No
113 - 2009
Comptes rendus
Review
Ali BENSAÂD
Virginie Baby-Collin et Delphine Mercier (dir.), (2008), Sud à sud. Dynamiques sociales et spatiales Amérique
latine/Méditerranée, Publications de l'université de Provence, Aix en Provence, 320 p.
L'ouvrage, issu d'un colloque international organisé à Aix en Provence en mai 2006, ne se situe nullement dans une
démarche comparatiste entre aires culturelles et se garde bien de l'écueil de la réication essentialiste. Ces aires ne sont pas
prises comme un objet de réexion en soi mais plutôt, à travers la confrontation des analyses des processus sociaux qui
s'y développent, comme cadre de reformulation de la question du rapport Nord/Sud avec, sous-jacente à celle-ci, celle de
l'approche « sud/sud » et de sa potentielle fécondité pour interroger ce rapport.
Une reformulation qui remet d'abord en question la pertinence de l'opposition classique Nord-Sud dans un contexte
de mondialisation faisant interagir fortement des espaces et des sociétés longtemps considérés comme structurellement
différents. La multiplication des échanges et des mises en relation, si elle n'amenuise pas les forts décalages sociaux et
économiques, contribue à faire bouger les frontières entre nord et sud alors que les « lignes de rupture » des décalages
se recomposent continument et clivent les espaces jusqu'aux échelles les plus nes comme celles des villes que marquent
l'inégalité et la fragmentation. Un brouillage des lignes qui pose la question de la possibilité de délimiter aujourd'hui un
sud par distinction d'un nord. « C'est par des travaux comparatifs Nord/Sud et des échanges sur les méthodes, les concepts
et les résultats utilisés au Nord et au Sud que l'on fera avancer la réexion sur l'un et l'autre, sur l'ici et l'ailleurs ». Cette
conviction déclinée dans une introduction de la revue Autrepart ( « on dirait le sud », 41, 2007 ), les auteurs la font leur tout
en se proposent de lire les processus sociaux et spatiaux à partir d'une sémantique située au sud, et du côté des acteurs qui
en sont à l'origine. Cette discussion entre approches développées dans des aires culturels distinctes est justiée d'autant
que celles-ci sont le lieu de processus d'innovation sociale et économique qui, permettant de jeter des regards décalés sur
les nord ou les « sud des nord », enrichissent la réexion scientique.
Ces dynamiques sont abordées à partir de trois entrées thématiques qui structurent le plan du livre, chacune d'elle solli-
citant des apports pluridisciplinaires et associant approche scientique et regard artistique.
L'adverbe « entre » qui structure le titre de chacune des trois parties (entre voyage et ancrage, entre identité et altérité ;
entre cabas et maquiladora ; entre imagerie urbaine et résistances citoyennes) est un parti-pris des auteurs pour restituer
formellement dans l'énoncé du titre la tension qui sous-tend et structure toutes ces dynamiques marquées par les hésitations
des acteurs et la multiplicité des processus en jeu dans des ajustements complémentaires ou conictuels mais toujours en
tension. Cette dernière indique l'incertitude des rapports de force et en conséquence l'indécis des choix politiques et des
constructions socio-spatiales qui peuvent en émerger.
La restitution de cette tension et de cette incertitude sont au cœur des démarches des articles de la troisième partie de
l'ouvrage qui observe les modes de construction des espaces urbains au travers des relations entre image de villes, politiques
urbaines et résistances citadines. Tensions entre des pratiques populaires, formelles ou informelles, légales ou illégales, et
des constructions politiques qui les questionnent, les bousculent ou s'inscrivent en faux par rapport à elles. L'observation
des pratiques populaires, plus familière au regard du sud, permet de questionner les grilles d'analyse des villes du nord et
invite à y intégrer la prise en compte de ces pratiques.
La tension et la mouvance sont aussi celles du processus de mondialisation dans lequel se sont engagées ces deux aires,
analysées dans la deuxième partie, et qui se traduit par une recomposition des formes du travail, un contournement des
législations par la création de nombreuses formes de zones franches, une complexication des modes de travail informel
et une réarticulation des espaces de prises de décisions, de production et de consommation entre Nord et Sud. Ici aussi, la
diffusion de modèles construits au sud, souvent par défaut, marque la division internationale du travail qui les « exporte »
dans les pays du nord en modiant le rapport de force et les formes de domination existantes.
La tension et l'ambiguïté se retrouvent également dans les dynamiques migratoires de ces aires dont l'histoire est faite de
mouvements migratoires massifs inscrits dans la longue durée. Ces dynamiques ont contribué à des constructions identi-
taires articulant le même et l'autre, questionné la notion de métissage et d'intégration, recomposé les frontières des groupes
culturels et imposé des choix politiques aux États, sans pour autant interrompre les dynamiques impulsées par les acteurs
de la migration.
L'interrogation du Nord par les dynamiques du Sud est ici encore plus directe dans le sens où comme au sud-ouest états-
unien, le sud est déjà dans le nord et, à travers l'ampleur de la migration « latino », questionne les fondements de l'identité
états-unienne.
Mais l'analyse des processus sociaux dans chacun des sud est aussi un questionnement et un apport à la réexion sur ces
processus dans l'autre sud comme permet justement de l'entrevoir également la question migratoire. Celle-ci investit plus
l'imaginaire social latino-américain et sa place, sociale et politique, y est plus reconnue (comme également dans les rapports
avec l'Amérique du Nord avec l'importance des latinos y résidant). Cette situation a pour vertu de mieux mettre en exergue