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lors de l’incident de l’avion américain EP-3. Dans le même
temps, les protestations de masses se multiplièrent en
Chine passant de « 8 300 en 1993 à près de 87 000 en
2005 » et la convergence des deux phénomènes n’allait
pas tarder à se réaliser.
En 2003, le tandem Hu Jintao / Wen Jiabao entra en
fonction. Sous la bannière du slogan de la « société
harmonieuse », les promesses d’une meilleure
redistribution des richesses et d’une société plus égalitaire
(plus juste) rent orès. En 2004, lors du plenum annuel du
Comité central du Parti, la « capacité du Parti à diriger »
fut ofciellement critiquée et les dirigeants insistèrent sur
la nécessité politique d’intégrer de nouveaux mécanismes
de consultation du peuple an de restaurer sa conance
dans le Parti. Bien sûr, il ne s’agissait pas de libérer un
tant soi peu la presse ou de favoriser l’éclosion de
groupe d’intérêts indépendants du Parti, ni d’insérer des
mécanismes électoraux locaux an de sanctionner les
dirigeants. Ces mécanismes devaient être insérés à la
marge et graduellement (sites Web gouvernementaux,
procédures d’appréciation relativement aseptisées,
nouveaux procédés de management).
Dans le même temps, l’évolution des conditions
économiques, elle, contribuait à changer en profondeur
le tissu social chinois : entre 2003 et 2007, la croissance
annuelle de la Chine fut de 11% ; une classe moyenne
commença à émerger tandis que le nombre de
millionnaires et milliardaires chinois explosait littéralement.
Les gouvernements locaux s’enrichissaient en vendant
des terrains aux promoteurs, pendant que des millions de
personnes étaient déplacées du fait de ces transactions.
Les plans de développement urbains et les grands travaux
publics furent mis en œuvre avec peu (ou pas) d’égards
pour les populations locales directement touchées
par ces initiatives. Entre 2006 et 2007 de nombreuses
manifestations eurent lieu an de protester contre les
expropriations massives (Xiamen) et les conséquences
de l’industrialisation sur l’environnement (Zhejiang).
C’est à la même époque que des vidéos montrant ces
protestations commencèrent à circuler sur des sites tels
que Youtube. Celles-ci attirèrent immédiatement des
commentaires et des prises de positions à travers le pays
et, pour la première fois, des incidents locaux eurent des
répercussions nationales (et un écho international). Les
mobilisations lmées faisaient écho à des problèmes
sociaux globaux en Chine (pollution des sols, arbitraire
politique et répression) ce qui facilitait leur réception et les
effets « viraux » de ces images.
A l’approche des Jeux olympiques de Pékin en 2008,
les grands travaux entrepris par l’Etat et les collectivités
locales déclenchèrent une vague de protestation et de
mobilisation sur Internet : le déplacement de plusieurs
centaines d’habitants, le sort des ouvriers migrants et
l’absence d’efforts politiques de l’Etat soulevèrent de fortes
critiques (c’est à la même époque qu’eut lieu le scandale
de la mélanine dans le lait infantile). La période étant
absolument cruciale pour le pouvoir, l’immense majorité
de ces « débats » furent étouffés grâce au pare-feu de
la répression policière et de la presse d’Etat (« Dernier
exemple en date, la collision des trains à grande vitesse
à Wenzhou en juillet 2011 durant laquelle la première
réaction du gouvernement fut d’interdire la présence de
journalistes et des citoyens à proximité de la scène an
d’éviter la multiplication incontrôlée des images »). Mais
quoi qu’ait entrepris l’Etat an de dégager sa responsabilité
et légitimer ses politiques, il a été incapable de maîtriser la
rumeur et (surtout) sa propagation via les réseaux sociaux.
Et dans le cas de la collision, l’importance de cette rumeur
(et des accusations de corruption) l’a « obligé » à ordonner
la mise en place d’une commission d’enquête. Les faits les
plus anodins de l’arbitraire politique, du népotisme ou de
la corruption sont relayés sur le Web avec une vitesse de
propagation qui rend inopérants les dispositifs de contrôle
traditionnels. Dernier exemple, en 2010, le ls d’un général
de l’APL a tué un piéton dans un accident de la route au
cours duquel il était ivre et avait fuit. Arrêté par a police, il
s’est exclamé « poursuivez-moi si vous l’osez, mon père
est Li Gang ». Embarrassé par l’incident, le gouvernement
a fait de sa condamnation un exemple de sévérité. Alors
qu’il y a encore quelques années ce type d’incident
n’aurait eu que des conséquences locales, l’histoire s’est
répandue à travers le pays et la phrase « mon père est
Li Gang » est devenue le symbole d’un certain cynisme
populaire.
Pendant ce temps, le coefcient Gini2 n’a cessé de croitre
en Chine (il y a aujourd’hui « 164 milliardaires chinois
selon Forbes »), les incidents et les protestations sociales
se multiplient (« augmentation de l’ordre de 20%, pour
atteindre le 180 000 à travers le pays en 2010 selon un
sociologue chinois »). Depuis le début de la crise nancière
en 2008, les dirigeants locaux et ceux des entreprises
d’Etat ont détourné des milliards de dollars de prêts an
d’investir dans des bâtiments somptueux, des centre
commerciaux et des « ottilles de voitures de luxe ».
Face à ces tensions et ces disparités, le gouvernement
chinois – toujours en « phase post-Tiananmen » – n’a
cessé d’adopter une politique de pompier pyromane
en « achetant » la résolution des contestations locales à
coups de « sacs d’argents » (notamment dans le cadre
de dédommagements de victimes) tout en maintenant le
cap des tendances structurelles ; dans le même temps, il
continue à prendre soin de museler tous les protestataires
qui possèdent une capacité à agréger les contestations :
Hu Jia, Chen Guangcheng, Liu Xiaobo et Ai Weiwei
sont parmi le plus connus. C’est sur cet équilibre entre
« achat » des mécontentements populaires et répressions
des têtes de le de la protestation que repose toute la
« résilience autoritaire du système ». Les premiers feux de la
contestation sont éteints avant de dégénérer en incendies ;
et les aspirations à un meilleur futur sont suspendues à la
croissance à deux chiffres.
Le maintien de cet équilibre a permis au gouvernement de
ne pas initier de réforme politique plus profonde. Dans cette
perspective, les dirigeants chinois parent au plus pressé
et appliquent des emplâtres nanciers (ou administratifs)
sur des problèmes sociaux profonds et systémiques. Mais
l’environnement social en Chine est actuellement marqué
par l’émergence d’une « nouvelle conscience civique »
très au fait des limites du système. Le ralentissement de
la croissance économique chinoise (répercussion de la
crise nancière globale) risque de précariser l’équilibre de
la résilience autoritaire. Au cours des prochaines années, la
baisse de la croissance de 10% à 6%, voire à 5%, couplée
2 Mesure économique du degré d’inégalité de la distribution des
revenus.