
La figure de Don Quichotte passa rapidement du 
statut de personnage de fiction littéraire à ce-
lui de réalité visuelle: déjà au cours de l’année de 
la publication du livre, un document témoigne de 
l’existence d’un imitateur du célèbre hidalgo aux 
cours des cérémonies célébrant la naissance de 
l’héritier Philippe IV à Valladolid. Six mois à peine 
avaient passé depuis l’impression et la mise en 
circulation de l’histoire de Don Quichotte; c’était 
au mois de juin de l’an 1605. 
À partir de ce moment, on trouve souvent  des témoi-
gnages qui attestent de « l’incarnation » du cheva-
lier de la Manche. Ansi, en 1607, l’arrivée du vice-roi 
à Cuzco (Pérou) est célébrée par une réception à la-
quelle participent Don Quichotte ainsi que d’autres 
personnages du roman. De la même manière, la ville 
d’Heidelberg (Allemagne) prépare des cérémonies 
semblables en 1613 pour fêter l’entrée des jeunes ma-
riés Isabel Stuart et Frédéric V, l’électeur palatin: au 
cours du tournoi qui a lieu à cette occasion, on trouve 
un Chevalier à la Triste Figure, imitateur du person-
nage littéraire.
Une nouvelle vie, hors du caractère imprimé, com-
mence ainsi pour l’illustre chevalier, avec ses avatars 
et ses aventures, étrangers à l’œuvre de Cervantès: il 
s’agit d’un héros qui ne doit ni jouer de rôle, ni même 
reproduire dans la vie réelle les faits et gestes qui lui 
étaient propres dans le roman; sa seule tâche est 
celle d’incarner le personnage de la ction littéraire.
Depuis la n du XIXe siècle, les aches publicitaires 
deviennent le moyen de communication commer-
ciale le plus ecace, lié aux va-et-vient artistiques de 
la n du siècle et aux progrès dans la typographie, le 
design et les techniques d’impression. Art et indus-
trie se rejoignent dans un intérêt commun. La popu-
larité de la gure de Don Quichotte et le monde de 
la publicité ne tarderont pas à se retrouver, donnant 
lieu à des aches de spectacles, commerciales et po-
litiques, qui utilisent les protagonistes de l’histoire 
comme icône.
La grande diusion de l’œuvre de Cervantès dans 
toute l’Europe peu après sa publication t que ses 
personnages  étaient facilement reconnus. Ils ac-
quirent ainsi la valeur de personnages-type, ce qui 
permit une grande facilité dans la communication: 
leurs traits et caractéristiques étaient unanimement 
acceptés, sans besoin d’autres explications.
Moi, je parierais, dit Sancho, qu’avant peu 
de temps d’ici il n’y aura pas de cabaret, 
d’hôtellerie, d’auberge, de boutique de bar-
bier, où l’on ne trouve en peinture l’histoire 
de nos prouesses. (II, lxxi)
Les lecteurs du XVIIe siècle ont du plaisir à découvrir 
les aventures extravagantes de l’hidalgo. Les carica-
turistes des XVIIe et XVIIIe siècles, de même que les 
auteurs de pamphlets et de libelles, utilisent tou-
jours la gure de Don Quichotte pour caractériser ce 
qui est grotesque et ridicule, déraisonné, comique 
ou risible. À la n du XVIIIe siècle, «Don Quichotte 
est une espèce de propriété commune, un classique 
universel, apprécié aussi bien à la cour que dans les 
chaumières». (Piozzi, 1786)
Mais dès la n du XVIIIe siècle ou au début du XIXe, les 
romantiques allemands interprètent 
Don Quichotte
 
de façon symbolique ou philosophique: une confron-
tation entre le réalisme et l’idéalisme, le corps et 
l’âme. Ainsi, le protagoniste devient à son tour un ro-
mantique, disposé à lutter pour ses idéaux. L’œuvre  
retrouve de la vitalité, car chaque lecteur y projette 
son propre système de valeurs.
Il y a deux courants: le romantique, idéaliste; et le 
burlesque, satirique et carnavalesque. Ces deux vi-
sions, marquées par les lecteurs, existent encore 
aujourd’hui et expliquent que le chevalier de la 
Manche apparaisse parfois comme un héros et par-
fois comme un fou.