"Quaderno di Strada" de Salvatore Sciarrino

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AVANT-PROPOS
Deux fois j’ai eu l’occasion d’écouter Quaderno di strada
de Salvatore Sciarrino en concert. La première fois à Paris,
en octobre 2005, à l’occasion du Festival d’Automne, la
deuxième à Marseille en mai 2006, au cours du festival « Les
musiques » du GMEM. La voix était toujours la même, le
baryton Otto Katzameier, mais le chef d’orchestre et
l’ensemble instrumental étaient différents. À Paris, Peter
Rundel dirigeait l’Ensemble Recherche, à Marseille,
Lorraine Vaillancourt était à la tête du Nouvel Ensemble de
Montréal (NEM). L’interprétation parisienne fut plus analytique, l’interprétation marseillaise plus dramatique.
Tandis que la première fois j’avais surtout été étonné par
la condensation des images poétiques et par la variété des
épisodes et de l’écriture musicale, la deuxième fois c’est la
richesse de liens entre Quaderno di strada et les œuvres
composées par Sciarrino au cours de la gestation de ce
recueil de mélodies qui m’a particulièrement surpris. Des
premières annotations à la rédaction finale, cette gestation
dura plus de trois lustres. Tout en gardant son caractère
individuel et unique, cette œuvre est comme un sublimé de
la musique vocale et de la dramaturgie sonore du compositeur.
La prise de conscience de cette qualité m’a incité à placer
les trois chapitres destinés à l’analyse de l’œuvre (« De la vie
à la vie », « Prolégomènes à l’analyse de la mélodie figurale
et de l’image musicale » et l’analyse véritable) à l’intérieur
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du cadre de la production d’œuvres vocales et théâtrales
précédant et suivant l’achèvement du Quaderno di strada.
Centré sur l’œuvre analysée, ce livre est donc aussi une introduction à la dramaturgie musicale de Salvatore Sciarrino. Le
compositeur italien ayant fondé depuis un quart de siècle sa
musique vocale et théâtrale sur un traitement très personnel
du texte et de la vocalité, c’est surtout la spécificité de ce traitement que je m’engage à explorer au cours de l’analyse.
Est-ce une simple coïncidence que ce livre paraisse en
2007, l’année du soixantième anniversaire du compositeur?
Quoi qu’il en soit, il est dédié à son génie qui échappe à la
chronologie du temps événementiel. En voici la preuve:
l’élaboration du texte, basé sur d’anciens poèmes japonais,
les décors sonores inspirés par « une perception objective de
la nature » relient Da gelo a gelo, l’œuvre théâtrale de
Sciarrino achevée après Quaderno di strada aux exordes du
compositeur, à sa première jeunesse lorsque, selon ses mots,
il ne faisait que mettre des haiku en musique. Non, le temps
sciarrinien n’est pas le temps chronologique, mais le temps
de la remémoration des « petites phrases » de l’enfance, le
temps circulaire de la « ritournelle », sauvant les images poétiques et sonores du jadis et du présent, et nous faisant vivre
ainsi un peu de temps à l’état pur.
Paris, décembre 2006
Gianfranco Vinay
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