INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. LE POINT I.N.N PROMOUVOIR LES CONNAISSANCES ET LA PRATIQUE NUTRITIONNELLES AU Canada. Une vue d’ensemble de deux désordres alimentaires : L’anorexie Nerveuse et la Boulimie Nerveuse. Introduction : Les désordres alimentaires que sont l’anorexie nerveuse et la boulimie nerveuse constituent des conditions graves ayant une étiologie complexe. L’anorexie nerveuse (AN) est caractérisée par la recherche éperdue de la minceur. Elle se manifeste généralement par des régimes très sévères et d’autres comportements obsessionnels comme le conditionnement physique à outrance, l’abus de laxatifs ou de vomissements dans le but de provoquer des pertes de poids importantes, souvent jusqu'à l’émaciation. Le désir de maigrir s’accompagne d’une insatisfaction à l’endroit de son corps et de problèmes de perception qui provoquent une distorsions dans la façon dont les individus atteints d’anorexie perçoivent les formes de leur corps ou des parties de leur corps sont beaucoup plus gros qu’ils ne le sont en réalité. Les critères diagnostiques de l’AN comprennent, outre mentionnés ci-dessus, la volonté d’atteindre un poids qui représente 85p. cent du poids souhaitable ou l’incapacité d’atteindre ce poids souhaitable et, chez les femmes, une période d’aménorrhée au cours de la perte de poids. La boulimie nerveuse (BN) caractérisée par des préoccupations identiques quant au poids et aux formes du corps, qui se manifestent par une volonté de maigrir et une phobie de grossir. Le symptôme le plus évident de la BN est une hyperphagie compulsive périodique qui se traduit par la consommation de grandes quantités d’aliments sur de courtes périodes de temps avec l’impression de perdre le contrôle de soi-même. Les aliments que les malades consomment dans ces crises de voracité sont généralement des produits qui leur sont interdits dans leur régime. Ces crises de voracité sont généralement suivies d’exercices intenses, d’un régime sévère ou de purges par vomissement ou par l’utilisation de laxatifs et de diurétiques. Les personnes atteintes de BN peuvent avoir un poids normal, être obèses ou souffrir également d’AN. INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. Identifier les maladies : Outre les critères formels de diagnostic, on peut observer certains signes précoces d’AN ou de BN (voir tableau 1). Bien que les régimes soient monnaie courante chez les adolescents et les jeunes adultes, un examen plus approfondi du comportement de la personne est indiqué quand le régime provoque une préoccupation croissante à l’endroit du poids corporel et qu’il s’accompagne d’un retrait de la société. Suivre un régime au point de souffrir d’aménorrhée chez les femmes n’est pas normal et exige un examen en profondeur. Tableau #1 Signes précoces d’anorexie et de boulimie nerveuse. Modification des objectifs de poids Régime qui conduit à des critiques croissantes de son corps Régime qui conduit à un isolement ou à un retrait social Cessation des menstruations Cacher de la nourriture, vomir, abuser de laxatifs, de diurétiques et de pilules anorexigènes . Le diagnostique de l’AN et de la BN peut être confondu avec celui d’une variété d’autres troubles émotifs et physiques. Les personnes souffrant de dépression peuvent également subir une perte de poids mais cette condition ne s’accompagne pas d’une véritable anorexie ou d’une perte d’appétit. Les personnes déprimées ne souffrent pas de distorsion de l’image de leur corps, ne cherchent pas de façon éperdue à maigrir ou n’ont pas cette phobie de l’embonpoint qui caractérisent les personnes atteintes d’AN et de BN. Les personnes souffrant de schizophrénie peuvent éviter certains aliments, croire que certains de ces derniers sont empoisonnés ou avoir des idées fausses à propos de leur corps. Dans le cas de la schizophrénie à la différence de l’AN, ces caractéristiques sont généralement associées à un système bizarre et passablement étendu d’idées fausses, les patients n’ont pas l’obsession de maigrir. Certaines personnes peuvent éviter de manger certains aliments ou souffrir de vomissements à la suite d’un événement traumatique particulier, comme ceux qui découlent des phobies de s’étouffer ou de vomissements psychogènes. Ces patients sont véritablement perturbés de ne pas pouvoir manger et ainsi de perdre du poids. Dans le cas de vomissements psychogènes, les patients reconnaissent parfaitement que le vomissement n’est pas un moyen de contrôler leur poids ou leur silhouette. INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. Épidémiologie : L’anorexie survient chez environ un pour cent des femmes âgées de 15 à 40 ans tandis que la boulimie survient chez environ deux à trois pour cent des femmes du même groupe d’âge. On estime qu’il y a environ 60 000 personnes au Canada qui souffrent de l’un ou de l’autre de ces désordres. Bien que ces désordres se produisent aussi chez les hommes, ils sont moins fréquents : peut-être un cas d’AN chez les hommes pour 20 cas chez les femmes et un cas de BN chez les hommes pour 10 cas chez les femmes. La raison de cette différence de fréquence reliée au sexe est inconnue bien que l’on reconnaisse que les hommes tendent à être moins préoccupés par l’image de leur corps et sont moins susceptibles de suivre un régime que les femmes. Outre les cas de syndromes complets d’AN et de BN, ou estime qu’environ cinq pour cent des femmes souffrent de manifestations subcliniques de l’un ou l’autre syndrome. Par subclinique, on entend ici les cas de personnes qui exhibent les comportements et les troubles psychologiques associés aux maladies mais à des niveaux légèrement inférieurs à ceux qui conduiraient à un diagnostic formel de la maladie (par exemple, quelqu’un qui aurait des crises de boulimie régulièrement une fois par semaine). De même, presque la moitié des femmes atteintes de BN ont des antécédents d’AN et environ la moitié des femmes atteintes d’AN souffrent également de BN. Bien que ces maladies se produisent généralement chez les personnes de 18 à 25 ans, elles débutent souvent au début de l’adolescence. Une proportion importante de patients subisse aussi leur première crise d’AN et de BN à une période déjà avancée de leur vie adulte. L’identification à certaines classes sociales de l’AN et de la BN, considérées initialement comme des désordres des classes moyennes et supérieures a disparu au cours des 15 dernières années. En outre, en raison de l’opprobre qui accompagnent ces maladies et de leur évolution chronique, de nombreux patients ne vont chercher de l’aide médicale que bien des années après que la maladie n’ait fait son apparition. Aussi bien que l’AN que la BN ont tendance à suivre un cheminement chronique, fréquemment associé à une moralité et une morbidité significative. Des études de suivi suggèrent que le taux de mortalité approche les 15 pour cent sur 30 ans. Dans le groupe d’AN la mortalité est souvent reliée à des complications dues à la débilité chronique qu est un effet secondaire de l’inanition. La plupart des décès chez les patients de BN sont reliés à des dérangements métaboliques dus aux purges, notamment à de faibles niveaux de potassium dans le sang. Des suicides se produisent chez les malades chroniques des deux groupes à la suite d’une dépression concomitante, de décrochage social et de morbidité générale associée aux désordres. La morbidité chez les personnes non traitées est importante, et s’accompagnent d’une diminution de la fonction sociale, professionnelles et interpersonnelle. INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. Comprendre les maladies et leurs effets. Un modèle ou figure de multiples facteurs de risque est utile pour comprendre le développement de ces maladies. On trouvera au tableau 2 les facteurs de risque qui peuvent provoquer un désordre alimentaire. TABLEAU 2 FACTEURS DE RISQUE SUSCEPTIBLES DE PROVOQUER DES DÉRÈGLEMENTS ALIMENTAIRES. INDIVIDUELS : Préoccupations liées à l’autonomie, à l’identité et à la séparation. Anomalies de perception. Préoccupations relatives au poids. Problèmes cognitifs. Maladies chroniques (diabètes, insulinodépendance). FAMILIAUX : Prédispositions biologiques héréditaires. Antécédents familiaux de désordres alimentaires. Antécédents familiaux d’alcoolisme, de maladie affective. Antécédents familiaux d’obésité (boulimie). Amplification des facteurs culturels. Interactions parents-enfants conduisant à des problèmes d’autonomie et de séparation. CULTURELS : Pression en vue de maigrir. Pression en vue de réussir. La décision initial de suivre un régime ou de se priver de manger peut être vue comme une réponse à des problèmes psychologiques qui se traduisent souvent par une faible estime de soi, un sentiment d’impuissance ou d’inefficacité, chez des personnes qui ont une prédisposition à la maladie en raison de facteurs de risque spécifiques. Le régime donne initialement au INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. sujet le sentiment de maîtrise et de contrôle de soi, offrant un répit temporaire face aux problèmes psychologiques initiaux. Cependant, comme les problèmes sous-jacents n’ont pas été résolus et comme l’inanition cause de nouvelles difficultés, l’individu se sent contraint de continuer à suivre un régime. Ce cycle peut devenir plus vicieux que jamais, le patient devenant prisonnier des symptômes d’inanition ou d’un cycle continu où alternent régime-boulimie-purge. On retrouvera au tableau 3 la liste des effets physiques et psychologiques communs de l’inanition. La plupart des manifestations physiques et des comportements liés à l’AN sont des effets secondaires de l’inanition et sont réversibles avec un retour à des pratiques alimentaires saines. La distorsion de l’image corporelle et la volonté de maigrir à tout prix qui caractérisent l’AN, ne sont pas des conséquences de l’inanition mais sont plutôt des signes psychologiques importants de la maladie. Dans le cas de la BN, il est important de noter que de nombreux patients avaient un poids supérieur au poids souhaitable avant le début de la maladie, aussi, même si leur poids se situe dans la moyenne par rapport à la population, ceci peut représenter un état d’inanition physiologique. Chez ces individus la crise boulimie est d’abord une réaction à une ingestion inadéquate de calories. Des purges suivent pour essayer d’éliminer les calories indésirables, perpétuant l’état d’inanition. Le régime sévère qui suit la crise de boulimie et la purge accentue d’avantage le processus. Ainsi s’instaure un cycle vicieux régime-boulimie-purge qui se répète continuellement. Avec le temps, divers facteurs incitatifs dans l’environnement ou sur le plan des émotions peuvent également stimuler un comportement boulimique. TABLEAU 3 SIGNES ET SYMPTOMES COMMUNS D’INANITION. PHYSIQUE : Peau sèche. Cheveux lanugos. Ongles fragiles. Pigmentation par les carotènes. Bradycardie. Hypotension orthostatique. Gonflement. Constipation. Satiété précoce. Aménorrhée. Hypoglycémie. Hypokaliémie. Hypothermie. INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. Retard de la croissance. Fractures liées à l’ostéoporose PSYCHOCOLOGIQUE : Préoccupations alimentaires. Sentiments dépressifs. Irritation. Réduction de la libido. Sommeil interrompu. Une démarche thérapeutique par étape s’est avérée valable pour certains patients atteints de BN. Une minorité importante de patients boulimiques réagissent bien à une intervention minimale, comme quelques séances en groupes de thérapie psycho-éducative où l’on présente des informations de base sur la maladie, l’organisation de consultations avec des diététistesnutritionnistes, et un encouragement moral à faire face à tout changement de poids susceptible de se produire. Les patients qui ne réagissent pas à une telle démarche peuvent bénéficier d’une thérapie de groupe mettant l’accent sur les comportements alimentaires anormaux ou d’un traitement psycho-thérapeutique individuel de nature multidimensionnelle. Les patients qui continuent à manifester des symptômes peuvent être dirigés vers des traitements plus intensifs, soit comme patients externes dans un hôpital ou vers des services accueillant des patients internes. Les patients les plus réfractaires peuvent devoir être confiés à un centre spécialisé dans le traitement de ces maladies. Des médicaments peuvent être utiles dans certaines circonstances particulières. Certains patients atteints de BN réagiront bien à des médicaments antidépressifs aux doses thérapeutiques habituelles qui amèneront une réduction marquée des crises de boulimie. Mais il n’existe pas pour autant de véritable médicaments « anti-anorexique ». Conclusions : L’avancement des connaissances sur l’AN et la BN accompli par les recherches des 15 dernières années permet de dégager un certain nombre de conclusions. Premièrement, la fréquence de ces désordres augmente, d’où un nombre significatif de cas de morbidité et de moralité. Ils représentent un danger significatif en terme de santé publique parmi des sous-groupes particuliers de la population. Parmi ces groupes à risque élevé, on retrouve les athlètes, les danseurs, les modèles et autres individus qui se préoccupent INSTITUT NATIONAL DE LA NUTRITION. JANVIER 1989 ÉTUDE NO 8. indûment de leur poids et de leur silhouette. Deuxièmement, il existe des stratégies de traitement efficaces pour ces maladies, pour autant qu’on veille autant à la dimension physique de l’inanition qu’aux problèmes psychologiques. De nombreuses questions sur ces maladies restent sans réponse. Le rôle précis des médicaments psychotropes dans le traitement n’est pas évident. On examine encore activement le sens des nombreuses anomalies physiologiques qui les caractérisent. Et on commence seulement à étudier la contribution des facteurs génétiques, familiaux et environnementaux à l’étiologie de ces maladies. Bien que l’on dispose de certaines informations sur l’évolution et les conséquences à long terme de ces maladies, il n’en faut pas moins approfondir cet examen. La recherche sur ces sujets pourrait mener à l’identification de variables permettant de prédire à la fois quelles sont les personnes qui courent le risque de présenter un désordre alimentaire et quel serait le résultat du traitement. En attendant, le rôle du professionnel de la santé face à l’AN et à la BN est double : identifier les personnes affectées et les diriger vers des ressources de traitements appropriées. Les professionnels de la santé, les éducateurs et les médias ont un rôle important dans l’éducation du public. En plus de sensibiliser la population à l’existence de l’AN et de la BN, l’éducation du public doit porter sur les risques des régimes, mettant l’accent sur le concept d’une gamme de poids compatibles avec la santé et soulignant le caractère illusoire, voire, mythique du concept d’un poids « idéal » unique.