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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Le Coq combattant ou l!atrabilaire amoureux
Jean Anouilh
paru sous le titre de
L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux
Distribution
Mise en scène et version scénique : Armand Delcampe
Avec
Armand Delcampe : le Général
Myriem Akheddiou : Sophie
Marie-Line Lefebvre : Tante Bise
Isabelle Roelandt : Aglaé, femme du général
Alexandre von Sivers : le docteur
Gérard Vivane : le baron Bélazor
Robert Guilmard : Lebelluc
Jean-Marie Pétiniot : Ledadu
Patrick Ridremont : David Edward Mendigalès
Olivier Leborgne : le curé
Jean-Claude Dubiez : le laitier
Géromine Poulain, Fanny Bruyère ou Valentine Jongen : Marie-Christine
Grégoire Turine, Maxime Nyamabu ou Thomas Recht : le fils du laitier
Sacha Schildermans, Aurélien Comblez ou Philémon Jongen : Toto
Scénographie et costumes : Lionel Lesire
Lumières : Jacques Magrofuoco
Maquillages : Martine Lemaire
Gestuelle : Jean-Paul Corti
Assistants à la mise en scène : Jean-François Viot et Mélodie Axel
Une production de l!Atelier Théâtre Jean Vilar.
Dates : du 2 décembre 2008 au 9 janvier 2009
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : +/- 2h30 entracte compris
Réservations : 0800/25.325
Contact écoles :
Adrienne Gérard - 010/47.07.11 - 0473/936.976 - ad[email protected]
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I. L!auteur, Jean Anouilh, bio-bibliographie
Il n!y a que les vaudevilles qui soient tragiques
Jean Anouilh
(Bordeaux 1910 Lausanne 1987). Auteur dramatique français. Il a été pendant une
trentaine d!années l!écrivain le plus représentatif, et le mieux accueilli, d!une classe sociale
la bourgeoisie d!après-guerre – cultivée et sceptique que pourtant, en anarchiste, il n!a cessé
de fustiger et de poursuivre de ses sarcasmes.
Anouilh fait du théâtre depuis 1932 (
l!Hermine
) et les quarante pièces qu!il a écrites
ont été classées par lui-même en catégories qui en donnent le ton : noires, baroques,
brillantes, grinçantes, roses, secrètes… Ce classement n!est pas tout à fait artificiel : la
distance est grande, il est vrai, entre
le Bal des voleurs
(1938),
l!Invitation au château
(1947,
m. en sc. A. Barsacq) par exemple, et
la Sauvage
ou
Antigone
(1944), voire
la Valse des
toréadors
(1952). D!un côté, Anouilh s!amuse avec les situations, les personnages et les
mots et l!on sent chez lui un penchant vers le cirque et le music-hall ; de l!autre, les situations
et les personnages, empruntés aussi bien à la tradition culturelle (Antigone, Médée pièce
du même nom, 1953, m. en sc. A. Barsacq), historique (Becket – pièce du me nom, 1959,
m. en sc. M. Jamois) qu!au fait divers (
l!Hermine
), servent de prétexte à délivrer un message
dramatique : l!homme est un loup pour l!homme ; tragique même : l!existence est absurde.
La vie ne peut être vécue au jour le jour qu!en violation des valeurs sans lesquelles
précisément elle n!a pas de sens. C!est d!un existentialisme totalement désespéré : l!action,
chez Anouilh, à la différence du « projet » sartrien, bien loin de fonder un humanisme athée,
ne peut que compromettre et corrompre le pur : être fidèle à soi-même c!est dire non, non et
non, à perte de vie. Telle est la leçon de toutes les jeunes femmes d!Anouilh dont le nom
désigne déjà la qualité singulière : Antigone, la Sauvage, l!Hermine, Lucile (dans
la
Répétition ou l!Amour puni
, 1950, m. en sc. J.-L. Barrault),
Colombe
(1951).
On pourrait croire Anouilh aigri et rendant la société responsable de l!inaptitude de
ses héros à jouer un jeu social qui n!implique pourtant pas nécessairement la dégradation
morale ; et il y a de cela, sans doute, dans maintes pièces comme
Le Rendez-vous de Senlis
(1941) ou
Le Voyageur sans bagage
(mise en scène Georges Pitoëff, 1937). En fait, Anouilh
est plus philosophe que moraliste et il s!affronte à des contradictions existentielles
proprement insolubles : seul l!amour absolu est amour mais l!amour absolu est impossible
(
Ardèle ou la Marguerite
, 1948) ; on a beau aimer et être ai et être capable de se
débarrasser de son passé, on ne peut pas faire litière des déterminismes de toute nature qui
réduisent notre liberté à une illusion (
La Sauvage
). Seule issue : la fuite (Lucile dans
La
Répétition
) ou la mort volontaire (Antigone, ou Jeanne d!Arc dans
L!Alouette
, 1953).
Dès lors, comme Anouilh ne peut se tenir constamment sur ces hauteurs l!air est
pur mais raréfié, il redescend dans le monde et place maintes de ses intrigues dans des
milieux bourgeois les bienséances de surface servent d!écran (et, bien sûr, de révélateur,
car les écrans seront vite crevés par les persiflages d!Anouilh) à toutes les bassesses. C!est
le noir social qui s!étend alors sur des dizaines de pièces, de
Pauvre Bitos
(1958) à
Cher
Antoine
(1969) et de
L!Hurluberlu
(1959) à
La Grotte
(1961) : ratages, petits et gros
mensonges, coups bas en tout genre, revanches prises à la sauvette et sans joie, coups de
canif rageurs dans la respectabilité bourgeoise, tous ces ingrédients sont indispensables à la
fabrication de la cuisine peu ragoûtante, mais toujours relevée, qu!Anouilh, avec une dose de
provocation non exempte de masochisme, offre au public qui lui fournit la matière première
de ses observations.
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Ce qui sauve Anouilh de la monotonie car il y a quelque chose de mécanique dans
cette obstination à river son œil sur le laid – c!est un ton, grinçant toujours, mélange détonant
de
rire et d!amertume, de hargne et de fantaisie. Anouilh c!est sa politesse à l!égard du public
et sa pudeur à l!égard de la vie
jamais, ou presque, ne pose ni ne plastronne, il est maître
en pirouettes et roi de l!esquive. Il est aussi, en tant qu!écrivain de théâtre, l!inventeur d!un
dialogue rapide, contrasté, taillé dans le marbre d!une prose forte, aux veines colorées et
chatoyantes. En tant que dramaturge, il est, en héritier direct de Pirandello et, lointain, de
Molière et de Shakespeare, capable de bâtir des œuvres à multiples fonds, avec
emboîtements d!une pièce dans l!autre (Marivaux dans
La Répétition
), surimpression des
temps, des espaces et des langages (
L!Alouette
), jeu dans le jeu (
Le Boulanger, la
boulangère et le petit mitron
, 1968 ;
Ne réveillez pas Madame
, 1970), intervention d!un
metteur en scène-acteur qui met la fable en perspective (
La Grotte
).
Toutes procédures qui, maniées avec la reté d!un grand professionnel, ne peuvent
que faire mouche sur un public sensible à toutes les prouesses d!acteur (Flon, Pitoëff, Périer,
Barrault, Blier, Bouquet) qu!une telle écriture appelle.
Michel Corvin
Extrait du
Dictionnaire encyclopédique du théâtre
,
Bordas, Paris, 1991
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II. La pièce
Résumé
Le néral trouve que ça ne va pas en France. Il conspire contre le régime ; mais
chez lui ça ne va pas fort non plus.
Avec le docteur, le curé, un propriétaire et un petit hobereau voisins, et le quincaillier
du village, le général va rendre la France propre, grande et rigoureuse. Il va extirper les vers
qui se sont mis dans le fruit. Mais sa plus petite fille court précocement avec le fils du laitier,
la grande fille Sophie qu'il a eue d'un premier mariage s'est entichée d'un jeune fêtard
ridicule et goguenard, fils d'un usinier voisin, sa sœur Tante Bise, vieille jeune fille
laborieusement conservée la page", l'entraîne dans des vendettas d'honneur risoires
contre des hommes qui lui ont effleula taille et sa femme Aglaé vient lui révéler qu'elle
s'ennuie et qu'elle rêve de quelque chose… Elle ne sait pas encore de quoi.
Avec la France sur le dos, toutes ces histoires de famille et la blessure secrète que lui
a faite l'aveu de sa femme – le général va se lancer comme un Don Quichotte touchant et un
peu comique contre les moulins. Et les moulins l'assommeront.
L!hurluberlu ou leactionnaire amoureux
Le titre original de la pièce est
L'Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux
. Lors de la
création du spectacle, le 8 décembre 1959 au Anta Theater de New York, dans une mise en
scène de Peter Brook, la version anglaise du texte, traduite par Lucienne Hill, prenait le titre
de
The Fighting Cock
. Armand Delcampe a souhaité, pour son adaptation scénique, retenir
ce second titre.
La composition de
L!Hurluberlu
remonterait à 1956-1957 alors qu!Anouilh sollicitait
François Périer pour le rôle ; elle aurait été retravaillée pour en atténuer l!ancrage politique.
Le manuscrit n!apporte guère de lumières sur la genèse de la pièce bien qu!on y trouve des
liasses concernant différentes versions d!une me scène (numéro de David E.
Mendigalès ; scène du complot dans l!acte II). La seule impression qui ressort de l!examen
de ce manuscrit est qu!Anouilh, avec une évidente facilité d!écriture, laissait courir sa plume,
développant pliques et échanges pour, à une étape ultérieure, choisir et resserrer en
puisant dans ce qui constituait une manière de serve. Si les variantes dactionnelles sont
en grand nombre, on ne constate pas de modification significative du schéma dramatique ;
en revanche, les didascalies sont moins nombreuses et souvent moins développées que
dans la version publiée ; peut-on en conclure qu!à la relecture, lorsque le texte est
globalement mis en place et proche de son état définitif, Anouilh se représente son
interprétation et sa mise en scène, insérant alors des notations sur la psychologie, les
attitudes, les mouvements des personnages ?
Initialement la pièce s!intitulait
La Comédie
; ce qu!éclaire peut-être une note du
manuscrit
(« jouer la comédie, laisser aller les choses et perdre Aglaé »
) ; mais le titre
définitif rend explicite la référence au
Misanthrope
de Molière, pièce un moment sous-titrée
« ou l!atrabilaire amoureux ». Peu d!années auparavant,
Ornifle
réécrivait
Dom Juan
et
Pauvre Bitos
pouvait se lire comme une transposition politico-historique de
Tartuffe
. Plus
immédiatement, en cette année 1958, Anouilh travaille aussi à
La Petite Molière
, variation
biographique et sans doute allégoriquement autobiographique, qui lui fournit l!occasion de
rajeunir une ancienne familiarité avec l!auteur de
L!Ecole des femmes
.
Que le général emprunte ou non des traits de caractère d!Anouilh H. Clurman,
après la représentation new-yorkaise de
The Fighting Cock
, y voit une
« apologia pro vita
sua »
–, il est sûr que la pièce affiche des dettes à l!endroit de Molière : retraitement plutôt
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qu!imitation ou parodie, comme l!avaient fait Eugène Labiche dans
Le
Misanthrope et
l!Auvergnat
(1852) et plusieurs autres. N!est-il pas jusqu!à la scène finale entre le général et
son fils Toto qui prend l!aspect d!un dénouement de fantaisie, ouverture sur un avenir
incertain et purement théâtral, qui propose au conflit de la vie et de la rigueur une solution
aussi illusoire que les comédies ballets Monsieur Jourdain est sacré grand Mamamouchi
(
Le Bourgeois gentilhomme
), où Argan est intronisé dans l!univers de la médecine (
Le
Malade imaginaire
) ? Ainsi se masque en partie le glissement
« de la comédie du complot à
la tragédie de la solitude »
(J. Languet, La Nation française, 11 février 1959).
Au metteur en scène de 1987, Georges Vergez, Anouilh aurait confié que la clé de la
pièce se trouvait davantage dans le titre que dans le sous-titre, que «
ses personnages sont
tous un peu dans les nuages
», ce qui aurait suscité l!image du tableau de Magritte dont se
sont inspirés les décors. De fait, l!hurluberlu est un « extravagant » - c!est le terme dont
Aglaé qualifie son mari - qui erre à l!écart du siècle, sinon à l!écart du mondeel. L!épithète
qualifie chez ce nouvel Alceste le côté bourru, bougon, rude parfois dans les propos, bref la
« bizarrerie » que Philinte reproche à son ami Alceste, lorsqu!il déplore ses « brusques
chagrins » et son « esprit contrariant ». Le jeune mondain mélancolique s!est mué en un
général qui s!oppose autant au monde qu!à la mode et à la modernité, ancré dans le passé
(« je ne veux pas que rien change, jamais »). C!est donc bien du côté de la tradition
classique qu!il faut regarder plus que de l!actualité, à la différence de la pièce précédente,
Pauvre Bitos
, largement allégorique, Anouilh réglait son contentieux avec la Libération.
Non qu!en soient absentes les allusions politiques ; ce général de brigade qui écrit ses
moires, qui s!est laissé un moment séduire par l!Action française de Maurras, qui rêve une
France de l!honneur, sans s!identifier au général de Gaulle qui est devenu président de la
Vème République, fondée par référendum le 28 septembre 1958, lui emprunte
manifestement quelques traits. Le programme de 1987 invite au rapprochement en ajoutant,
à la suite de la distribution, cette indication :
« L!action se passe à l!aube de la me
République, aux beaux jours. »
Bien sûr, ce ne sont pas là des analogies de hasard, mais il
faut les considérer comme d!ironiques renvois à l!actualité plutôt que comme une caricature.
S!il est donc excessif d!affirmer avec Paul Meurisse que
« c!est uniquement une
comédie de caractère »
, tant la satire y occupe de place, il reste que ce néral semble
endosser, à 54 ans, le rôle qui était naguère celui des jeunes : Frantz, Thérèse ou Antigone.
Ridicule aux yeux des uns (Guy Leclerc ou Henri Gouhier), il ne l!est jamais pour Gabriel
Marcel ; il serait plutôt pathétique et touchant. Et la pièce tient, un peu à la façon du
Dom
Juan
de Molière, de l!investigation psychologique où le choix des personnages et la suite des
scènes servent à éclairer la personnalité du protagoniste. Le quincaillier Ledadu caricature
possible du poujadiste de province et Bélazor, et à moindre titre le docteur, sont des
comparses, des esquisses de personnages destinés à nourrir la satire, comme David
Edward Mendigalès dans lequel Anouilh a réuni tout ce qu!il déteste : fortune douteuse,
arrogance, désinvolture, inculture, etc. Dans cette galerie de personnages, une exception :
Aglaé, l!un des plus délicats portraits de femme de ce théâtre, figure idéale qui conjoint la
délicatesse, la tendresse et la sincérité et fait contrepoint à celle du général, me si Robert
Kemp évoque à son sujet Emma Bovary et Elvire du
Lys dans la vallée
.
La composition dramatique est fort simple, voire linéaire, entre le pauvre complot
politique et l!enquête pour savoir qui a pris la main d!Aglaé un soir :
« voulant réformer le
monde,
[le général]
s!aperçoit qu!il ne peut même pas faire gner l!ordre dans sa propre
famille »
, déclare Jean Anouilh dans
Les nouvelles littéraires
du 5 février 1959. C!est là
l!occasion de scènes brillantes dont la critique s!est accordée à souligner la verve et la
virtuosité. Les quatre actes s!organisent en deux ensembles : les deux premiers montrent le
réactionnaire dans son milieu, scandés de scènes parodiques avec les enfants qui prennent
figure d!intermèdes ; les deux derniers oublient la vie pour le théâtre, antithèse aussi du
passé et du présent. La pièce, écrit Jacques Noël en 1987, est une sorte de double complot,
complot organisé par le général qui se méfie et complot contre le général.
Michel Fresnay, responsable des costumes en 1987, cherchera à traduire cette
dualité :
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