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dissertation
Author: Legendre, Marie
Title: Pouvoir et territoire : l'administration islamique en Moyenne-Égypte pré-ṭūlūnide
(642-868)
Issue Date: 2013-12-12
Introduction
Comment penser l’histoire politico-culturelle de la campagne
égyptienne des débuts de l’Islam ?
Au cours des années 641-642, une armée qu’on évalue à 3 000 ou 4 000 hommes
réalisa la conquête des provinces byzantines d’Égypte, sous le haut commandement d’un
général musulman, ‘Amr b. al-Āṣ ou ‘Abd Allāh b. Sa‘d selon les versions. En cette première
moitié de VIIe siècle, ces provinces essuyaient alors leur seconde conquête après une riode
de domination sassanide entre 619 et 629
1
. Toutes byzantines qu’elles aient été au moment de
ces deux conquêtes successives, ces régions s’étaient vues remettre la gestion de leur
économie et de leur défense aux mains de l’élite locale depuis les réformes de Justinien au
milieu du VIe siècle. La population de ces provinces est alors estimée à environ trois millions
de personnes
2
. Elle était majoritairement chrétienne : les sources littéraires en proposent un
découpage strict entre monophysites et chalcédoniens, qui sont surtout pertinentes pour
l’étude de l’élite
3
, ou lui appliquent une identité monolithique copte créée dans les sources de
la période médiévale
4
. Ces régions et leur population apparaissent au VIIe siècle selon des
catégories beaucoup plus fluides, notamment dans la riche documentation papyrologique
disponible pour l’étude de l’Égypte. Ces textes étaient au moment de la conquête islamique,
écrits en grec ou en copte, ces deux langues se séparant de manière très inégale les différents
1
MACCOULL (Leslie S.B.), « Coptic Egypt during the Persian Occupation », Studi Classici e Orientali 36
(1986), p. 307-313.
2
KAEGI (Walter E.), « Egypt on the eve of the Muslim conquest », dans PETRY (Carl F.) éd., The Cambridge
History of Egypt I, Islamic Egypt : 640-1517, Cambridge, 1998, p. 34. A. Bowman propose me d’élever ce
chiffre à 6 millions : Egypt after the Pharaohs 332 BC-AD 642 : From Alexander to the Arab Conquest,
Berkeley, 1996, p. 17-19.
3
PALME (Bernhard), « Political identity versus religious distinction ? The case of Egypt in the Later Roman
Empire, version 01, May 2011 », IOWP (Imperium and Officium Working Papers) :
http://iowp.univie.ac.at/sites/default/files/IOWP_palme_identity01.pdf.
4
VAN DER VLIET (Jacques), « The Copts: ‘Modern sons of the Pharaohs?», dans TER HAAR ROMENY (Bas),
Religious Origins of Nations ? The Christian Communities in the Middle East, Leyde, 2009, p. 279-290.
Introduction
2
domaines fonctionnels de l’écrit
5
. Elles réglaient la majorité des communications écrites, dans
un paysage linguistique l’on trouvait également des éléments hébreux, syriaques ou
pehlevis en proportion bien plus modestes. Culturellement et ethniquement, on trouvait
également dans la société égyptienne byzantine diverses composantes, notamment berbères ou
nubiennes, mais aussi arabes
6
.
Les généraux impliqués dans la conquête de l’Égypte étaient, pour leur part, selon la
tradition islamique, des membres à part entière de la première communauté musulmane. ‘Amr
b. al-‘Ā et ‘Abd Allāh b. Sa‘d étaient tous deux membres de la puissante tribu mecquoise de
Qurayš à laquelle appartenait le prophète Muammad. Les sources musulmanes produites à
l’époque abbāsside indiquent qu’ils étaient eux-mêmes des contemporains du Prophète, et
qu’ils avaient participé à la conquête de la Syrie-Palestine avant de se rendre en Égypte. ‘Amr
b. al-‘Ā aurait même été marchand et aurait visité l’Égypte en cette qualité avant la
révélation de l’islam
7
. ‘Abd Allāh b. Sa‘d aurait, pour sa part, été l’un des scribes du Prophète
à mettre le Coran par écrit et il était frère de lait du troisième calife ‘Uṯmān (r. 644-656)
8
.
Après la conquête, ils sont tous deux successivement nommés gouverneurs d’Égypte, entre
641 et 646 puis entre 659 et 664 pour ‘Amr, et entre 646 et 656 pour ‘Abd Allāh, tenant
chacun un rôle de choix dans les évènements de la première guerre civile qui suivi le meurtre
du calife ‘Uṯmān en 656.
Sous leur administration, les conquérants sont connus pour avoir employé l’arabe dès
les premières années de leur installation en Égypte
9
. Cette langue apparaît d’abord de manière
très sporadique dans les premières décennies de la domination islamique en Égypte, pour se
systématiser à partir des années 680
10
. Les conquérants ne maniaient cependant pas que
l’arabe dans leur administration. En tant que peuple à part entière de l’Antiquité tardive, ils
partageaient nombre de repères communs aux habitants de toute la région comme aux
5
FOURNET (Jean-Luc), « The Multilingual environment of Late Antique Egypt : Greek, Latin, Coptic and
Persian documentation », dans BAGNALL (Roger S.) éd., The Oxford Handbook of Papyrology, Oxford, 2009,
p. 418-451.
6
GASCOU (Jean), « L’Égypte byzantine (284-641) », dans MORISSON (Cécile), Le Monde Byzantin I, L’Empire
Romain d’Orient (330-641), Paris, 2012, p. 417 ; POWER (Tim), « The “Arabians” of Pre-Islamic Egypt », dans
BLUE (Lucy) et al. éd., Connected Hinterlands : Proceedings of the Red Sea Project IV, Oxford, 2009, p. 111-
118.
7
Ibn Yūnus (m. 958), Tārīḫ Ibn Yūnus al-Mi I (‘A.‘Abd al-Fattāḥ éd.), Beyrouth, 2000, p. 374.
8
Ibn Yūnus, Tārīḫ, p. 270 ; Ibn ‘Asākir (m. 1176), Tārīḫ madīnat Dimašq, vol. IV (‘U. Amūrī éd.), Beyrouth,
p. 337-337.
9
SB VI 9576 (Héracléopolite/kūrat Ihnās, 25 avril 643).
10
SIJPESTEIJN (Petra M.), « Multilingual Archives and Documents in Post-Conquest Egypt », dans
PAPACONSTANTINOU (Arietta), The Multilingual experience in Egypt, from the Ptolemies to the Abbassids, 2010,
p. 105-124.
Introduction
3
Égyptiens : leur usage du grec comme langue de l’administration, ou leurs pratiques
anthroponymiques d’origine diverses en forment quelques exemples
11
. Les conquérants
s’installèrent dans la nouvelle capitale, Fusṭāṭ, à l’apex du delta du Nil. Leur groupe était
également divers ethniquement : la tradition islamique met profondément l’accent sur la place
des tribus sud-arabiques dans la fondation de la ville. Cependant sa composition était loin
d’être exclusive et continua d’incorporer des groupes d’autres provenances à la suite de leur
installation, tout comme elle intégra peu à peu des conquis
12
. Cette communauté de Fusṭāṭ
formait le ǧund d’Égypte. Ce terme fait référence à la société née de l’installation des
membres de l’armée de conquête et de leurs familles dans les villes fondées aux quatre coins
de l’empire comme Fusṭāṭ ou Bara et Kūfa en Iraq. Il implique également un mode de
rétribution de ces familles qui recevaient un paiement régulier en contrepartie de leur
participation à la conquête, et intégra également peu à peu les nouvelles recrues. Leurs noms
étaient inscrits à ce titre dans les registres de l’administration, le dīwān. Ainsi, le ǧund inclut
également l’appareil militaro-administratif maintenant ce système et les fonctionnaires eux-
mêmes, qui, surtout pour la plus haute période, n’étaient pas nécessairement musulmans
13
.
La nature des relations que développèrent les conquérants et les conquis en dehors de
Fusṭāṭ est connue avec peu de détails. La Haute-Égypte en particulier, partie sud du pays,
généralement considérée comme rurale, n’apparaît pas comme une zone qui intéressait
beaucoup les conquérants. La tradition islamique, par exemple, se concentre surtout sur Fusṭāṭ
et Alexandrie ils s’installèrent directement
14
. Nous proposerons donc de suivre ces deux
groupes, conquérants et conquis, pour révéler leurs situations de contacts dans la vallée du
Nil. Nous nous concentrerons plus particulièrement sur la Moyenne-Égypte d’Hermopolis et
Antinoé, deux villes connues en arabe sous le nom d’Ašmūn/Ašmūnayn et Anṣinā, toutes
deux à 300 km environ au sud de Fusṭāṭ. L’expression « Moyenne-Égypte » a des
11
GASCOU (Jean), « The papyrology of the Near East », dans BAGNALL (Roger S.) éd., The Oxford Handbook of
Papyrology, Oxford, 2009, p. 473-494 ; HOYLAND (Robert G.), « Arab kings, Arab tribes and the beginning of
Arab historical memory in the Late Roman epigraphy », dans COTTON (Hannah M.), HOYLAND (Robert G.),
PRICE (Jonathan J.), WASSERSTEIN (David J.), From Hellenism to Islam : Cultural and linguistic change in the
Roman Near East, Cambridge, 2009, p. 392-393.
12
KUBIAK (Wladyslaw), al-Fustāt : Its Foundation and Early Urban Development, Cairo, 1987, p. 93-97.
13
Cf. sur ce point l’étude détaillée de BOUDERBALA (Sobhi), Ǧund Mir : Étude de l’administration militaire
dans l’Égypte des débuts de l’Islam 21/642 218/833, Thèse de doctorat, Université Paris I Panthéon-Sorbonne,
2008.
14
MORIMOTO (Koseï), « Land tenure in Egypt during the Early Islamic period », Orient 11 (1975), p. 109-153 ;
SIJPESTEIJN (Petra M.), « Landholding patterns in early Islamic Egypt », Journal of Agrarian change 9/1 (2009),
p. 120-133.
Introduction
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acceptations très diverses dans la littérature scientifique. Dans sa plus large extension, elle
comprend la vallée du Nil du sud du Caire à Louxor, mais elle est également souvent
appliquée à des gions bien plus réduites. Dans les lignes qui suivent nous entendrons par
Moyenne-Égypte uniquement les territoires qui dépendent administrativement des villes
d’Hermopolis/Ašmūn/Ašmūnayn et Antinoé/Anṣientre la conquête islamique et la prise de
pouvoir des Ṭūlūnides. Nous nous éloignons ainsi de la capitale créée par les nouveaux
maîtres du pays pour nous concentrer sur le devenir d’un centre provincial byzantin sous la
domination musulmane. En effet, Antinoé, capitale de la province de Thébaïde, administrait la
partie sud de la vallée du Nil au moment de la conquête. Les provinces byzantines étaient
ensuite divisées en de plus petites régions appelées le plus souvent pagarchies et organisées
autour d’une polis. La voisine d’Antinoé sur la rive ouest, Hermopolis, en est un exemple, une
ville à l’histoire millénaire déjà présente dans la géographie administrative pharaonique
15
. Le
spectre, que l’étude de ces deux villes nous propose, permet de prendre en compte différents
échelons administratifs du territoire conquis : une capitale de province et une capitale de
pagarchie, mais aussi les villages et monastères qui formaient leur arrière-pays. Dans une
région d’Égypte il est connu que les conquérants s’installèrent très progressivement, notre
cadre de recherche se portera donc sur cette section d’environ 150 km sur la vallée du Nil
se déploient ces deux villes et leurs territoires respectifs entre 642 et la prise de pouvoir des
Ṭūlūnides en 868. Nous couvrirons ainsi l’histoire de l’Égypte sous les califes successeurs du
Prophète ou Rāšidūn (642-659) la dite période médinoise , les Umayyades installés à
Damas (659-750) et les ‘Abbāssides à Bagdad (750-868), privilégiant l’étude du territoire
égyptien dans un statut de province et non comme un centre de pouvoir politique, tel que sous
les Ṭūlūnides.
Ce point de vue régional donne une perspective inattendue à l’étude de l’histoire des
débuts de l’Islam en Égypte, car c’est bien à la présence des conquérants que nous allons nous
intéresser dans cette région excentrée de leur espace vécu
16
, y suivant à terme l’évolution de
leur investissement au cours des deux premiers siècles de l’Islam. En prenant l’exemple de la
région d’Hermopolis et d’Antinoé, nous tenterons de répondre à la question suivante :
15
Hermopolis, l’antique Unu/Ḫemenu (umunu), était la métropole du 15e nôme de Haute-Égypte (le nôme du
lièvre) : SPENCER (A. Jeffrey), Excavations at el-Ashmunein I, The Topography of the site, Londres, 1983, p. 2-3.
16
Sur l’espace vécu des Musulmans révélé par leurs sources cf. GARCIN (Jean-Claude), « Pour un recours à
l’histoire de l’espace vécu dans l’étude de l’Égypte arabe », Annales Economie, Société, Civilisation 35/3-4,
1980, p. 436-451, réimprimé dans id., Espaces, pouvoirs et idéologies dans l’Égypte médiévale, Variorum
Reprints, London, 1987.
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