memo La Chine à court terme : perspectives de changements politiques après le 18e Congrès du Parti « Les limites de la résilience autoritaire en Chine » Paris, 7 décembre 2011 Groupe d’étude de l’Observatoire sur l’évolution politique et stratégique de la Chine Richard Baum, UCLA 71 boulevard Raspail 75006 Paris - France Tel : +33 1 75 43 63 20 Fax : +33 1 75 43 63 23 w w. c e n t r e a s i a . e u [email protected] siret 484236641.00029 En 1980 Deng a tenté un « pari risqué »1 : réussir un compromis entre une libéralisation économique et un contrôle politique fort (ce n’était pas le plan d’origine de Deng, mais l’agitation ouvrière généralisée et la situation polonaise l’ont obligé à repenser la situation). Toutefois, céder trop directement aux demandes populaires de « participation et de justice » aurait été perçu comme un signe de faiblesse politique. Le Parti devait rester intransigeant et « en contrôle total ». L’approche de Deng s’est avérée juste en 1986-1987, lorsque les rumeurs d’une réforme politique imminente ont encouragé les tenants de la démocratie à se manifester publiquement. A cette époque, la croissance économique était durable, ce qui permettait de juguler temporairement le mécontentement politique. Mais en 1989, les divergences politiques au sommet du pouvoir ont dynamisé la contestation. L’idée d’une « société forte contre un Etat faible » portée par les contestataires s’est heurtée à la volonté de « contrôle à tout prix » des dirigeants chinois. Après la répression de Tiananmen, l’idée forte des dirigeants chinois a été « d’acheter le mécontentement populaire avec des opportunités économiques ». Et il semble que cela ait fonctionné au delà de leurs espérances. Parallèlement, le développement économique a commencé à prendre une ampleur importante (1993-1997) et le Premier ministre de l’époque, Zhu Rongji a lancé une grande vague de réforme des industries d’Etat, de la fiscalité et de l’activité bancaire. 1 Les passages entre guillemets reprennent in extenso les formules de l’auteur. L’apothéose de ces réformes a été l’adhésion chinoise à l’OMC. Socialement, en dépit des manifestations du Falungong en 1998-1999, la situation politique était entièrement sous contrôle. Bien sûr, l’image donnée d’une économie au développement régulier et harmonieux s’est heurtée à certaines réalités : le chômage croissant des anciens employés des entreprises d’Etat, la précarisation des travailleurs migrants et les inégalités dans l’accès à l’emploi ont généré une agitation ouvrière largement répandue ; de même, la corruption massive dans la gestion des fonds de pension et caisses de prévoyance a commencé à être dénoncée. Mais l’économie a continué de croître, et, entre 2000 et 2004, un nombre considérable d’emplois ont été crées dans le secteur privé au sein des petites et moyennes entreprises grâce aux politiques de soutien de l’Etat. C’est à cette époque qu’a émergé un nouveau phénomène en Chine : la « connexion de masse ». Grâce à l’Internet, aux téléphones cellulaires, et aux nouvelles opportunités d’expression fournies par les sms, les blogs et les forums de discussion, la population pouvait pour la première fois court-circuiter la presse officielle pour s’informer. Le « réseau social » chinois était né. Alors qu’au tournant des années 2000, Internet constituait un outil surtout utilisé par les joueurs en réseau, il servit pour la première fois à cristalliser un ressentiment politique (nationaliste) en 2003, lors de l’incident de l’avion américain EP-3. Dans le même temps, les protestations de masses se multiplièrent en Chine passant de « 8 300 en 1993 à près de 87 000 en 2005 » et la convergence des deux phénomènes n’allait pas tarder à se réaliser. En 2003, le tandem Hu Jintao / Wen Jiabao entra en fonction. Sous la bannière du slogan de la « société harmonieuse », les promesses d’une meilleure redistribution des richesses et d’une société plus égalitaire (plus juste) firent florès. En 2004, lors du plenum annuel du Comité central du Parti, la « capacité du Parti à diriger » fut officiellement critiquée et les dirigeants insistèrent sur la nécessité politique d’intégrer de nouveaux mécanismes de consultation du peuple afin de restaurer sa confiance dans le Parti. Bien sûr, il ne s’agissait pas de libérer un tant soi peu la presse ou de favoriser l’éclosion de groupe d’intérêts indépendants du Parti, ni d’insérer des mécanismes électoraux locaux afin de sanctionner les dirigeants. Ces mécanismes devaient être insérés à la marge et graduellement (sites Web gouvernementaux, procédures d’appréciation relativement aseptisées, nouveaux procédés de management). Dans le même temps, l’évolution des conditions économiques, elle, contribuait à changer en profondeur le tissu social chinois : entre 2003 et 2007, la croissance annuelle de la Chine fut de 11% ; une classe moyenne commença à émerger tandis que le nombre de millionnaires et milliardaires chinois explosait littéralement. Les gouvernements locaux s’enrichissaient en vendant des terrains aux promoteurs, pendant que des millions de personnes étaient déplacées du fait de ces transactions. Les plans de développement urbains et les grands travaux publics furent mis en œuvre avec peu (ou pas) d’égards pour les populations locales directement touchées par ces initiatives. Entre 2006 et 2007 de nombreuses manifestations eurent lieu afin de protester contre les expropriations massives (Xiamen) et les conséquences de l’industrialisation sur l’environnement (Zhejiang). C’est à la même époque que des vidéos montrant ces protestations commencèrent à circuler sur des sites tels que Youtube. Celles-ci attirèrent immédiatement des commentaires et des prises de positions à travers le pays et, pour la première fois, des incidents locaux eurent des répercussions nationales (et un écho international). Les mobilisations filmées faisaient écho à des problèmes sociaux globaux en Chine (pollution des sols, arbitraire politique et répression) ce qui facilitait leur réception et les effets « viraux » de ces images. A l’approche des Jeux olympiques de Pékin en 2008, les grands travaux entrepris par l’Etat et les collectivités locales déclenchèrent une vague de protestation et de mobilisation sur Internet : le déplacement de plusieurs centaines d’habitants, le sort des ouvriers migrants et l’absence d’efforts politiques de l’Etat soulevèrent de fortes critiques (c’est à la même époque qu’eut lieu le scandale de la mélanine dans le lait infantile). La période étant absolument cruciale pour le pouvoir, l’immense majorité de ces « débats » furent étouffés grâce au pare-feu de la répression policière et de la presse d’Etat (« Dernier exemple en date, la collision des trains à grande vitesse à Wenzhou en juillet 2011 durant laquelle la première réaction du gouvernement fut d’interdire la présence de journalistes et des citoyens à proximité de la scène afin d’éviter la multiplication incontrôlée des images »). Mais quoi qu’ait entrepris l’Etat afin de dégager sa responsabilité et légitimer ses politiques, il a été incapable de maîtriser la rumeur et (surtout) sa propagation via les réseaux sociaux. Et dans le cas de la collision, l’importance de cette rumeur (et des accusations de corruption) l’a « obligé » à ordonner la mise en place d’une commission d’enquête. Les faits les plus anodins de l’arbitraire politique, du népotisme ou de la corruption sont relayés sur le Web avec une vitesse de propagation qui rend inopérants les dispositifs de contrôle traditionnels. Dernier exemple, en 2010, le fils d’un général de l’APL a tué un piéton dans un accident de la route au cours duquel il était ivre et avait fuit. Arrêté par a police, il s’est exclamé « poursuivez-moi si vous l’osez, mon père est Li Gang ». Embarrassé par l’incident, le gouvernement a fait de sa condamnation un exemple de sévérité. Alors qu’il y a encore quelques années ce type d’incident n’aurait eu que des conséquences locales, l’histoire s’est répandue à travers le pays et la phrase « mon père est Li Gang » est devenue le symbole d’un certain cynisme populaire. Pendant ce temps, le coefficient Gini2 n’a cessé de croitre en Chine (il y a aujourd’hui « 164 milliardaires chinois selon Forbes »), les incidents et les protestations sociales se multiplient (« augmentation de l’ordre de 20%, pour atteindre le 180 000 à travers le pays en 2010 selon un sociologue chinois »). Depuis le début de la crise financière en 2008, les dirigeants locaux et ceux des entreprises d’Etat ont détourné des milliards de dollars de prêts afin d’investir dans des bâtiments somptueux, des centre commerciaux et des « flottilles de voitures de luxe ». Face à ces tensions et ces disparités, le gouvernement chinois – toujours en « phase post-Tiananmen » – n’a cessé d’adopter une politique de pompier pyromane en « achetant » la résolution des contestations locales à coups de « sacs d’argents » (notamment dans le cadre de dédommagements de victimes) tout en maintenant le cap des tendances structurelles ; dans le même temps, il continue à prendre soin de museler tous les protestataires qui possèdent une capacité à agréger les contestations : Hu Jia, Chen Guangcheng, Liu Xiaobo et Ai Weiwei sont parmi le plus connus. C’est sur cet équilibre entre « achat » des mécontentements populaires et répressions des têtes de file de la protestation que repose toute la « résilience autoritaire du système ». Les premiers feux de la contestation sont éteints avant de dégénérer en incendies ; et les aspirations à un meilleur futur sont suspendues à la croissance à deux chiffres. Le maintien de cet équilibre a permis au gouvernement de ne pas initier de réforme politique plus profonde. Dans cette perspective, les dirigeants chinois parent au plus pressé et appliquent des emplâtres financiers (ou administratifs) sur des problèmes sociaux profonds et systémiques. Mais l’environnement social en Chine est actuellement marqué par l’émergence d’une « nouvelle conscience civique » très au fait des limites du système. Le ralentissement de la croissance économique chinoise (répercussion de la crise financière globale) risque de précariser l’équilibre de la résilience autoritaire. Au cours des prochaines années, la baisse de la croissance de 10% à 6%, voire à 5%, couplée 2 Mesure économique du degré d’inégalité de la distribution des revenus. 2 au risque d’inflation va miner l’équilibre politique en Chine. Les injections massives de capitaux comme stimuli financiers ne suffiront pas à satisfaire les revendications sociales et la perspective d’une (nouvelle) crise majeure n’est pas à exclure. Discussion La discussion s’oriente directement vers le 18ème Congrès de novembre 2011 et les conséquences du renouvellement des dirigeants chinois sur cette résilience autoritaire : perpétuation ou changement ? Richard Baum insiste sur le fait que les dirigeants chinois sont perpétuellement tiraillés entre leur volonté de préserver le régime et d’insérer des réformes qui permettent au pays de mieux faire face aux problèmes socioéconomiques. Est ce que les nouveaux dirigeants privilégieront l’intégrité du régime au détriment de l’unité du pays ? Quel que soit leur potentiel réformateur, il ne faut pas oublier qu’ils vont arriver à la tête de la Chine après avoir été scrutés et préparés soigneusement (« carefully groomed ») pendant des décennies. Il y a peu de chance qu’il y ait de réelle surprise, ou un « nouveau Gorbatchev ». Bo Xilai par exemple, est à la fois « trop bruyant et trop voyant » pour exercer une influence profonde sur l’appareil politique. l’évolution globale de la société chinoise : ils ont étudié à l’étranger, ils ont étudié l’histoire, l’économie, la philosophie et la littérature ; ils possèdent une plus grande ouverture au monde. Ils sont en phase avec une société plus égoïste et individualiste. Ils sont riches et politiquement actifs. Néanmoins, ils demeurent des hommes d’appareil et le pouvoir chinois repose sur la dynamique consensuelle du pouvoir collectif. En dépit de fortes dissensions et de jeux d’influence, c’est la recherche du consensus opérationnel qui prime. Il ne fait aucun doute pour Baum que la continuité du pouvoir va primer. Le plus important pour ces dirigeants (leur principale difficulté) va être de parvenir à créer une situation sociopolitique dans laquelle une dose de changements politiques va être possible. C’est une nécessité vitale pour le régime. Pourtant, il est toujours difficile d’introduire des réformes en période de récession économique. Ces réformes sont impératives, mais le nouveau pouvoir chinois risque d’hériter d’une situation socioéconomique qui l’incitera à perpétuer ses recettes actuelles. Au risque d’alimenter le mécontentement populaire. Emmanuel Puig Asia Centre, Paris Néanmoins, il faut souligner que la « résilience autoritaire » de l’Etat chinois évolue. Le gouvernement ne peut plus « manipuler les masses » comme il avait la possibilité de la faire quand il contrôlait l’intégralité des canaux d’informations. Le développement des débats politiques gagne peu à peu toutes les sphères de la société et même au sein de la l’Ecole centrale du Parti, les discussions sont animées. L’étau se desserre parfois et certaines associations ont voix au chapitre politique. Mais le besoin d’une « représentation plus authentique » de la société civile demeure. Ce déficit nourrit le cynisme d’une population qui se trouve déconnectée (et impuissante) face aux décisions politiques. C’est un terreau fertile pour la contestation radicale. Fidèle à son mécanisme de prévention par l’argent, le gouvernement chinois a souligné qu’il allait faire des efforts afin de développer son marché intérieur (tendance réaffirmée lors du dernier plan quinquennal de mars 2011). Le problème c’est qu’en dopant la consommation interne par l’injection de capitaux, l’Etat génère une série de problèmes comme l’attribution incontrôlée de prêts, la création de bulles spéculatives (immobilier) et la « surchauffe économique » dans certains secteurs. Cependant, l’action financière du gouvernement dans le domaine immobilier semble avoir été bénéfique et le marché pourrait reprendre, redonnant de fait une perspective économique séduisante aux petits et moyens investisseurs. Revenant sur l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants, les dernières questions portent sur la nature de leurs soutiens politiques ainsi que sur leur marge d’action. Richard Baum estime qu’il existe des « formes cachées de gouvernance en Chine ». Celles-ci apparaissent parfois au grand jour, comme l’influence des « héritiers » (princelings) qui composeront la moitié de la prochaine génération de dirigeants. Ceux-ci semblent en adéquation avec 3