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Portant sur le lien entre le traitement du Sollen dans la Science de la logique
et la critique du normativisme menée par G. W. F. Hegel dans la Préface des
Principes de la philosophie du droit, le texte recense, dans un premier
temps, trois arguments contre l’usage du devoir-être dans la réflexion
philosophique politique puis, dans un deuxième temps, nuance les deux sens du
devoir-être dans la Science de la logique afin de, dans un troisième temps,
spécifier le sens de la critique hégélienne du normativisme selon les deux points
suivants : 1. dans la Préface des Principes de la philosophie du droit, cette
critique ne s’applique qu’à l’activité spéculative ayant l’État pour objet et 2.
l’opposition entre être et devoir-être a pour but de souligner la qualispéculative
de la pensée portant sur l’État, ces deux spécifications reposant, enfin, sur la
difficulté d’établir une correspondance étroite entre l’usage critique du concept de
Sollen dans les Principes de la philosophie du droit et les deux sens de ce
concept dans la Science de la logique.
Dès le tout début des Principes de la philosophie du droit, Hegel rejette
l’idée d’un normativisme éthique, soit le fait que la philosophie
morale et politique repose sur l’opposition entre être et devoir-être.
Sur cette base, par exemple, dans les philosophies morales kantienne
et fichtéenne, le constat de l’état actuel du monde justifie l’affirmation
et l’exigence pour ce monde d’être autrement selon les principes
d’universalité et de rationalité. Or, pour Hegel, non seulement l’état
du monde ne justifie-t-il pas la nécessité d’un devoir-être, mais la
______________
* L’auteure est étudiante à la maîtrise en philosophie (Université de
Montréal).
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différence entre être et devoir-être doit elle-même être rejetée.
Certaines interprétations voient cette critique du normativisme
comme un motif du rejet de la normativité au profit de l’effectivi1.
Pourtant, les arguments traitant du devoir-être dans la Préface des
Principes diffèrent légèrement de cette interprétation. D’abord, ils
révèlent l’inapplicabili du devoir-être à une conception de l’État.
Ensuite, l’alternative qu’ils évoquent n’est pas seulement
l’effectivité ils pointent aussi vers une acception du concept de
nature.
1. La critique du devoir-être dans la Pface : trois arguments
Hegel traite abondamment du devoir-être : le terme allemand
Sollen est recensé dans presque tous les volumes du corpus hégélien
par l’index de H. Glockner et des développements significatifs lui
sont consacrés dans la Phénoménologie de l’esprit, la Science de la Logique et
l’Encyclopédie des sciences philosophiques, ainsi que dans les Principes2.
Chacun de ces développements s’inscrivant dans une œuvre done
et tirant sa fonction du projet de cette œuvre, il s’agira ici d’illustrer à
______________
1 Je ferai principalement référence à l’interprétation développée par J.-F.
Kervégan dans L’effectif et le rationnel (cf. p. 361-380, surtout p. 376-380), ainsi
que dans « Le problème de la fondation de l’éthique : Kant, Hegel » (cf.
p. 39-41). « […] la structure de base de la normativité l’opposition entre
Sein et Sollen est, à condition d’être entendue de manière dynamique et
processuelle, parfaitement compatible avec les réquisits du philosopher
hégélien. » Kervégan, J.-F. (2007), L’effectif et le rationnel : Hegel et l’esprit objectif,
p. 378. Voir aussi Kervégan, J.-F. (1990), « Le problème de la fondation de
l’éthique : Kant, Hegel », p. 33-55. Cette interprétation est partagée par
plusieurs interprètes récents, notamment E. Fleischmann et Ph. Soual, ainsi
que A. Peperzak dans une moindre mesure. Elles peuvent être ramenées au
texte de O. Marquard, « Hegel und das Sollen », qui soutient qu’il n’existe
pas de conception positive du devoir-être et que le Sollen n’est qu’un
contrexemple de la moralité, ce contrexemple n’ayant lui-même pour rôle
que de montrer la nécessi de l’identité de l’effectivi et du rationnel
(Marquard, O. « Hegel und das Sollen », p. 103-119).
2 J’utiliserai au cours du texte les abbréviations suivantes pour renvoyer aux
œuvres de Hegel : la Phénoménologie pour la Phénoménologie de l’esprit, la Sc. Log.
pour la Science de la logique, l’Encyclopédie pour l’Encyclopédie des sciences
philosophiques et les Principes pour les Principes de la philosophie du droit.
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la fois l’importance et la difficulté de tenir compte du lien entre les
parties du système hégélien en ne tentant pas une synthèse de la
totalité de ces développements. Aussi, il est préférable de commencer
par psenter les trois arguments concernant explicitement le devoir-
être qu’on trouve dans la Préface des Principes.
Texte court et dense, décrivant le projet d’une philosophie du
droit, la Préface est l’occasion pour Hegel d’émettre plusieurs thèses
sur les relations entre la pensée philosophique et la réalité politique
empirique : parmi ces thèses figure une critique du devoir-être moral.
Ces thèses sont habituellement ordonnées par les interprètes selon
leur rapport à la formule qui figure au milieu de la Préface : « ce qui
est effectif est rationnel, ce qui est rationnel est effectif3 ». Sans
remettre en question l’importance de cette formule, il est nécessaire
de la distinguer de la critique du devoir-être dont le propos n’est pas,
comme il sera suggéré, relié exclusivement à l’effectivité. Hegel rejette
la notion d’un devoir-être moral à l’aide de trois arguments qui
portent sur la finition de l’État et la méthode de pensée appropriée
pour obtenir cette finition. Premièrement, la tâche de la pensée
n’est pas de présenter une alternative à l’État en place ; ainsi, il ne
revient pas à la philosophie de « construire » ce que doit être l’État,
mais plutôt d’enseigner comment l’État tel qu’il existe présentement
doit être connu.
Ainsi donc, ce traité, en tant qu’il contient la science de
l’Etat, ne doit être rien d’autre que la tentative de
______________
3 R. Stern propose dans « Hegel’s Doppelsatz : A Neutral Reading » de voir
dans cette formule l’adoption d’une méthodologie plutôt qu’un résumé de
l’entreprise normative (ou anormative) menée par Hegel dans les Principes.
« On my account, then, the Doppelsatz should no longer be seen as a
summary of the political conclusions of the Philosophy of Right, but rather as a
comment on the rationalistic spirit in which it is written », lequel aurait pour
but de préférer une compréhension de l’éthique basée sur le concept plutôt
que sur le sentiment et l’intuition. Cette lecture rapproche l’éthique
hégélienne de la critique de Fries et l’éloigne de la critique de Kant, mais
semble juste dans la mesure dans la Préface, par exemple, ce sont bien
des méthodes d’étude de l’État qui sont l’objet du texte et non un système
philosophique entier. Cf. Stern, R. (2012), « Hegel’s Doppelsatz : A Neutral
Reading », p. 114.
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conceptualiser et d’exposer l’Etat comme quelque chose de rationnel
au-dedans de soi. En tant qu’écrit philosophique, il faut quil
soit au plus haut point éloigné de devoir construire un Etat
tel qu’il doit être ; l’enseignement qui peut sider en lui ne
peut tendre à enseigner à l’Etat comment il doit être, mais
plutôt comment cet Etat, lunivers éthique, doit être connu4.
Deuxièmement, concevoir l’État selon le devoir-être laisse croire
que la pensée a une fonction prospective, c’est-à-dire qu’elle peut se
tourner vers l’avenir et anticiper les veloppements de la structure
politique. Or, la pensée, avance Hegel, est toujours une
rétrospection : elle ne précède pas ce qui existe ellement et
présentement, mais elle le suit.
Pour dire encore un mot de l’enseignement qui dit comme le
monde doit être, la philosophie, de toute façon, vient
toujours trop tard pour cela. En tant que pensée du monde,
elle n’apparaît dans le temps qu’après que l’effectivité a
ache son procès de culture et est venue à bout d’elle-
même. […] Quand la philosophie peint gris sur gris, alors
une figure de la vie est devenue vieille et, avec du gris sur
gris, elle ne se laisse pas rajeunir, mais seulement connaître5
[…].
Troisièmement, proposer une théorie d’un nouvel État implique
pour la pensée de trouver la raison de l’objet en dehors de celui-ci :
dans le cas de la nature, le vrai est immanent à l’objet d’étude car la
loi naturelle n’est pas ailleurs que dans la nature, mais dans le cas de
l’éthique, le vrai est à l’extérieur de l’objet étudié, comme si le monde
politique était livré à l’arbitraire.
Au sujet de la nature, on concède que la philosophie a à la
connaître telle qu’elle est, que la pierre philosophale se trouve
cachée quelque part, mais dans la nature elle-même, que celle-ci
est rationnelle au-dedans de soi, et que le savoir a à explorer et
à saisir sur le mode conceptuel cette raison effective qui est
présente en elle, à explorer et à saisir non pas les
______________
4 Hegel, G. W. F. (2003), Principes de la philosophie du droit, p. 105.
5 Ibid., p. 107-108.
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configurations et contingences qui se montrent à la
surface, mais au contraire son harmonie éternelle, en tant
qu’elle est sa loi immanente et son essence. En revanche, le
monde éthique, l’Etat, savoir] elle, la raison, telle qu’elle
s’effectue dans l’élément de la conscience de soi, ne doit
pas jouir du bonheur que la raison s’affirme et demeure en
lui, elle qui, en fait, a conquis force et pouvoir dans cet
élément. L’univers de l’esprit doit être plutôt livré au
hasard et à l’arbitre, il doit être abandonde Dieu [ ;] de la
sorte, d’après cet athéisme du monde éthique, le vrai se
trouverait en dehors de lui et en me temps, parce qu’il
doit cependant y avoir aussi de la raison en lui, le vrai n’y
serait qu’un problème. Or c’est en cela que résiderait la
justification, et même l’obligation pour toute pensée de
prendre aussi son envol6 […].
On voit plus clairement l’objet que Hegel critique dans la
conception ordinaire du devoir-être. Le premier argument affirme
que le devoir-être n’est pas une caractéristique de l’État lui-même,
mais bien de la manière de le connaître. Il n’existe pas d’État selon le
devoir-être opposé à l’État qui est, mais seulement un État qui est et
qu’il faut connaître par la pensée. Hegel traite donc la notion de
devoir-être comme une notion épistémologique et la détache de son
application au monde éthique, cela parce que la pensée ne peut
connaître ce qui doit être. Le second argument explicite ce traitement
épistémologique en soutenant que le devoir-être ne peut contredire le
caractère rétrospectif de la pensée. On trouve ensuite, dans le
troisième argument, l’alternative proposée à la pensée normative de
l’éthique. L’argument porte sur le type d’étude dont l’État est l’objet
d’un point de vue philosophique. Il montre que l’étude philosophique
de l’État ne doit pas prendre pour thode le devoir-être, mais plutôt
adopter la me méthode que l’étude de la nature, cest-à-dire traiter
son objet comme ce qui contient sa propre raison et sa propre loi
(comme « ce qui est rationnel au-dedans de soi »).
Sur cette base, la section suivante traitera d’abord de la façon dont
la conception gélienne du devoir-être se manifeste dans la Sc. Log.,
______________
6 Hegel, G. W. F. (2003), Principes de la philosophie du droit, p. 95.
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