« Dynamique de l`entreprise, compétitivité de la nation »

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« Dynamique de l’entreprise, compétitivité de la nation »
”Whereas ten years ago economists and policymakers routinely discussed competitiveness on the
basis of aggregate trade and investment flows, it has become unimaginable to overlook the firm
level dimension of international economic performance (…). It is firm that trade. This simple truth
has become obvious and to speak of competitiveness without speaking of firms is now as awkward
as to speak of employment without speaking of job destruction and creation.”
Jean Pisani-Ferry, 2012.
Le développement de l’économie luxembourgeoise moderne s’est appuyé sur l’industrie
sidérurgique depuis le 19e siècle jusqu’à la grande crise industrielle des années soixante-dix.
Depuis trente ans, cette économie est caractérisée par une croissance soutenue, un faible taux de
chômage, une balance courante excédentaire et des surplus budgétaires conséquents. Cette
nouvelle période de prospérité - parfois appelée la « 2e révolution industrielle » - est étroitement
adossée à l’expansion de la place financière au début des années quatre-vingt. Cette manne a
permis une mutation structurelle de l’appareil de production, passant d’une économie
manufacturière à une industrie servicielle. Toutefois, cette phase d’expansion sans précédent
semble s’essouffler à son tour. Un premier ralentissement notable de l’économie est survenu en
2001-2002 avec l’explosion de la bulle de la « nouvelle économie ». La crise financière de 2008 et
la récession qui a suivi ont provoqué de nouveau un brutal ralentissement de la croissance et une
inflexion majeure de la trajectoire de la croissance potentielle.
Cependant, ce ne sont pas les pays qui exportent mais les entreprises! La compétitivité du
Luxembourg doit donc être analysée à partir de celle de ses entreprises. « La compétitivité d’une
entreprise représente ses performances à long terme c’est-à-dire sa capacité à vendre et fournir
durablement des biens ou services, à croître et rester rentable sur un marché en situation de
concurrence. Une entreprise dite compétitive obtient des résultats supérieurs à la moyenne.»
(Porter, 1985). Les 18 contributions de ce Cahier économique mobilisent les données collectées
pour la plupart sous l’égide du STATEC et principalement auprès des entreprises : Répertoire des
entreprises ; Enquête structurelle d'entreprises (SBS) ; Enquête communautaire sur l'innovation
(CIS) ; Enquête annuelle sur l'usage des Technologie de l’Information et des Communications
(TIC) ; COMEXT, base de données du commerce extérieur ; Continuing Vocational Training
Survey (CVTS) ; Global Entrepreneurship Monitoring (GEM). L'exploitation intensive des sources
de données individuelles, leur fusion et leur mise en panel donnent des éclairages précieux et
dressent un panorama précis et nuancé des dynamiques à l’œuvre et de l’état du tissu productif du
Luxembourg.
Les cinq parties de ce nouveau Cahier économique explorent tous les déterminants de la
compétitivité des entreprises : leur productivité, leur propension à dégager des profits en situation
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de concurrence, leur capacité à gagner des parts de marché et à développer de nouveaux
marchés, autrement dit leur capacité à innover dans toutes les acceptions du terme.
1. CO MPÉTITIVI T É ET SPÉ CIALI SATION DANS UN E PETITE ÉCONOMI E OUVER TE
La première partie, intitulée Compétitivité et spécialisation dans une petite économie ouverte, part
de l’analyse des performances à l’exportation de biens puis s’intéresse à son premier déterminant :
la productivité globale des facteurs dans les entreprises industrielles. La mesure de la productivité
réalisée au niveau des branches d’activités inclut les activités de service. Les branches dans
lesquelles la productivité augmente tirent le plus souvent leur dynamique du progrès technique
dans les services comme dans l’industrie.
Le premier indicateur de compétitivité d’un pays est le solde de sa balance courante.
Depuis 2000, ce solde est continument excédentaire au Luxembourg et l’excédent provient
du solde de la balance des services. La balance des biens est au contraire déficitaire de
longue date et le déficit s’accroit depuis 2009 pour atteindre 15% du PIB en 2012. La
dégradation de cet indicateur est le révélateur du déclin des activités industrielles.
En calculant un « indice de sensibilité au prix » des biens exportés, on peut distinguer les
deux déterminants importants de la compétitivité : le prix et le hors prix c’est-à-dire, d’une
part, les coûts des facteurs de production, et d’autre part, le positionnement dans la
gamme des biens exportés et la spécialisation sectorielle. Les exportations de biens du
Luxembourg sont particulièrement sensibles aux prix. L’augmentation de l’indice montre
que la position concurrentielle hors prix du Luxembourg s’est dégradée notamment après
la crise de 2008. L’indice est parmi les plus élevés de la comparaison internationale
classant le Luxembourg juste derrière la Chine. La gamme des produits exportés est
globalement comparable à celui de la France et de l’Espagne. Toutefois les exportations
de biens du Luxembourg sont constituées pour l’essentiel de fer et d’acier, de machines et
d’équipements - catégories de produits particulièrement sensibles à la concurrence en prix.
De ce fait, l’écart de compétitivité hors prix vis-à-vis de la plupart des pays européens peut
être attribué à la spécialisation sectorielle des produits exportés. C’est seulement à l’égard
de de la Suisse que les différences dans le niveau de qualité des produits échangés
expliquent 41% de l’écart de compétitivité hors-prix.
Les sources et les faiblesses des exportations des entreprises du Luxembourg doivent être
appréhendées à travers l’évolution de leur productivité. La mesure de la productivité
globale des facteurs impose l’estimation d’une fonction de production au niveau entreprise.
La croissance des gains de productivité observés dans une branche d’activité provient des
gains obtenus par l’augmentation de la productivité des entreprises de la branche
(composante intra), par l’augmentation de la part de marché des entreprises les plus
performantes (composante inter), par la création de nouvelles entreprises plus productives
ou encore par la disparition des entreprises les moins performantes. La décomposition des
gains de productivités entre ces quatre sources et leur évolution montrent que l’impact de
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la crise n’a pas été immédiat dans l’industrie, mais en a profondément modifié la trajectoire
de long terme. Le processus de réallocation des facteurs de production s’est accéléré à
travers la disparition et la réduction des activités des entreprises les moins productives.
Le rythme de croissance relativement élevé de la productivité globale des facteurs (PGF)
dans l’ensemble de l’industrie est largement déterminé par la dynamique de l’industrie de
fabrication de produits métalliques. Dans cette branche, l’activité économique globale s’est
contractée entrainant la disparition des entreprises les moins productives. Ainsi, les gains
d’efficacité dans l’allocation des facteurs alisés après 2002 résultent du mécanisme de
«nettoyage du marché» opéré par la récession. Le principal moteur de la croissance de la
productivité provient des gains d’efficacité obtenus individuellement par les entreprises
restées actives et a contribué à renforcer la croissance jusqu’à fin 2007. L’importance de
cet effet tient à la profonde restructuration de la production au cours de laquelle les
ressources ont été transférées de l’industrie de l’acier vers les services aux entreprises qui
sous-tendent le développement des services financiers. En revanche, la allocation des
parts de marchés entre les entreprises restées actives n’est pas une source majeure de
gain de productivité.
Les indicateurs de productivité montrent que la période de croissance rapide a atteint ses
limites avec la crise du secteur financier intervenue en 2007-2008 bien que le Luxembourg
ait accru sa part dans le commerce international et que ce résultat soit entièrement
imputable aux exportations de services dont l’augmentation fait plus que compenser les
pertes enregistrées dans les échanges de biens. En effet, la part des exportations de
services dans les échanges mondiaux atteint 1,75% - ce qui est élevé, eu égard à la taille
du pays - cette proportion est de 15% plus élevée en 2013 qu’en 2002.
La productivité globale des facteurs a été mesurée au niveau des branches d’activités sur
la période 1995-2009. Dans les services, l’industrie financière s’est modifiée
structurellement : les performances de l’industrie des fonds, une activité au plus fort
contenu en innovation, ont progressivement supplanté les activités d’intermédiation
bancaire qui cependant reste prépondérantes en termes d’emploi. Ensemble, les services
financiers et les services aux entreprises représentent environ un tiers de l’emploi dans les
activités de service. De plus de nombreuses activités de services sont étroitement liées à
l’industrie financière qui est un client important pour l’immobilier et les services
informatiques et juridiques. Toutefois, l’emploi, resté relativement stable pendant la crise,
n’a recommencé à augmenter que dans les assurances et les services auxiliaires
d’assurances. Ces derniers ont connu une croissance forte et rapide de leur productivité
qui s’est poursuivie durant la récession tandis que les services d’intermédiation financière
traditionnels subissaient un fort ralentissement amorcé depuis plusieurs années déjà.
La croissance moyenne de la productivité sur les 15 dernières années est soutenue.
Toutefois, la crise de 2008 a provoqde profondes ruptures dans cette dynamique. Sans
surprise, dans la plupart des branches d’activités, la croissance moyenne de la productivité
est plus faible pour la période 2007-2009. Cependant, les assurances et les services
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auxiliaires d’assurance, ainsi que les services informatiques et les télécommunications se
distinguent par un taux de croissance encore plus élevé depuis 2007. Pour ces branches,
le progrès technique est à l’origine de de la croissance de la productivité. Les activités qui
ont le mieux amorties la crise sont aussi celles qui affichent les meilleures performances
en termes de productivité. Ainsi, la production et distribution d’eau; assainissement,
gestion des déchets et pollution, la fabrication de produits métalliques, la fabrication de
machines et équipements, la fabrication de matériels de transport et la construction
présentent une croissance moyenne de la productivité totale des facteurs positive y
compris de 2007 à 2009.
Ces résultats par branches d’activités sont déterminés par la dynamique concurrentielle
que l’on peut appréhender à travers l’analyse des créations et des destructions
d’entreprises. Les entreprises entrent et sortent du marché selon les flux de profits qu’elles
anticipent, lesquels sont corrélés positivement avec les profits mesurés par la marge
bénéficiaire dans les entreprises du Luxembourg.
Le taux d’entrée annuel moyen est 0,7% dans les branches de l’industrie dont 23%
proviennent de la fabrication de machine et d’équipement et presque autant de la
fabrication de produits alimentaires, boissons et tabacs. Le taux de sortie annuel moyen
est de 2,1% dont 25% proviennent également de la fabrication de machine et
d’équipement et 20% de la fabrication de produits alimentaires, boissons et tabacs. 19%
du taux d’entrée et du taux de sortie sont le fait de la fabrication de produits métalliques de
base. La plupart des entrants et des sortants sont des petites entreprises. Le taux d’entrée
dans les Services est de 1,6% (hors secteurs financiers et assurances). Le Commerce de
gros est de détail représente 31% de l’emploi total dans les entreprises de services
nouvellement créées avec la Construction, les Activités scientifiques et techniques et les
Services support et administratifs, ils constituent l’essentiel des emplois dans les
entreprises nouvelles. Les taux de sortie dans les Services aux entreprises sont
particulièrement faibles et l’essentiel des entreprises de services qui quittent le marché
provient du secteur du Commerce de gros et de détail. Le Commerce et la Construction
sont les secteurs les plus importants en termes d’emplois (hors secteur financier). La
Construction connait une croissance rapide avec un taux de sortie très modéré suggérant
que les opportunités de profit y sont plus importantes que dans le commerce.
En dépit d’une dynamique de réallocation des ressources vers des activités économiques
émergentes plus profitables, les taux d’entrée et de sortie des producteurs sont faibles
dans les principales activités économiques. Il semble que les entreprises réduisent ou
redéployent leurs activités en faveur des plus profitables plutôt que de sortir du marché. De
même, pour capter des parts de marcdans les activités en forte expansion, il est plus
fréquent de voir les entreprises existantes augmenter leur taille plutôt que de voir de
nouvelles entreprises entrer sur le marché.
La productivité du travail des nouveaux entrants est plus élevée que la moyenne, mais les
entreprises qui sortent du marché sont, elles aussi, plus productives en moyenne dans
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l’industrie comme dans les services. Puisque les profits qu’elles anticipent sont
positivement corrélés à leur productivité, la productivité élevée des entreprises sortantes
signale une mauvaise sélection par le marché. Enfin, bien que les exportations
n’influencent pas directement le niveau de productivité d’une entreprise en particulier, elle
devrait accroitre la productivité agrégée en déplaçant des ressources vers les
établissements les plus productifs. En effet, les entreprises les plus productives tendent à
exporter de façon plus intensive, et les entreprises exportatrices devraient voir leur taille
augmenter pour répondre à l’augmentation de la demande qui leur est adressée.
Cependant, au Luxembourg, la taille de l’entreprise est négativement corrélée à la
productivité du travail.
2. CO MPÉTITIVITÉ HORS C OÛT DU LU XEMBOURG
La deuxième partie du cahier réunit des contributions relatives à La compétitivité hors coût du
Luxembourg. Le degré de concurrence auquel sont confrontés les entreprises sur leur marché et
ses liens avec la propension à innover sont les déterminants de la compétitivité analysés dans
cette partie. Deux contributions complémentaires envisagent ensuite l’impact de la formation
continue puis de la diffusion des technologies de l’information et de l’innovation sur l’évolution de la
productivité globale des facteurs;
La relation entre concurrence et innovation est décrite par une courbe en U inversée : dans
la première partie de la courbe la concurrence est faible et n’incite pas suffisamment les
firmes à innover. Un accroissement de la pression concurrentielle poussent les entreprises
à proposer de nouveaux produits pour échapper à cette concurrence ou à développer de
nouveaux procédés pour réduire leur coût et proposer de nouveaux produits. C’est l’effet
dit arrownien. Dans la seconde partie de la courbe, la pression concurrentielle devient si
forte qu’elle empêche les entreprises qui innovent de retirer les bénéfices attendus de
leurs efforts d’innovation et les conduit à renoncer ou à sous investir dans les activités
d’innovation. C’est l’effet dit « schumpetérien ». Les différents marchés soumettent les
entreprises à des pressions concurrentielles variables en intensité et en nature
concurrence par les prix, par les technologies, par la vitesse de remplacement des produits
en fonction de leur positionnement sur la courbe.
Les coefficients de corrélation entre le type de concurrence tel qu’il est perçu et les
performances technologiques des entreprises du Luxembourg sur la période 2002-2010,
montrent que les entreprises sont d’autant plus incitées à entreprendre des activités
d’innovation qu’elles se sentent menacées par des entreprises qui utilisent des
technologies de production plus performantes ou qui proposent des produits nouveaux.
Puisque le niveau des coûts d’entrée est moins élevé dans les secteurs à basse
technologie et à faible intensité de connaissance, la concurrence de nouveaux entrants
potentiels sur le marché est plus menaçante. Les entreprises dont le marché principal
connait une obsolescence rapide des produits, ont une propension à innover en produit ou
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