Réalité du risque de la grippe aviaire - Avian flu: is there a

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 5 - septembre-octobre 2005
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ÉDITORIAL
D
epuis fin 2003, une épizootie sans précédent est observée
en Asie du Sud-Est. Cet été, nous avons eu la mauvaise
surprise de voir que des oiseaux de certaines provinces
russes, du Kazakhstan et de Turquie étaient aussi infectés par le
virus A H5N1. Il semble donc que non seulement l’épizootie ne
soit pas contrôlée, mais que, du fait des couloirs de migration des
oiseaux sauvages, elle puisse s’étendre à d’autres régions du globe.
L
a position, parfois considérée comme alarmiste, de l’OMS sur
le risque de pandémie résulte de l’impuissance à maîtriser cette épi-
zootie, ce qui fait de l’alerte A H5N1 une menace imminente, voire
une pandémie annoncée. Cette catastrophe, si elle survenait, pour-
rait résulter de plusieurs mécanismes. Si l’émergence du virus chez
l’homme se passe comme pour la pandémie de 1918 (grippe espa-
gnole), cela signifie qu’il y a diffusion directement de l’oiseau à
l’homme d’un virus sans étape de réassortiment avec un virus
humain, avec une adaptation mineure du virus à son nouvel hôte
(1). Si cette émergence se déroule comme en 1957 ou en 1968
(grippe asiatique et grippe de Hongkong), elle sera le fruit d’un
réassortiment génétique entre virus aviaire et humain chez le cochon
(2). Deux mécanismes peuvent donc provoquer l’introduction du
virus chez l’homme : le réassortiment ou l’introduction directe.
L
e réassortiment génétique chez le cochon a permis l’apparition
des deux derniers virus pandémiques. À chaque fois, il y a eu intro-
duction de segments de gène de virus aviaires dans un virus conser-
vant un fond génétique de type virus humain (2). Ces assemblages
ont créé des virus dont le taux d’attaque était élevé, mais qui ont
induit une mortalité nettement inférieure à celle observée lors de
la pandémie de 1918, où il n’y avait pas eu de réassortiment. Cette
différence est-elle due au fait que des segments de gènes humains
étaient conservés, ou est-elle liée au fait que ces virus ne portaient
pas de déterminants de virulence présents chez H1N1 ? La ques-
tion reste aujourd’hui ouverte, mais force est de constater qu’en
termes de mortalité, ces virus réassortants étaient moins agressifs
que le virus A H1N1 de 1918. C’est l’expérience des deux précé-
dentes pandémies liées à des virus ayant subi ce mécanisme effi-
cace d’adaptation qui nous incite à surveiller de très près les éle-
vages de cochons dans les zones de forte endémicité du A H5N1.
L’apparition de cas chez ces mammifères et l’installation de phé-
nomènes épidémiques liés à la mise en route d’une épidémie par
transmission directe de cochon à cochon seraient alarmantes. Une
surveillance étroite des élevages est donc réalisée.
E
n cas d’introduction directe du virus de l’oiseau chez l’homme,
c’est l’exposition répétée aux virus aviaires hébergés par les
volailles infectées qui entraîne l’apparition des premiers cas
humains. C’est ce que nous observons actuellement dans quatre
pays d’Asie (Vietnam, Cambodge, Thaïlande et Indonésie). L’hu-
manisation du virus pourra se faire par l’acquisition de mutations
d’adaptation, notamment au niveau du site récepteur (RBS). Cette
région de l’hémagglutinine est différente chez les virus aviaires et
les virus humains ; ces différences sont responsables, au moins en
partie, de la spécificité d’hôte des virus. C’est donc cette région
de l’hémagglutinine qui est analysée en détail chez les virus iso-
lés des cas humains.
A
ujourd’hui, les virus A H5N1 qui ont été détectés chez l’homme
ont tous conservé un RBS de type aviaire, aucune modification
d’adaptation n’ayant été détectée. Le deuxième élément étudié de
près est représenté par les possibles cas de transmission interhu-
maine. En effet, nous ne sommes pas certains que le fait que le
RBS reste de type aviaire soit un facteur limitant absolu de la pos-
sibilité de l’adaptation du virus aviaire à l’homme. Des études
récentes menées sur le virus A H1N1 de 1918 confirment que ce
virus était un virus strictement aviaire, avec un RBS de type aviaire,
mais que ce RBS était capable de se lier aux acides sialiques
humains (3). Enfin, la cocirculation des virus humains classiques
(A H1N1 et A H3N2) risque de poser un autre problème. En effet,
le mécanisme de réassortiment génétique décrit chez le cochon
peut, en théorie, passer aussi directement chez l’homme. En cas
de co-infection, il est parfaitement imaginable que l’homme joue
le rôle de creuset pour le virus pandémique. C’est la connaissance
de ce risque qui tend à faire se renforcer la vaccination humaine
vis-à-vis des virus classiques (A H1N1 et A H3N2). L’absence ou
la diminution des cas d’infection avec la grippe classique per-
mettent de réduire très significativement le risque d’émergence
d’un réassortant directement chez l’homme.
E
n conclusion, l’épidémiologie évolutive de l’épizootie à virus
AH5N1 fait que les actions à prendre pour des risques théoriques
doivent être décidées très en amont des événements, sinon nous
serons rapidement dépassés. La communication sur ce sujet a ten-
dance à faire croire à un public non averti que toute l’information
ne circule pas. En fait, grâce aux médias (ou à cause d’eux !), le
public est très informé sur l’évolution de la situation. Les plans
pandémiques ont pour objectif d’augmenter la réactivité des États
face à des situations nouvelles, mais prévisibles. Il est vrai que,
s’il faut considérer la pandémie à H5N1 comme une catastrophe
annoncée, elle n’est cependant pas forcément inéluctable.
#
R
ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Glaser L, Stevens J, Zamarin D et al. A single aminoacid substitution in 1918
influenza virus hemagglutinin changes receptor binding specificity. J Virol 2005;
79:11533-66.
2. Scholtissek C. Source for influenza pandemics. Eur J Epidemiol 1994;10:455-8.
3. Gamblin SJ, Haire LF, Russell RJ et al. The structure and binding properties
of the 1918 influenza haemagglutinin. Science 2004;303:1838-42.
Réalité du risque de la grippe aviaire
Avian flu: is there a real risk?
$
B. Lina*
*CNR des virus influenza, région Sud HCL, UMR CNRS 5537, domaine
Rockefeller, 69373 Lyon Cedex 08.
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