désencombrement bronchique, ainsi qu’à l’augmentation des débits expiratoires. D’autre part, nos séances Mézières nécessitent une participation musculaire, notamment des quadriceps. D’ailleurs, Françoise Mézières disait qu’ « il n’y a pas de bon port de tête sans bon quadriceps » [9]. Le maintien de ces postures étant fait en associant la respiration, nous pouvons penser que cela stimule l’augmentation du nombre de fibres musculaires oxydatives, effectue un renforcement musculaire aérobie et donc améliore la tolérance à l’effort. 5 Tous ces résultats seraient objectivables en évaluant la dyspnée avec l’échelle visuelle analogique (EVA), en mesurant les débits expiratoires avec un peak-flow, ainsi qu’en mesurant la distension thoracique avec un mètre-ruban. Mais nos postures étant statiques, cela ne suffit peut-être pas pour améliorer l’endurance. Une étude de patients traités selon la Méthode Mézières ou selon le réentraînement à l’effort pourrait être basée sur des tests de marche de 6 minutes. Malheureusement, ces tests d’efforts ne peuvent être réalisés que dans une structure hospitalière pour des raisons de sécurité. Conclusion Pour un patient sans pathologie respiratoire, le blocage du diaphragme est lié aux excès des chaînes musculaires. La libération de la respiration vient de l’assouplissement des chaînes, sur un temps expiratoire pour faciliter la détente diaphragmatique. Pour un patient atteint de BPCO, c’est la pathologie pulmonaire qui est à l’origine de ce blocage en position inspiratoire du thorax, par nécessité ventilatoire. De là découle un excès de chaines, qui fixe ou aggrave d’autant plus le blocage du diaphragme et donc la pathologie pulmonaire. Un cercle vicieux se dessine. Le méziériste intervient alors pour casser cet engrenage, éviter l’apparition de déformations et maintenir le plus longtemps possible un bon positionnement et donc fonctionnement du diaphragme. Néanmoins, le travail expiratoire se fera en s’adaptant à la sévérité de l’atteinte pulmonaire, pour ne pas déclencher de collapsus bronchique ou augmenter la charge énergétique de la respiration. Grâce à son principe de libérer la respiration tout en améliorant la posture, la Méthode Mézières améliore la tolérance à l’effort, diminue la dyspnée et la distension thoracique. Tout ceci participe à ralentir l’évolution de la maladie, et aide le patient à mieux la comprendre et la contrôler. La Méthode Mézières étant adaptée à chaque patient, il serait intéressant de comparer son action, avec ce qui se fait en réhabilitation respiratoire, cette dernière étant plus protocolaire. BIBLIOGRAPHIE 1. Ministère de la Santé et des Solidarités. Connaitre, prévenir et mieux prendre en charge la BronchoPneumopathie Chronique Obstructive : Pages 6-11, 32-37, 44-49. Programmes d’actions 2005-2010. 2. La Bronchopneumopathie Chronique Obstructive. Version 2008: Pages 1-10. Date d'accès <www.therapie-respiratoire.com>, consulté le 10/01/2012. 6 3. Gregory REYCHLER et coll. Kinésithérapie respiratoire. Édition Elsevier Masson, 2007. 4. Bernard OPHOVEN. La respiration dans la Méthode Mézières. Revue de l’AMIK, n° 32, octobre 1992 : Pages 7-9. 5. Jacques PATTE. La Méthode Mézières : une approche globale du corps. Éditions Chiron, 2009. 6. Amik FORMATION. Formation à la Méthode Mézières – 1er cycle. Éditeur AMIK, 2010. 7. Jean ASSAYAG. L’apport de la Méthode Mézières dans la prise en charge de jeunes patients souffrant d’asthme. Revue de l’AMIK, n° 42, décembre 1997 : Pages 31-43. 8. Michaël NISAND. La Méthode Mézières, un concept révolutionnaire. Éditions J. Lyon, 2008. 9. Godelieve DENYS-STRUYFF. Le Manuel du Méziériste – Tome 1 et Tome 2. Précis pratiques de Rééducation. Édition Frison Roche, Paris 1995. 7