sermon cxix - La Porte Latine

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SERMON CXIX. LE VERBE FAIT CHAIR (1).
ANALYSE. — Tout grand, tout éternel que soit le Verbe de Dieu, il s'est fait chair, il est
descendu jusqu'à nous, afin de nous élever jusqu'à lui.
1. Nous n'avons jamais cessé de vous annoncer, et toujours votre foi a été persuadée
que Notre-Seigneur Jésus-Christ s'est fait homme pour chercher l'homme égaré, et que ce
même Seigneur, qui s'est fait homme pour nous, a toujours été Dieu dans le sein de son Père,
qu'il le sera ou plutôt qu'il l'est toujours, car il n'y a ni passé ni futur là où n'est point la
mobilité du temps. En effet le passé n'est plus et le futur n'est pas encore, tandis que le
Seigneur est toujours, puisqu'il existe véritablement, en d'autres termes, puisqu'il est
immuable. C'est le grand et divin mystère que vient de nous rappeler la lecture de l'Evangile.
C'est saint Jean qui a exhalé en quelque sorte ce commencement de l'Evangile, qu'il
avait comme puisé dans le coeur de son Maître. On
1 Jean, I, 1-14.
vous l'a lu dernièrement encore ; rappelez-vous donc comment ce saint Evangéliste reposait
sur le sein du Seigneur, sur le sein du Seigneur, c'est-à-dire « sur sa poitrine, » comme il
l'exprime clairement (1). Or en reposant ainsi sur la poitrine du Seigneur, que n'y puisait-il
pas ? Ne cherchons pas tant à nous l'imaginer qu'à en profiter, puisque nous aussi nous
venons d'entendre de sublimes vérités.
2. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu. » Quelle prédication! Quels flots divins jaillissant de la poitrine du Seigneur ! « Au
commencement était le Verbe.» Pourquoi chercher ce qui était avant lui, puisqu'il « était au
commencement ? » Le Verbe n'a pas été créé, puisque tout a été créé par lui : mais s'il avait
été créé,
1. Jean, XIII, 23, 25.
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l'Ecriture dirait : Au commencement Dieu a fait le Verbe, comme il est dit dans la Genèse : «
Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre (1). » Dieu n'a donc pas fait le Verbe au
commencement, puisqu'« au commencement était le Verbe. » Mais où était ce Verbe, qui
était au commencement ? Poursuis : « Et le Verbe était en Dieu. » Habitués à entendre
chaque jour la parole humaine, estimons-nous assez ce terme de Verbe qui signifié parole?
Garde-toi d'en faire ici peu de cas, car « le Verbe était Dieu; il était en Dieu au
commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait. »
3. Appliquez vos coeurs, suppléez à l'insuffisance de mon discours; écoutez ce que je
pourrai dire et réfléchissez à ce que je ne dirai pas. Qui peut se représenter une parole
immobile? Les nôtres passent en faisant du bruit. Afin donc de se figurer le Verbe
subsistant, ne faut-il pas demeurer en lui? Veux-tu donc comprendre comment ce Verbe est
immobile ? ne suis pas le torrent charnel. Notre chair est comme un fleuve, puisqu'elle n'est
jamais immobile. Les hommes en effet naissent des sources mystérieuses de la nature, ils
vivent et ils meurent, sans savoir ni d'où ils viennent, ni où ils vont. Ainsi les eaux sont
invisibles jusqu'au moment où elles jaillissent, elles coulent et on les voit dans le lit du
fleuve, puis elles se perdent de nouveau dans la mer. Ah! dédaignons, dédaignons ce flot qui
jaillit, qui coule et disparaît. « Toute chair n'est que de l'herbe et toute sa beauté ressemble à
la fleur des champs ; l'herbe s'est desséchée, la fleur est « tombée. » Veux-tu ne tomber pas ?
« Mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement (2). »
4. Afin toutefois de nous venir en aide, « le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi
nous. » Qu'est-ce à dire, « le Verbe s'est fait chair? » C'est-à-dire que l'or s'est fait herbe, il
s'est fait herbe pour brûler ; l'herbe en effet a brûlé, mais l'or est resté, et loin de se consumer
avec l'herbe, il l'a transformée. Comment l'a-t-il transformée ? En la ressuscitant, en lui
rendant la vie, en l'élevant jusqu'au ciel, en la plaçant à la droite du Père.
Mais de quoi sont précédés ces mots : « Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi
nous ? » Rappelons-le brièvement. « Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. Mais
à tous ceux qui l'ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, » de le devenir,
1. Gen. I, 1. — 2. Isaïe, XI, 6-8.
car ils ne l'étaient pas, tandis que lui l'était dès le commencement. « Il a donc donné le
pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du
mélange du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu. »
Quel que soit leur âge proprement dit, voilà ce qu'ils sont, des enfants; regardez-les et soyez
heureux. Voilà ce qu'ils sont, mais des enfants qui ont Dieu pour père ; le sein de leur mère
est l'eau du baptême.
5. Loin d'ici la pauvreté du coeur et l'indigence des pensées ; que nul ne dise :
Comment ! « Le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était
Dieu, tout a été fait par lui : » et voilà que ce même « Verbe s'est fait chair et a habité parmi
nous ! » Apprenez pourquoi. Il est sûr qu'à ceux qui croient en son nom il a donné le pouvoir
de devenir enfants de Dieu ; et vous à qui il a donné ce pouvoir, ne regardez point cette
transformation comme impossible. « Le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous. » Est-il
étonnant que vous puissiez devenir fils de Dieu, quand pour vous le Fils de Dieu est devenu
Fils de l'homme? S'il s'est abaissé, ne peut-il nous élever? S'il est descendu jusqu'à nous, estil impossible que nous montions jusqu'à lui? Il s'est assujetti à notre mort, ne saurait-il nous
donner sa vie ? Pour toi il a enduré les maux qui t'étaient dus, ne pourra-t-il te communiquer
les biens qui lui appartiennent ?
6. Néanmoins, objecte-t-on, comment a-t-il été possible que le Verbe de Dieu, qui
gouverne le monde, qui a créé et qui crée encore tout, se rapetissât dans le sein d'une Vierge,
laissât le monde et quittât les anges pour s'enfermer dans les flancs d'une femme? — Tu
n'entends rien aux choses de Dieu. Souviens-toi, ô homme, que je te parle de la toutepuissance du Verbe de Dieu. Le Verbe de Dieu a donc pu sans difficulté faire tout cela;
également tout-puissant, et pour demeurer avec son Père, et pour venir parmi nous, et pour
se montrer à nous dans un corps humain et pour demeurer invisible en lui. Il ne doit pas la
vie à sa naissance corporelle. Il existait avant de prendre un corps ; c'est lui qui a créé sa
mère ; il a fait choix de celle qui l'a conçu, il a créé celle qui devait le créer. Pourquoi cette
surprise? C'est de Dieu que je te parle, car « le Verbe était Dieu. »
7. Il est ici question du Verbe, de la Parole ; la parole humaine ne saurait-elle nous
donner quelque idée de sa puissance? Quelle différence!
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Il n'y a aucune comparaison à établir, et toutefois n'y peut-on signaler aucune
ressemblance ? Ainsi, la parole que je vous adresse était d'abord dans mon coeur ; je te la
donne et elle ne me quitte point ; elle n'était pas en toi et elle y est, mais en y allant elle
demeure en moi. De même donc qu'elle frappe tes sens sans quitter mon coeur, ainsi le
Verbe divin s'est montré à nous sans quitter son Père. Ma parole était en moi et elle est
devenue voix ; le Verbe de Dieu était en son Père et il est devenu chair. Mais puis-je faire de
ma voix ce qu'il a fait de sa chair? Ma voix s'envole et je ne puis la retenir ; lui au contraire,
complètement maître de sa chair en naissant, en vivant et en travaillant, l'a de plus
ressuscitée après sa mort, puis il l'a conduite au Ciel comme le char sur lequel il était venu
au milieu de nous. Donne à cette chair les noms de vêtement, de char ou de bête de somme,
comme il est possible qu'il ait voulu nous l'indiquer lui-même en faisant placer sur cette
monture le malheureux qui avait été blessé par les voleurs (1); donne-lui enfin le nom de
temple qu'il s'est donné lui-même expressément (2); ce temple, après avoir été renversé, est
maintenant assis à la droite du Père, et il viendra dans ce temple juger les vivants et les
morts. Mais ce qu'il a enseigné par ses préceptes, il l'a montré par ses exemples et tu dois
espérer pour ton corps ce que tu vois: dans le sien. Tel est l'objet de la foi, attache-toi à ce
que tu ne vois pas encore ; il est nécessaire que la foi te tienne lié à ce que tu ne vois pas,
pour n'avoir pas à rougir lorsque tu seras en face.
1. Luc, X, 34. — 2. Jean, II, 19.
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