qu!imitation ou parodie, comme l!avaient fait Eugène Labiche dans
Le
Misanthrope et
l!Auvergnat
(1852) et plusieurs autres. N!est-il pas jusqu!à la scène finale entre le général et
son fils Toto qui prend l!aspect d!un dénouement de fantaisie, ouverture sur un avenir
incertain et purement théâtral, qui propose au conflit de la vie et de la rigueur une solution
aussi illusoire que les comédies ballets où Monsieur Jourdain est sacré grand Mamamouchi
(
Le Bourgeois gentilhomme
), où Argan est intronisé dans l!univers de la médecine (
Le
Malade imaginaire
) ? Ainsi se masque en partie le glissement
« de la comédie du complot à
la tragédie de la solitude »
(J. Languet, La Nation française, 11 février 1959).
Au metteur en scène de 1987, Georges Vergez, Anouilh aurait confié que la clé de la
pièce se trouvait davantage dans le titre que dans le sous-titre, que «
ses personnages sont
tous un peu dans les nuages
», ce qui aurait suscité l!image du tableau de Magritte dont se
sont inspirés les décors. De fait, l!hurluberlu est un « extravagant » - c!est le terme dont
Aglaé qualifie son mari - qui erre à l!écart du siècle, sinon à l!écart du monde réel. L!épithète
qualifie chez ce nouvel Alceste le côté bourru, bougon, rude parfois dans les propos, bref la
« bizarrerie » que Philinte reproche à son ami Alceste, lorsqu!il déplore ses « brusques
chagrins » et son « esprit contrariant ». Le jeune mondain mélancolique s!est mué en un
général qui s!oppose autant au monde qu!à la mode et à la modernité, ancré dans le passé
(« je ne veux pas que rien change, jamais »). C!est donc bien du côté de la tradition
classique qu!il faut regarder plus que de l!actualité, à la différence de la pièce précédente,
Pauvre Bitos
, largement allégorique, où Anouilh réglait son contentieux avec la Libération.
Non qu!en soient absentes les allusions politiques ; ce général de brigade qui écrit ses
Mémoires, qui s!est laissé un moment séduire par l!Action française de Maurras, qui rêve une
France de l!honneur, sans s!identifier au général de Gaulle qui est devenu président de la
Vème République, fondée par référendum le 28 septembre 1958, lui emprunte
manifestement quelques traits. Le programme de 1987 invite au rapprochement en ajoutant,
à la suite de la distribution, cette indication :
« L!action se passe à l!aube de la Vème
République, aux beaux jours. »
Bien sûr, ce ne sont pas là des analogies de hasard, mais il
faut les considérer comme d!ironiques renvois à l!actualité plutôt que comme une caricature.
S!il est donc excessif d!affirmer avec Paul Meurisse que
« c!est uniquement une
comédie de caractère »
, tant la satire y occupe de place, il reste que ce général semble
endosser, à 54 ans, le rôle qui était naguère celui des jeunes : Frantz, Thérèse ou Antigone.
Ridicule aux yeux des uns (Guy Leclerc ou Henri Gouhier), il ne l!est jamais pour Gabriel
Marcel ; il serait plutôt pathétique et touchant. Et la pièce tient, un peu à la façon du
Dom
Juan
de Molière, de l!investigation psychologique où le choix des personnages et la suite des
scènes servent à éclairer la personnalité du protagoniste. Le quincaillier Ledadu – caricature
possible du poujadiste de province – et Bélazor, et à moindre titre le docteur, sont des
comparses, des esquisses de personnages destinés à nourrir la satire, comme David
Edward Mendigalès dans lequel Anouilh a réuni tout ce qu!il déteste : fortune douteuse,
arrogance, désinvolture, inculture, etc. Dans cette galerie de personnages, une exception :
Aglaé, l!un des plus délicats portraits de femme de ce théâtre, figure idéale qui conjoint la
délicatesse, la tendresse et la sincérité et fait contrepoint à celle du général, même si Robert
Kemp évoque à son sujet Emma Bovary et Elvire du
Lys dans la vallée
.
La composition dramatique est fort simple, voire linéaire, entre le pauvre complot
politique et l!enquête pour savoir qui a pris la main d!Aglaé un soir :
« voulant réformer le
monde,
[le général]
s!aperçoit qu!il ne peut même pas faire régner l!ordre dans sa propre
famille »
, déclare Jean Anouilh dans
Les nouvelles littéraires
du 5 février 1959. C!est là
l!occasion de scènes brillantes dont la critique s!est accordée à souligner la verve et la
virtuosité. Les quatre actes s!organisent en deux ensembles : les deux premiers montrent le
réactionnaire dans son milieu, scandés de scènes parodiques avec les enfants qui prennent
figure d!intermèdes ; les deux derniers oublient la vie pour le théâtre, antithèse aussi du
passé et du présent. La pièce, écrit Jacques Noël en 1987, est une sorte de double complot,
complot organisé par le général qui se méfie et complot contre le général.
Michel Fresnay, responsable des costumes en 1987, cherchera à traduire cette
dualité :