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La plaine de Bagan concentre plus de 2000 temples et
pagodes sur un territoire d’à peine 42 kilomètres carrés.
On s’y promène à pied, à vélo… ou en ballon.
PHILIPPE BERKENBAUM
VOYAGE
LE SOURIRE
DU BOUDDHA
Birmanie
PAR PHILIPPE BERKENBAUM
Trois ans après le retrait partiel de la junte militaire,
le «pays des pagodes d’or» s’éveille au tourisme. Pour dévoiler les mystères
d’un ancien royaume millénaire, longtemps replié sur lui-même,
où règne pourtant une grande sérénité.
La voie du nirvana?
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Le soleil n’est pas encore levé
lorsqu’on embarque sur l’une
de ces pirogues à moteur
deux temps si caractéristiques
et pétaradantes du lac Inle.
On croise dans le noir adouci par la lune,
furtives, d’autres pirogues qu’on sait
chargées de villageois et de moines
bouddhistes. Sur cette vaste étendue d’eau
peu profonde de 200 kilomètres carrés,
l’ethnie locale des Intha (les bien nommés
« Fils du Lac ») habite une quarantaine de
villages sur pilotis, entre lesquels ils culti-
vent de véritables champs flottants selon
une technique ancestrale. Ils sont surtout
connus pour leur autre spécialité unique
au monde : l’art de la pêche à la verticale,
debout à l’avant d’une frêle pirogue à
fond plat dont ils manœuvrent la rame à
la jambe. Comme s’ils dansaient sur l’eau.
Cet équilibre précaire leur laisse les mains
libres pour manipuler soit un filet, soit
une impressionnante nasse en bambou
qu’ils plongent sur le premier gros poisson
venu, repéré à travers l’eau translucide.
A l’intérieur de la nasse, un filet coulis-
sant piège la carpe et le tour est joué.
L’aube les surprend en pleine action. Les
premiers rayons du soleil colorent le ciel
et la brume matinale d’un rose orangé de
plus en plus soutenu, dessinant avec les
collines environnantes un décor dont on
n’aurait osé rêver. Celui d’un ballet dont
nous sommes les spectateurs comblés,
aux premières loges. Point d’orgue du fes-
tival d’images fortes auquel notre petit
groupe de photographes amateurs assiste
médusé depuis son arrivée en Birmanie –
pardon, au Myanmar. Tel est l’argument
de cette balade aux pays des pagodes d’or
conçue par Aguila Voyages Photo, une
agence spécialisée dans les escapades à
thème pour amoureux de l’instantané
(lire l’encadré). Un stage grandeur nature
animé par un photographe professionnel,
à la fois conseiller technique et fin
connaisseur du pays, capable d’adapter en
permanence l’itinéraire en fonction de la
météo ou d’événements inattendus, pour
optimiser la moisson d’images des parti-
cipants. Des passionnés de tous niveaux,
débutants ou chevronnés. Il y a du cliché
pour tout le monde.
«AU NOMBRE
DES MERVEILLES...»
Cliché n°1 : Yangon, l’ancienne Rangoon
et ex-capitale – depuis que les généraux
ont bâti leur ville retranchée de Naypyi-
daw, plus au nord au milieu de nulle part.
Cette jungle urbaine si bien décrite par
Loti, Kessel, Orwell ou Cocteau conserve
au bord du fleuve homonyme quelques
vestiges bien décrépits de l’époque colo-
niale britannique. Et son âme. Seul le
légendaire Strand Hotel a retrouvé son
lustre victorien d’antan. Mais les écri-
vains voyageurs y ont cédé la place à de
(très) riches touristes peu enclins à s’attar-
der dans le grouillant magma humain des
ruelles environnantes. Il faut s’enfoncer
dans ces quartiers où se mêlent les popu-
lations birmanes, chinoises et indiennes,
dans une joyeuse frénésie commerçante
qui envahit jusqu’aux trottoirs et où
VOYAGE
Sur le lac Inle, les pêcheurs Intha rament
à la jambe, debout à la proue de leur pirogue.
Les sept terrasses concentriques de la pagode
Hsinbyume à Mingun, près de Mandalay.
L
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toutes les ethnies de cette partie de l’Asie
sont peu ou prou représentées. Sans parler
des religions : au bouddhisme omnipré-
sent, répondent quelques jolies églises et
surtout des mosquées, d’où retentit pério-
diquement la plainte du muezzin. L’islam
gagne lentement du terrain, même si les
minorités musulmanes du nord sont tou-
jours opprimées. Quantité de portraits
expressifs garantie à chaque pas, les joues
des femmes couvertes de ce thanakha
jaune qui leur tient lieu de maquillage et
de protection. En Birmanie, les gens sou-
rient aux photographes. Ils vous sourient
d’ailleurs tout le temps.
Ce qui frappe à Yangon, c’est l’or de ses
pagodes. « Au nombre des merveilles
qu’en passant sur la Terre, il faut avoir
vues », écrit Pierre Loti. Elles sont par-
tout. Celle de Sule, anachroniquement
plantée au milieu d’un rond-point dans
le quartier colonial, est l’une des plus
anciennes et intimistes du pays.
Chauzkhtakyi abrite le plus grand boud-
dha couché – plus de 70 mètres de lon-
gueur. Botataung cacherait au cœur de
son stupa creux une mèche des cheveux
du premier Bouddha... Mais c’est évidem-
ment Shwedagon qui concentre toutes les
attentions. Cette pagode géante, dont le
stupa laqué à la feuille d’or domine la
ville de ses 98 mètres, est de loin le lieu le
plus sacré du bouddhisme birman. De
près aussi ! Tout comme le spectacle, la
foule est permanente. Dans ce pays boud-
dhiste à près de 90%, où chaque famille
compte au moins un moine ou une bon-
zesse dans ses rangs et où chaque enfant
devient novice entre 5 et 15 ans pour une
période plus ou moins longue, Shweda-
gon est un lieu de pèlerinage, de ferveur
et de recueillement incontournable pour
tout Birman qui se respecte. Il faut y venir
dès l’aube pour se mêler à la multitude
d’hommes, de femmes et d’enfants en
bure rouge, en robe rose ou en longyi (le
sarong mixte traditionnel) qui envahit
chaque pagode, chaque temple, chaque
salle de prière ou autel pour s’attirer les
bonnes grâces du dieu vivant en couvrant
ses effigies d’offrandes, en les arrosant
pour les rafraîchir ou en méditant. Dans
une atmosphère familiale et décontractée,
où l’or des stupas et les visages changent
de couleur au gré de l’évolution du soleil.
Ambiance comparable le soir, quand la
lumière décline et que s’allume l’éclairage
artificiel. Il y a seulement plus de touristes.
ASSIS SUR LE REBORD
DU TEMPLE
Cliché n°2 : au pays des pagodes, la seule
plaine de Bagan (ou Pagan) en concentre
des milliers sur 40 kilomètres carrés à
peine. Après Shwedagon, c’est l’image la
plus connue du Myanmar. L’antique cité
des rois, longtemps capitale du
Dans les allées de la pagode Shwedagon à Yangon,
de loin le lieu le plus sacré du bouddhisme birman.
PHOTOS: PHILIPPE BERKENBAUM
Entre ces vestiges d’un royaume disparu,
des bergers promènent leurs troupeaux.
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royaume après son unification il y a mille
ans. Nul ne sait combien de temples
furent bâtis ici à l’époque, en un peu plus
de trois siècles. Il en reste 2200 et des
poussières, qui constellent le paysage bor-
dant le fleuve Irrawaddy. De toutes les
tailles, formes et couleurs, selon l’heure
où l’on s’y promène. Un spectacle unique
qui ne manque pas d’attirer les visiteurs
du monde entier, mais aussi les autoch-
tones, en nombre et en famille. Ces trois
dernières années, le tourisme en Birmanie
a doublé chaque année pour frôler le
million de personnes en 2013. Heureuse-
ment, la plaine est assez grande pour évi-
ter la bousculade. Pour le moment. En
revanche, l’infrastructure hôtelière,
concentrée dans les villages en bordure de
la zone des pagodes, a du mal à suivre le
rythme. Comme partout ailleurs dans le
pays.
On ne se lasse pas de se promener à tra-
vers ce paysage hors du temps. A pied, à
vélo ou même en scooter électrique, qui
se louent facilement dans les environs.
Certains tenteront l’expérience en ballon,
VOYAGE
un must. Mais le nec plus ultra consiste
tout simplement à grimper au sommet
d’un des innombrables temples pour se
poser sur un rebord de briques millé-
naires et admirer le panorama. De préfé-
rence au lever ou au coucher du soleil.
Ou les deux. On change de temple pour
découvrir un autre point de vue et on en
redemande. Entre tous ces vestiges d’un
royaume disparu, des bergers promènent
leurs troupeaux, des paysans cultivent
leurs champs et des lambeaux de brume
rendent l’atmosphère surnaturelle.
DES BURES COULEUR RUBIS
Cliché n°3 : chacun garde en mémoire les
images fortes de la révolte des moines qui
a conduit la junte militaire à desserrer son
impitoyable étreinte, à libérer la vénérée
dissidente Aung San Suu Kyi et à tolérer
un embryon de débat politique. Si les
moines en bure rouge et les nonnes en
habit rose sont partout dans le pays,
Mandalay est leur capitale, avec ses 150
monastères et ses innombrables lieux de
culte. C’est là qu’est née la contestation.
Les bonzes ont retrouvé leur sérénité cou-
tumière et déambulent paisiblement dans
les rues et les marchés animés pour
demander l’aumône, visiter leurs proches,
poser pour les touristes ou... jouer avec
leur smartphone. N’avoir le droit de rien
posséder ne les empêche pas de céder aux
sirènes de la modernité, même s’ils man-
gent et dorment à même le sol dans leurs
austères retraites. Comme au monastère
Shwe Nandaw. Ce bâtiment tout en bois,
avec ses fenêtres ovales et ses toits sculp-
tés, appartenait il y a deux siècles au palais
royal, quand Mandalay était encore une
capitale. Il orne aujourd’hui les couver-
tures de nombreux guides de voyage.
Plantée aussi au bord de l’Irrawaddy, la
deuxième ville du pays offre un visage
plus alangui que Yangon, même si la cir-
culation y est aussi bouchée, à l’allure où
les Birmans s’équipent de véhicules à
moteur, à deux ou quatre roues. C’est un
centre artisanal important, où les métiers
sont regroupés par quartiers selon leurs
spécialités : sculpteurs de bois, de marbre
ou de bronze, laqueurs, tisserands, van-
niers, potiers... Leurs ateliers valent le
détour, fût-ce pour l’image. Ceux des
Les Intha habitent une quarantaine de villages
sur pilotis plantés à la surface du lac Inle.
Bâti en teck il y a deux cents ans, le pont U Bein à Mandalay accueille
tous les genres de promeneurs sur ses passerelles branlantes.
PHOTOS: PHILIPPE BERKENBAUM
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