LA RÉSILIENCE, UN CONCEPT INCERTAIN
LA RÉSILIENCE EXISTE-T-ELLE ?
Il semble y avoir plusieurs raisons d’ordre épistémologique qui peuvent nous
conduire à nous demander si la résilience existe vraiment.
La première raison est la définition floue, variable, polysémique et largement
métaphorique de la résilience. Que l’on pense par exemple à cette comparai-
son de la résilience avec le phénomène physique de résistance à la déforma-
tion et à l’écrasement, « travail nécessaire pour rompre, par flexion sous l’effet
d’un choc, une éprouvette portant une entaille de forme et de profondeur déter-
minées » (Colombier et Henri, 2002). Il convient de se demander dans quelle
mesure et sous quelles précautions cette notion est transposable, même
comme métaphore, aux événements de la vie.
La deuxième raison est que le concept de résilience se trouve nécessaire-
ment associé à un autre concept, celui de traumatisme psychique, de définition
tout aussi ambiguë ou discutée que celle de la résilience. Cet accolement à un
autre concept incertain, et dans une démarche de définition, pose en lui-même
un problème épistémologique inhabituel.
Il existe également une confusion possible voire facile, ou bien peut-être
même un recouvrement partiel, du concept de résilience avec d’autres
concepts comme celui de coping ou de défense (Anaut, 2003, p. 63).
Enfin, l’attestation par des témoignages multiples utilisée comme « démons-
tration » de la résilience, la construction du concept autour d’histoires racontées
et non pas à partir d’une évidence empirique, l’absence de dispositif d’attesta-
tion et de démonstration expérimentale constituent d’autres raisons qui nous
incitent à mettre en cause le concept même de résilience.
Des raisons plus sociologiques en lien avec la production des objets scien-
tifiques, voire des raisons d’ordre ethnologique vont abonder dans le sens de
cette remise en cause. On peut ainsi se demander s’il ne s’agit pas de la créa-
tion de novo d’occasions publicatoires, dans la lignée de ce que Bourdieu
appelle le capitalisme scientifique (Bourdieu, 1997, p. 28 sq). On peut se
demander également si cette attention à la résilience ne relève pas tout sim-
plement d’une mode scientifique, ou d’une pseudo-innovation dans un champ
scientifique donné qui serait celui de la psychologie clinique, voire s’il ne s’agit
pas d’une « scientifisation » abusive (demi-objectivation savante ou objectiva-
tion demi-savante) (Bourdieu, 1997, p. 39) d’une évidence, simplement par le
fait que l’on réalise une approche quantitative ou mathématisée d’une réalité
plus simple ou moins accessible. La question serait alors de savoir laquelle.
Nous devons enfin, sur le plan ethnologique, nous poser la question de
l’existence de la résilience, parce qu’il existe une similitude de structure trou-
blante entre le couple traumatisme-résilience et les couples judéo-chrétiens de
mort-résurrection et de faute-pardon. Il pourrait s’agir alors d’un schème très
classique, qui au XXesiècle aurait été affublé du nom de résilience, notamment
pour les raisons évoquées plus haut.
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VION-DURY