É D I T O R I A L Réalité du risque de la grippe aviaire Avian flu: is there a real risk? $ B. Lina* epuis fin 2003, une épizootie sans précédent est observée en Asie du Sud-Est. Cet été, nous avons eu la mauvaise surprise de voir que des oiseaux de certaines provinces russes, du Kazakhstan et de Turquie étaient aussi infectés par le virus A H5N1. Il semble donc que non seulement l’épizootie ne soit pas contrôlée, mais que, du fait des couloirs de migration des oiseaux sauvages, elle puisse s’étendre à d’autres régions du globe. D La position, parfois considérée comme alarmiste, de l’OMS sur le risque de pandémie résulte de l’impuissance à maîtriser cette épizootie, ce qui fait de l’alerte A H5N1 une menace imminente, voire une pandémie annoncée. Cette catastrophe, si elle survenait, pourrait résulter de plusieurs mécanismes. Si l’émergence du virus chez l’homme se passe comme pour la pandémie de 1918 (grippe espagnole), cela signifie qu’il y a diffusion directement de l’oiseau à l’homme d’un virus sans étape de réassortiment avec un virus humain, avec une adaptation mineure du virus à son nouvel hôte (1). Si cette émergence se déroule comme en 1957 ou en 1968 (grippe asiatique et grippe de Hongkong), elle sera le fruit d’un réassortiment génétique entre virus aviaire et humain chez le cochon (2). Deux mécanismes peuvent donc provoquer l’introduction du virus chez l’homme : le réassortiment ou l’introduction directe. Le réassortiment génétique chez le cochon a permis l’apparition des deux derniers virus pandémiques. À chaque fois, il y a eu introduction de segments de gène de virus aviaires dans un virus conservant un fond génétique de type virus humain (2). Ces assemblages ont créé des virus dont le taux d’attaque était élevé, mais qui ont induit une mortalité nettement inférieure à celle observée lors de la pandémie de 1918, où il n’y avait pas eu de réassortiment. Cette différence est-elle due au fait que des segments de gènes humains étaient conservés, ou est-elle liée au fait que ces virus ne portaient pas de déterminants de virulence présents chez H1N1 ? La question reste aujourd’hui ouverte, mais force est de constater qu’en termes de mortalité, ces virus réassortants étaient moins agressifs que le virus A H1N1 de 1918. C’est l’expérience des deux précédentes pandémies liées à des virus ayant subi ce mécanisme efficace d’adaptation qui nous incite à surveiller de très près les élevages de cochons dans les zones de forte endémicité du A H5N1. L’apparition de cas chez ces mammifères et l’installation de phénomènes épidémiques liés à la mise en route d’une épidémie par transmission directe de cochon à cochon seraient alarmantes. Une surveillance étroite des élevages est donc réalisée. pays d’Asie (Vietnam, Cambodge, Thaïlande et Indonésie). L’humanisation du virus pourra se faire par l’acquisition de mutations d’adaptation, notamment au niveau du site récepteur (RBS). Cette région de l’hémagglutinine est différente chez les virus aviaires et les virus humains ; ces différences sont responsables, au moins en partie, de la spécificité d’hôte des virus. C’est donc cette région de l’hémagglutinine qui est analysée en détail chez les virus isolés des cas humains. Aujourd’hui, les virus A H5N1 qui ont été détectés chez l’homme ont tous conservé un RBS de type aviaire, aucune modification d’adaptation n’ayant été détectée. Le deuxième élément étudié de près est représenté par les possibles cas de transmission interhumaine. En effet, nous ne sommes pas certains que le fait que le RBS reste de type aviaire soit un facteur limitant absolu de la possibilité de l’adaptation du virus aviaire à l’homme. Des études récentes menées sur le virus A H1N1 de 1918 confirment que ce virus était un virus strictement aviaire, avec un RBS de type aviaire, mais que ce RBS était capable de se lier aux acides sialiques humains (3). Enfin, la cocirculation des virus humains classiques (A H1N1 et A H3N2) risque de poser un autre problème. En effet, le mécanisme de réassortiment génétique décrit chez le cochon peut, en théorie, passer aussi directement chez l’homme. En cas de co-infection, il est parfaitement imaginable que l’homme joue le rôle de creuset pour le virus pandémique. C’est la connaissance de ce risque qui tend à faire se renforcer la vaccination humaine vis-à-vis des virus classiques (A H1N1 et A H3N2). L’absence ou la diminution des cas d’infection avec la grippe classique permettent de réduire très significativement le risque d’émergence d’un réassortant directement chez l’homme. En conclusion, l’épidémiologie évolutive de l’épizootie à virus A H5N1 fait que les actions à prendre pour des risques théoriques doivent être décidées très en amont des événements, sinon nous serons rapidement dépassés. La communication sur ce sujet a tendance à faire croire à un public non averti que toute l’information ne circule pas. En fait, grâce aux médias (ou à cause d’eux !), le public est très informé sur l’évolution de la situation. Les plans pandémiques ont pour objectif d’augmenter la réactivité des États face à des situations nouvelles, mais prévisibles. Il est vrai que, s’il faut considérer la pandémie à H5N1 comme une catastrophe # annoncée, elle n’est cependant pas forcément inéluctable. En cas d’introduction directe du virus de l’oiseau chez l’homme, R c’est l’exposition répétée aux virus aviaires hébergés par les volailles infectées qui entraîne l’apparition des premiers cas humains. C’est ce que nous observons actuellement dans quatre 1. Glaser L, Stevens J, Zamarin D et al. A single aminoacid substitution in 1918 *CNR des virus influenza, région Sud HCL, UMR CNRS 5537, domaine Rockefeller, 69373 Lyon Cedex 08. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 5 - septembre-octobre 2005 É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S influenza virus hemagglutinin changes receptor binding specificity. J Virol 2005; 79:11533-66. 2. Scholtissek C. Source for influenza pandemics. Eur J Epidemiol 1994;10:455-8. 3. Gamblin SJ, Haire LF, Russell RJ et al. The structure and binding properties of the 1918 influenza haemagglutinin. Science 2004;303:1838-42. 171