L`Islam, acteur de la géopolitique mondiale, par André Serra

L’Islam, acteur de la géopolitique mondiale, par André Serra
La géopolitique est une discipline qui étudie les relations entre les peuples, ce qui
les sépare et ce qui les rapproche, tant en ce qui concerne leurs forces et leurs
handicaps que ce qui concerne leurs faiblesses, ainsi que leurs difficultés par rapport
au reste du monde et en particulier par rapport aux pays qui seraient susceptibles de
les menacer, ou de les concurrencer.
On comprendra donc aisément que ce type d‟exploration ne peut être mené sans
s‟appuyer d‟abord sur l‟histoire et la géographie du pays ou de la région du monde
qui en fait l‟objet. Ensuite seulement, corrélativement, peuvent intervenir les aspects
culturels des populations concernées, religions, ethnicités, langues, politiques, etc.
Ce sont aujourd‟hui les populations ayant pour religion l‟islam, que nous allons
considérer.
En occident, on a coutume de considérer les peuples musulmans comme une zone
géopolitique possédant une unité naturelle parce qu‟ils semblent occuper des
territoires voisins, et parce que l‟on s‟imagine généralement qu‟ils sont tous aussi
fortement attachés à la religion musulmane les uns que les autres..
C’est beaucoup plus compliqué que cela. Faisons un tour dans la géographie
de l’Islam.
***
Tout d‟abord, prenons conscience que la population musulmane est actuellement
de l‟ordre de 1 570 000 000 humains d‟aps le Pew Research Center, soit 20% de
plus que la population de la Chine, mais d‟autres sources indiquent des nombres
assez différents. Cependant, comme les pays musulmans comprennent également
d‟importantes minorités non musulmanes, la population des pays à majorité
musulmane est effectivement beaucoup plus importante encore, d‟où le nombre pris
en compte, même si on en déduit la fraction émigrée dans les pays occidentaux
( estimée à 15 millions ). Dans le tableau ci-dessous, la population des seuls
musulmans se limite à 1 081 millions.
Compte tenu de l‟importante migration musulmane au cours de la seconde moitié
du XXe siècle vers les pays à dominante chrétienne, cette population est
actuellement dispersée sur la presque totalité du globe, mais leur étendue originelle
se limite aux parties colorées de la carte ci-dessus.
Ses pays d‟origine sont donc groupés le long d‟un large bandeau est-ouest qui
s‟étend de l‟Irian Jaya (Indonésie) à Dakar au Sénégal, sur la côte ouest de l‟Afrique,
soit une extension est-ouest de 18 000 kilomètres environ.
La carte de gauche ci-dessous illustre la diffusion des musulmans sur la totalité de
la planète, et celle de droite montre la répartition des pays la population
musulmane est dominante :
En superficie, on constate immédiatement que c‟est la moitié nord de l‟Afrique qui
domine (carte de droite), alors que l‟opinion générale la situe plus généralement au
Moyen-Orient. En revanche, le poids majeur de la population se répartit sur deux
pôles, le Moyen-Orient et l‟Indonésie (carte de gauche). On notera que l‟Inde n‟est
soulignée que sur la carte de la population, à gauche, malgré sa superficie
importante. Cela provient du fait que, malgré la création du Pakistan (avec le
Bangladesh) le 14 août 1947, qui a drainé une grande partie des musulmans
résidant en Inde, il subsiste encore 140 millions de musulmans dans le sous-
continent indien, soit 12% de sa population, le double de la population de l‟Iran et
presqu‟autant que celle du Pakistan lui-même.
Déjà, cette observation montre une fragilité à cet endroit de la planète. L‟Inde est
en effet placée entre le Pakistan à l‟ouest (166 M d‟hab.), le Bangladesh à l‟est (161
M d‟hab.) et 140 M d‟habitants chez elle, soit un total de 467 millions de musulmans,
contre 1 milliard d‟autres ethnies, après retranchement de ses musulmans. Ajoutons
à cette situation un conflit larvé entre Inde et Pakistan au Cachemire, que les deux
pays se disputent, et qui dure depuis un demi-siècle, c'est-à-dire depuis la partition
de l‟Inde et de son indépendance.
Autre observation : sur la carte des populations, à droite, les musulmans des zones
les plus claires résident généralement dans des zones limitées des pays concernés,
urbaines en occident et dans la seule province du Xinjiang en Chine.
***
L'Islam est une religion monothéiste fondée par Mahomet en Arabie au VIIe siècle. Si
l‟ensemble de ces pays a l‟Islam comme religion dominante, tous abritent en
proportions variables des minorités pratiquant d‟autres religions : juives, chrétiennes,
etc. Au Moyen-Orient, ce mélange résulte du fait que cette région du globe abrite les
sources des trois principaux monothéismes : le judaïsme, le christianisme et l‟Islam,
dans l‟ordre chronologique d‟apparition.
Mais ce serait encore très simple si les clivages s‟en tenaient là. Chacune de ces
trois religions s‟est à son tour divisée en schismes fondés sur des variantes
théologiques, créant ainsi des sous-groupes rivaux assez souvent violemment
opposés. Pour nous en tenir à l‟Islam, voici le tableau de ses quatre divisions les plus
notables ( ci-dessus) , elles-mêmes subdivisées en groupes plus petits :
[ en français, Sunni=Sunnites Shia=Chiites Sufi=Soufisme ]
La branche sunnite regroupe à elle seule 80 à 85% du total des fidèles, et la
branche chiite environ 15%, surtout concentrés en Irak ( 65% de la population ), en
Iran ( 89% ), en Azerbaïdjan ( 85% ) et à Bahreïn ( 75% ). Consulter ci-dessous la
liste complète des pays abritant des chiites.
[ les développements sur les divisions de ces différents groupes ne peuvent tenir dans le cadre de cet article
consacré à la géopolitique de l‟Islam, à l‟exception des deux groupes principaux je suggère donc au lecteur de
se reporter aux textes de Wikipédia (adresses web in fine) pour les aspects religieux ]
***
Occupons-nous d‟abord du centre de l‟aire musulmane, le Moyen-Orient, se
côtoient chiites et sunnites :
Les oppositions entre sunnites et chiites sont très fortes. Nées
d‟une contestation pour la désignation du successeur de Mahomet,
une partie des compagnons de ce dernier exigèrent que son
successeur soit pris à l‟intérieur de sa famille. Malgré leur avis, les
trois premiers califes ne furent pas choisis de cette manière. Le
quatrième fut finalement Ali, neveu du prophète, que ses partisans
considérèrent alors comme le véritable premier calife. Cette
controverse fut la cause de sanglants conflits, et Ali fut assassiné
en 661. Ses partisans, les chiites, se séparèrent alors des autres
croyants, les sunnites, et créèrent la lignée des imams
.( Ce résumé est volontairement très restreint, et n‟est inséré que pour poursuivre
l‟analyse géopolitique de l‟Islam. Je conseille fortement aux lecteurs de se reporter aux
textes de wikipedia pour trouver des développements plus substantiels sur la séparation
sunnites/chiites, et sur les spécificités religieuses de ces deux groupes ) .
Les particularités doctrinales et les différences théologiques entre
ces deux courants reposent donc sur une querelle de succession et
ceux-ci se sont essentiellement construits sur des socles politiques
différents. C‟est la raison pour laquelle l‟Iran, massivement chiite,
est devenu une théocratie, à l‟inverse des autres pays musulmans.
Sont essentiellement chiites l‟Iran (90%), l‟Irak (64%),
l‟Azerbaïdjan (62%) et Bahreïn (75%), mais aussi, à un moindre
degré, l‟est de la Turquie (17%), l‟ouest de l‟Afghanistan (19%), le
Pakistan (20%). On peut donc constater que les chiites constituent
un noyau humain important entre la mer Noire, la mer Caspienne et
le golfe Persique. D‟autres chiites existent dans presque tous les
autres pays de cette région. Au total, ils regroupent environ
176 500 000 de personnes dans la zone allant du Maroc à
l‟Afghanistan.
Cet ensemble moyen-oriental exerce une pression géopolitique
très importante sur la région, compte tenu de sa richesse en pétrole
et en gaz.
À la suite de l‟invasion de l‟Irak et de l‟Afghanistan par les É-U, les
collectivités chiites de ces deux pays ont resserré leurs relations
avec l‟Iran, centre spirituel et politique du chiisme.
C‟est ainsi que le président irakien, à la suite de l‟éviction des
sunnites minoritaires dirigés par Saddam Hussein, fut Nouri Kamal
al-Maliki de mai 2006 jusqu‟aux récentes élections, un chiite du
parti Dawa, exilé en Iran pendant la guerre Irak/Iran, et par
conséquent très proche des Iraniens avec lesquels il a conservé
d‟excellentes relations.
Les résultats des élections du 7 mars 2010 n‟ont pas encore
permis de former un gouvernement. Le parti d‟al-Maliki, la coalition
de l’État de droit (EDD), a remporté 89 sièges, mais celui de son
principal adversaire, Irakia, de Iyad Allaoui, ancien premier ministre
choisi par les Étasuniens, en a obtenu 91, alors que la majorité des
sièges est de 163. Le troisième parti, l‟Alliance Nationale Irakienne
(ANI), celui de l‟imam Moktada El Sadr, connu pour son anti-
américanisme acharné, en a rapporté 70 de son côté.
Au 12 mai les négociations pour choisir un Premier ministre sont toujours en cours.
La logique serait que Maliki établisse une coalition avec Sadr, puisque leurs
électeurs sont des chiites, alors que ceux d‟Allaoui sont essentiellement sunnites,
bien qu‟Allaoui lui-même soit également chiite, mais non pratiquant. Mais Sadr en
veut profondément à Maliki d‟avoir demandé l‟envoi de marines liquider sa milice à
Falloudjah en 2004. La décision ne sera cependant pas prise à Bagdad, car c‟est
Téhéran (Iran) qui aura le dernier mot. Cela ne plait évidemment pas aux É-U.
Un fondement religieux rapproche en effet les chiites des deux pays, les deux plus
grands centres religieux chiites étant Kerbala en Iraq et Qom en Iran. Des échanges
d‟intellectuels et religieux sont fréquents entre les deux villes. Bien qu‟elles soient
aussi rivales, leur rapprochement renforce la voix chiite. Deux mois seront peut-être
nécessaires pour mettre fin au suspens politique.
Il n‟existe pourtant pas de connexion politique apparente entre l‟Irak et l‟Iran, et il
n‟en existera sana doute pas tant que les troupes des É-U occuperont la région, mais
un rapprochement sera inévitable ensuite et se dessine déjà, d‟abord en raison de
leur communauté de religion, ensuite du fait qu‟à eux deux, ces pays regroupent un
potentiel pétrolier majeur, tant en pétrole extrait qu‟en réserves pétrolières. Ils sont
également très riches en gaz. Ce sont des ingénieurs iraniens qui assurent en ce
moment même la gestion de la région pétrolière de Bassorah, et l‟économie
irakienne est soutenue par l‟Iran. D‟importants changements géopolitiques pourraient
survenir dans cette région dans les quelques années qui viennent. Sur ce point, je
suggère fortement la lecture de l‟ouvrage de Paul Baer :
Iran : l’irrésistible ascension, éd. folio, 2008
L‟auteur en est un ancien officier de la CIA, et à ce titre, il connait fort bien cette
région depuis 1978. Son livre constitue une analyse approfondie des évènements
que celle-ci a traversés depuis cette date. Il prévoit des perspectives politiques fort
inattendues sur son avenir et celui du Moyen Orient dans son ensemble.
***
Dans la province ouest de l’Afghanistan, autour de la ville d‟Hérat, les Iraniens sont
très présents chez les chiites de cette région. Les Talibans n‟y sévissent pas, et les
troupes de l‟OTAN n‟y sont pas présentes non plus. Il est à prévoir que cette partie
échappe à Kaboul lorsque l‟OTAN en partira. C‟est une situation qui est certainement
connue de l‟état-major étasunien, mais la presse n‟en parle jamais.
Cette dernière situation n‟est pas exceptionnelle en Afghanistan, car les diverses
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