Le Très-Haut a dit, pour le croyant de la famille de Pharaon ;
« Certes Joseph est venu à vous, auparavant, avec des preuves
évidentes mais vous n’avez pas cessé d’être dans le doute sur ce
qu’il vous avait apporté. Quand il périt, vous dîtes dès lors :
« Dieu n’enverra plus de Messager après lui 1. »
Ainsi en alla-t-il aussi du Négus. Alors même qu’il était le roi
des Nazaréens, son peuple ne lui obéit pas pour ce qui fut
d’entrer dans l’Islam ; bien plutôt, un petit groupe seulement y
entra avec lui. Voilà pourquoi, quand il mourut, il n’y eut là-bas
personne pour prier sur lui. Le Prophète – Dieu prie sur lui et
lui donne la paix ! – pria donc sur lui à Médine : il sortit avec
les Musulmans vers l’aire de prière (muṣallā), les fit se mettre
en rangs et pria sur lui. Il les avait informés de sa mort le jour
où il était mort et avait dit : « Un frère vertueux à vous est mort,
d’entre les gens d’Abyssinie 2. » [113]
Le Négus écoutant les réfugiés musulmans3
Il n’avait pas adopté 4 beaucoup des prescriptions de l’Islam –
ou la plupart [même] – vu qu’il en avait été incapable : il
n’avait ni émigré, ni mené le jihād, ni accompli le pèlerinage de
la Maison 5. Il a même été rapporté qu’il ne priait pas les cinq
prières [journalières], ni ne jeûnait le mois de Ramaḍān, ni ne
versait l’aumône Légale. Cela aurait en effet rendu [sa religion]
visible pour son peuple et ils le lui auraient reproché alors qu’il
ne lui était pas possible de s’opposer à eux. Nous, nous savons
aussi de manière certaine qu’il ne lui était pas possible de juger
(ḥakama) entre eux selon le[s] jugement[s] du Coran.
À Médine, quand les Gens du Livre vinrent chez lui, Dieu
imposa à Son Prophète de ne juger entre eux que selon ce qu’Il
avait fait descendre vers lui [comme révélations], et Il lui dit de
se méfier qu’ils tentent de le détourner de certains des [com-
mandements] que Dieu avait fait descendre vers lui – par exem-
ple, le jugement condamnant l’homme marié (muḥṣan) à la
peine (ḥadd) de la lapidation en cas de fornication 6, celui
possible » (IBN TAYMIYYA, al-Ḥisba fī l-islām - Traité sur la Ḥisba,
publié et traduit par H. LAOUST, Paris, Geuthner, 1994, p. 8 ar.). Je
retraduis car Laoust (p. 30-31) ne suit pas le texte d’assez près.
1. Coran, Ghāfir - XL, 34.
2. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Manāqib al-anṣār (Boulaq, t. V, p. 51 ;
trad. HOUDAS, Traditions, t. III, p. 35).
3. Image tirée du film al-Risāla de M. Akkad (1976), digitalement
travaillée.
4. Littér.: « Il n’était pas entré dans… »
5. C’est-à-dire la Ka‘ba.
6. La fornication est punie de lapidation selon les diverses écoles de
fiqh sunnites quand son auteur est adulte, libre et marié (ou a été
marié). Plus sévère que les cent coups de fouet prévus dans la sourate
al-Nūr (XXIV, 2) pour la même faute, cette peine est fondée sur
diverses traditions et, selon ‘Umar b. al-Khaṭṭāb, cité dans l’une
imposant d’être juste (‘adl) à propos du prix du sang et celui
établissant, à propos du sang [versé], une égalité entre la
noblesse et le vulgaire, âme pour âme, œil pour œil, etc.
Au Négus il ne fut pas possible de juger selon le[s] juge-
ment[s] du Coran. Son peuple ne l’aurait en effet pas laissé le
faire. Combien souvent un homme est investi d’une autorité
parmi les Musulmans et les Tatars, comme cadi ou, même,
comme imām, et a en son âme des affaires de justice qu’il
voudrait mettre en œuvre ; il ne lui est cependant pas possible
de le faire ou, plutôt même, il y a là des gens qui l’en empê-
chent ! « À une âme, Dieu n’impose qu’une charge qu’elle est
capable de porter 7… » ‘Umar b. ‘Abd al-‘Azīz8 fit l’objet
d’hostilité et de malveillance en raison de certaines mesures de
justice qu’il mit en application (iqāma). On dit aussi qu’il fut
empoisonné pour cela. [114]
Le Négus et ses pareils sont heureux dans le Jardin, alors
même que, s’agissant des prescriptions de l’Islam, ils n’obser-
vèrent pas des choses qu’ils ne furent pas capables d’obser-
ver mais, bien plutôt, jugèrent selon les jugements selon
lesquels il leur fut possible de juger. C’est pour cela que Dieu a
placé ces [personnes] parmi les Gens du Livre. Le Très-Haut a
dit : « Parmi les Gens du Livre, il en est qui croient en Dieu, en
ce qu’on a fait descendre vers vous et en ce qu’on a fait
descendre vers eux. Ils sont humbles devant Dieu et ne vendent
pas les versets de Dieu à peu de prix. Ceux-là, à eux leur
récompense, auprès de leur Seigneur. Dieu en effet est prompt à
faire le compte 9. »
Un groupe d’Anciens a dit que ce verset était descendu au
sujet du Négus. On relate ceci de Jābir 10, d’Ibn ‘Abbās et
d’Anas 11. Il en est aussi parmi eux qui dirent [qu’il était des-
cendu] à son sujet et à celui de ses compagnons, ainsi que le
dirent al-Ḥasan 12 et Qatāda 1. Tel est le sens qui fut donné par
d’elles, sur une révélation non retenue dans la version finale du
Coran ; voir R. PETERS, EI2, art. Zinā.
7. Coran, al-Baqara - II, 286.
8. ‘Umar II, calife umayyade qui régna de 99/717 jusqu’à sa mort en
101/720 et reste réputé pour sa piété ; voir P. M. COBB, EI2, art.
‘Umar II.
9. Coran, Āl ‘Imrān - III, 199. « Le Négus et ses compagnons,
d’entre ceux qui s’affichaient comme pratiquant beaucoup de ce que
les Nazaréens pratiquaient, leur affaire est ambigüe. Voilà pourquoi les
[savants] mentionnent [ceci] comme occasion de la descente de ce
verset : quand le Négus mourut, le Prophète – Dieu prie sur lui et lui
donne la paix ! – pria sur lui ; quelqu’un dit : « Tu pries sur cet infidèle
(‘ilj) nazaréen qui a [vécu] dans son pays [lointain] ? » et ce verset
descendit. Ceci est rapporté d’après Jābir, Anas b. Mālik et Ibn
‘Abbās, qui furent d’entre les Compagnons qui assistèrent à la prière
sur le Négus. [Il en alla donc] différemment de [ce qui se passa avec]
Ibn Salām et Salmān le Persan : quand [le Prophète] pria sur l’un de
ceux-ci, personne ne le lui reprocha. Ceci est de ce qui rend clair que
parmi ceux qui affichent leur Islam, il y a des hypocrites sur qui on ne
prie pas – ainsi que [la révélation] descendit [l’indiquer] au sujet d’Ibn
Ubayy et de ses semblables – et il peut par ailleurs aussi y avoir, en
terre de mécréance un croyant sur lequel on prie, à l’instar du Négus »
(IBN TAYMIYYA, Minhāj, t. V, p. 119).
10. Jābir b. ‘Abd Allāh b. ‘Amr, Compagnon (m. à Médine, 74/
693 ?) ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd al-Ghāba, t. I, p. 256-258.
11. Anas b. Mālik, Abū Ḥamza (m. 91/709 ou 93/711), Compagnon ;
voir A. J. WENSINCK - J. ROBSON, EI2, art. Anas b. Mālik.
12. Abū Sa‘īd b. al-Ḥasan al-Baṣrī (m. à Baṣra, 110/728), célèbre
prédicateur et maître spirituel de la génération des Suivants ; voir
H. RITTER, EI2, art. al-Ḥasan al-Baṣrī.