Fabien Fenouillet
Laboratoire Théodile
Université Lille III
Alain Lieury
Laboratoire de Psychologie expérimentale
Université Rennes 2
Mécanismes cognitifs, motivation et mémoire
Introduction
Il n’est pas rare que certains apprenants soient qualifiés par leurs enseignants
d’apprenants « motivés » et que, parallèlement, d’autres soient étiquetés comme « démotivés »,
« apathiques » etc... Que doit-on entendre par « apprenant motivé » ? Y aurait-il une relation
entre motivation et intelligence, motivation et mémoire ? Le sujet est vaste aussi cet article est-il
beaucoup plus modeste puisqu’il va simplement tenter de répondre, à l’aide des données fournies
par la psychologie cognitive, à une seule question : La motivation a-t-elle une action sur la
mémoire ?
Cette simple question est complexe dans la mesure où d’une part le terme de motivation
est largement polysémique et d’autre part où il existe de nombreux mécanismes de la mémoire. Il
semble donc indispensable, dans un premier temps, de clarifier chacun des deux termes
séparément afin de mieux mettre en lumière, dans un deuxième temps, l’impact de la motivation
sur la mémoire.
1. Définition de la motivation
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Fenouillet, F., Lieury, A. (2002) «Mécanismes cognitifs, motivation et mémoire», in Montagner, H. (ed.)
L’enfant : la vraie question de l¹école, Odile Jacob. 2
Quand peut-on dire qu’un apprenant est motivé ? Selon Vallerand et Thill (1993) « le
concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces
internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du
comportement » (p 18). Si nous utilisons cette définition pour répondre à notre question il est
possible de dire qu’un apprenant distrait qui se met à écouter ce que dit l’enseignant est motivé
dans la mesure où il déclenche un comportement. De même, un apprenant motivé qui planifie
une stratégie d’apprentissage dirige son comportement en fonction de cet apprentissage.
L’apprenant qui produit à un moment donné un effort important, ou intense, pour apprendre un
cours montre encore une fois qu’il est motivé. Enfin l’apprenant qui produit cet effort
d’apprentissage régulièrement se montre persistant et donc motivé. Bien sûr, il ne s’agit là que
d’une définition possible du concept de motivation, chacune des nombreuses théories
motivationnelles pouvant proposer une définition plus opératoire ou du moins plus spécifique en
fonction des postulats théoriques.
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Fenouillet, F., Lieury, A. (2002) «Mécanismes cognitifs, motivation et mémoire», in Montagner, H. (ed.)
L’enfant : la vraie question de l¹école, Odile Jacob. 3
2. Approche cognitive de la mémoire
Dans le cadre de l’approche cognitive, initiée par la perspective du traitement de
l’information, la mémoire est conçue comme un ensemble de modules , fabriquant et stockant
des informations selon des modes variés, les codes. Des mécanismes spécfifiques assurent
l’organisation des informations dans les principales mémoires tandis que d’autres assurent leur
récupération sous des formes plus ou moins élaborées allant d’une simple reconnaissance des
rappels très structurés, plan de cours, schéma… (Lieury, 1992).
L'homme de la rue ainsi que certains pédagogues de formation philosophique plutôt que
scientifique sont convaincus que les élèves sont caractérisés par des mémoires sensorielles,
visuelle et auditive ; ainsi beaucoup de personnes disent qu’ils apprennent mieux en lisant qu’en
écoutant (ce qui est vrai mais non dû à la supériorité d’une mémoire visuelle). Les expériences
de laboratoire, réalisées souvent pour des problèmes de télécommunications (ex. le minitel),
montrent que les mémoires sensorielles existent bien mais sont de courtes durées. Ainsi la
mémoire sensorielle visuelle dure environ un quart de seconde. De plus, une particularité
physiologique de notre œil fait que nous ne voyons avec une bonne acuité visuelle que dans un
petit angle de 2 à 4 degrés soit la taille d’un mot de quatre ou cinq lettres dans un livre. Autant
dire que nous sommes incapables de « photographier » la page d’un livre. De plus la
comparaison du rappel à court terme d’informations auditives à des informations visuelles (ex.
séquences de lettres ou mots), montre que le rappel à court terme auditif est un peu supérieur (de
20%) au rappel visuel. Au contraire, dans les mêmes expériences, lorsque le rappel se fait au
bout de dix secondes ou plus, on s'aperçoit que le mode de présentation, visuel ou auditif, ne crée
plus de différences à temps de présentation égal : les deux modes sont équivalents. La raison en
est que les informations visuelles ou auditives sont rapidement fusionnées dans un code
symbolique supérieur : la mémoire lexicale (du grec lexi=mot)(Lieury, 1997).
La mémoire peut ainsi être représentée comme une sorte de "gratte-ciel" où chaque
étage est un module qui construit les informations de manière plus élaborée et en garde la
mémoire (fig. 1). La mémoire lexicale stocke tous les fichiers mots, comme une grande
bibliothèque, mais seulement la carrosserie des mots. Le sens des mots, leur concept, est
stockée dans une autre mémoire, la mémoire sémantique (du grec sémios=signe). Les concepts
en mémoire sémantique sont classés soit par associations (abeille-miel) soit de façon
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Fenouillet, F., Lieury, A. (2002) «Mécanismes cognitifs, motivation et mémoire», in Montagner, H. (ed.)
L’enfant : la vraie question de l¹école, Odile Jacob. 4
relativement logique dans des catégories (mésange dans oiseau et oiseau dans animal). C’est la
raison pour laquelle apprendre sous forme d’un plan, comme on le fait à l’école, est très
efficace.
S'il existe un système (ou mémoire) lexical d'entrée, d'autres expériences indiquent qu'il
existe un autre système pour la sortie, à l'instar de l'imprimante pour l'ordinateur, c'est le
système vocal ou lexical de sortie qui permet la vocalisation. Ainsi, quand nous lisons ou
entendons des informations, elles sont vocalisées. Quand nous avons l'impression d'entendre
"auditivement" dans notre tête, c'est de notre propre parole qu'il s'agit ; ainsi, les mots sont re-
injectés dans notre mémoire lexicale. Ce va et vient ou boucle vocale (fig.1) sert donc de
mémoire auxiliaire (par exemple quand nous répétons un numéro de téléphone) et constitue un
des composants de la "mémoire de travail" dans la théorie du chercheur anglais, Alan
Baddeley. Cette mémoire sert en particulier à conserver des chiffres pendant un calcul mental.
Vocal
Vocal
Mémoire
Sémantique
Mémoire
Sémantique
Auditif
Auditif
Mémoire
Lexicale
Mémoire
Lexicale
Visuel
Visuel
Mémoire
Imagée
Mémoire
Imagée
Boucle
Verbale
Moteur
Moteur
Mémoire
Procédurale
Mémoire
Procédurale Mémoire
à
Court Terme
Figure 1: Les Modules de la mémoire (Lieury , 1997).
La mémoire sensorielle visuelle (ou iconique) est fugitive, mais elle sert d’entrée dans
d’autres mémoires spécialisées : la mémoire lexicale lorsque les informations visuelles
concernent des graphismes et une mémoire imagée lorsque les informations concernent les
choses, c’est à dire les objets, animaux, plantes. De nombreuses expériences ont ainsi démontré
que la mémoire imagée est extrêmement puissante et durable : une expérience américaine a
montré une reconnaissance de 90% après une semaine de 2500 photographies. Mais la mémoire
imagée n'est pas la mémoire "photographique" de la conception populaire, c'est de la synthèse
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Fenouillet, F., Lieury, A. (2002) «Mécanismes cognitifs, motivation et mémoire», in Montagner, H. (ed.)
L’enfant : la vraie question de l¹école, Odile Jacob. 5
d'image; c’est pourquoi nous avons, de bonne foi, l’impression de voir la page d’un manuel de
cours mais cette image n’est pas précise et nous serions incapables de citer un mot précis dans
un emplacement précis. La mémoire imagée et donc puissante mais les images, virtuelles, sont
des synthèses et non des représentations exactes comme des photographies.
Il existe aussi une mémoire procédurale qui permet d’apprendre les programmes moteurs
dans certaines activités, par exemple on se rend compte que pour l’informatique ou les jeux
vidéo, il faut s’exercer de façon motrice et les conseils n’aident pas vraiment...
Enfin il existe, comme dans l’ordinateur une mémoire vive, qui stocke à court terme des
informations pour les assembler et les recombiner, c’est la mémoire à court terme (ou mémoire
de travail, dont la boucle articulatoire,citée précédemment) ; certains chercheurs pensent que le
raisonnement est basé sur cette mémoire de travail.
3. Organisation et processus de récupération : l’exemple du schéma
La mémoire n’est pas composée seulement de modules qui fabriquent des représentations
mentales. Elle possède également des mécanismes dynamiques qui permettent d’organiser les
informations et de récupérer les informations stockées. S'inspirant d'un fonctionnement
informatique, l'adressage, des chercheurs ont imaginé qu'il fallait fournir des indices pour
retrouver des informations spécifiques dans les mémoires, ce sont les indices de récupération.
C’est par exemple le cas de la photo de l'album qui fera resurgir des souvenirs oubliés.
Les indices eux-mêmes peuvent être organisés entre eux, ce sont les plans de rappel (ou
plans de récupération), méthode connue depuis le XIXe sous le nom de procédés
mnémotechniques (Lieury, 1996). Par exemple, la phrase-clé "Me Voici Tout Mouillé, Je Suis
Un Nageur Pressé" est une organisation dont les indices sont les initiales des noms des planètes:
Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton. Le plan de récupération
le plus classique (et le plus efficace) est le classement hiérarchique, le célèbre plan de cours ou la
fiche de révision. Le schéma représente un autre plan de récupération très efficace mais basé sur
l’image. Ce n’est pas alors son aspect visuel qui est prédominant comme certains le croient -le
schéma est souvent stylisé, voir codé (par exemple, une carte routière)-, mais le fait qu’il permet
de présenter simultanément une organisation d’informations.
La mémoire est donc très variée dans ses structures et mécanismes. Sur quelles mémoires
agit donc la motivation ?
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