Revue Médicale Suisse
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6mai 2009 0
CHANGEMENTS POUR LE PATIENT,
CHANGEMENTS POUR LE SOIGNANT
L’exemple de l’infection VIH illustre remarquablement
comment les progrès de la thérapeutique ont transformé
une maladie d’évolution rapidement fatale il y a encore à
peine plus de dix ans, en une maladie chronique, traitable
et bien souvent silencieuse aujourd’hui.4Si cette évolu-
tion a bien évidemment radicalement changé les perspec-
tives du patient, elle a également redéfini la position du
soignant.
Pour le patient, toute maladie chronique renvoie à la
perte du sentiment d’intégrité, à la perte d’une condition
antérieure impliquant donc un processus d’acceptation de
lamaladie chronique bien décrit par A. Lacroix dans son
modèle s’inspirant de celui d’E. Kubler-Ross décrivant le
processus de deuil.5En contraste des symptômes et des
souffrances de la maladie aiguë, la maladie chronique s’il-
lustre par la menace de détérioration, de décompensation.
Elle impose bien souvent un traitement ou des change-
ments visant à maintenir un capital de santé plutôt qu’à
améliorer une condition actuelle. Alors que la maladie aiguë
nécessite un traitement limité dans le temps, pouvant par-
fois être prodigué par une tierce personne, la maladie chro-
nique implique un traitement s’inscrivant dans la durée et
assumé principalement par le patient lui-même. Dans l’his-
toire de la personne, arrive un jour où la maladie chroni-
que fait irruption dans le quotidien comme un hôte indé-
sirable avec lequel il va falloir apprendre à composer pour
poursuivreson projet de vie. Au coût psychologique s’ajou-
te encorecelui des répercussions familiales et sociopro-
fessionnelles.
Pour le soignant, s’occuper d’un malade chronique re-
présente un réel changement de paradigme. En nécessi-
tant un traitement au long cours, le VIH fait à ce jour figure
d’exception en infectiologie. En effet, habituellement dans
le cadre de maladies infectieuses, le médecin peut pres-
crire un traitement qui, très généralement, fait disparaître
les symptômes et est limité dans le temps. Dans le con-
texte du VIH, avec cette perspective de chronicité, le trai-
tement est pris pour conserver un capital de santé et non
pour soulager un symptôme, ce qui redéfinit très directe-
ment la posturedechacun des partenaires de la relation
thérapeutique. Notamment le médecin qui doit abandon-
ner son rôle de «médecin-guérisseur» pour celui «d’accom-
pagnateur ressource». Sans la prise de conscience de ce
changement de posture, médecins et patients s’exposent
au risque de grandes frustrations.
En France, depuis la fin des années 1990, C. Tourette-
Turgis et M. Rebillon se sont intéressées à l’accompagne-
ment des personnes sous traitement antirétroviral.6Leurs
travaux soulignent l’importance pour les intervenants dans
la prise en soins de ces patients de développer des com-
pétences nouvelles et proposent des outils pour aider les
soignants à travailler la motivation de leurs patients.7Ces
auteures décrivent notamment un modèle d’intervention
sur l’adhésion thérapeutique, baptisé MOTHIV,qui pro-
posent quatre cofacteurs déterminant l’adhésion au traite-
ment: cognitifs, émotionnels, comportementaux et sociaux.
L’exploration de ces quatredomaines permet d’identifier
là où la personne rencontre le plus d’obstacles et d’ainsi
tenter avec elle de les réduire, d’évaluer si certains cofac-
teurs peuvent contrebalancer l’influence négative des au-
tres et, si tel est le cas, de tenter de renforcer les cofacteurs
positifs. L’exemple de ce travail souligne combien la prise en
charge des personnes porteuses du VIH implique aujour-
d’hui une approche centrée sur la personne dans une pers-
pective bio-psycho-sociale. En clinique, l’utilisation de ce
modèle d’intervention a montré son efficacité dans une
étude randomisée contrôlée avec un impact significatif sur
l’adhésion thérapeutique et sur la virémie à six mois.8
SPÉCIFICITÉ DE LA PROBLÉMATIQUE DU VIH
Nous avons évoqué ci-dessus certains aspects de la
problématique de la personne infectée par le VIH qui sont
communs à d’autres maladies chroniques (acceptation de
la maladie, adhésion au traitement, motivation, etc.), tou-
tefois, il nous semble important de souligner certaines ca-
ractéristiques qui sont certainement plus spécifiques à
l’infection VIH. Il s’agit d’une maladie très médiatisée, dont
les messages sont devenus plus complexes, soulignant la
tension qui existe entre la nécessité de prévention et l’in-
formation au sujet des succès thérapeutiques majeurs.
Cette médiatisation peut être utile mais comporte certai-
nement des revers. L’écho dans le grand public a permis
une mobilisation importante, notamment des récoltes de
fonds pour la recherche. Cet écho a probablement égale-
ment permis à certains patients de lever des tabous, de
sortir du poids du secret. Mais dans le grand public, les
réactions ont pu passer d’un extrême à l’autre:d’une peur
panique de la contamination jusqu’à une certaine banali-
sation depuis l’arrivée de traitements efficaces. Par ailleurs,
l’infection à VIH touche aux comportements sexuels, avec
le spectre de la mort qui menace des êtres humains en bon-
ne santé. Une maladie pour laquelle on parle de «com-
portements à risque» avec toute la part de culpabilité et
de responsabilité que cela sous-entend. Une maladie où
l’on décrit une catégorie de «patients victimes» qu’ils soient
conjoints ignorants, victimes de viols ou encore de trans-
fusions contaminées. Le sentiment de rejet, de stigmatisa-
tion décrit par les patients malades chroniques est certai-
nement ici renforcé par la crainte de contamination. Enfin,
nous avons également déjà relevé la rapidité avec laquel-
le les progrès scientifiques ont fait évoluer la réalité cli-
nique des patients. A ceci viennent encores’ajouter des
facteurs culturels et sociaux nombreux et variés. A Genève,
ville internationale avec une importante population migran-
te, la consultation VIH des HUG fait face quotidiennement
àdes difficultés liées aux barrières culturelles, ainsi qu’à
des détresses sociales extrêmes.
Si tous ces aspects sont autant de souffrances qui alour-
dissent avant tout le quotidien des personnes porteuses
de la maladie et leur entourage, ils représentent aussi une
complexité nouvelle pour les soignants. C’est pourquoi,
comme mentionné en introduction, ce programme vise non
seulement à améliorer les compétences des patients dans
la gestion de leur maladie et de leur traitement, mais éga-
lement à développer les compétences des soignants dans
l’identification des besoins, qu’il s’agisse des besoins de
leurs patients ou de leurs propres besoins de thérapeute.
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