Une fois, présupposée la dignité humaine, il suit que tout homme a le sentiment de sa
dignité ou le sens de sa dignité. Autrement dit, il sait d’avance qu’il a des devoirs envers lui-
même (être quelqu’un de bien, de propre, de droit), que les autres ont à le respecter c’est-à-
dire à limiter ce qu’ils peuvent penser, dire ou faire à son endroit et que lui-même doit
pouvoir être à même d’accomplir ses devoirs envers autrui : il se vit en homme responsable
en tant qu’il est l’auteur de ses actions et envisage leurs effets sur autrui.
On sait que ce sentiment est indépendant de la richesse ou de la misère, qu’il ne joue pas le
jeu des différentes couches de la société. Ceci est une autre façon de dire que dignité et prix
sont, non seulement opposés, mais transcendants l’un à l’autre : d’un autre registre.
Exemple de Nelson Mandela obtenant un pantalon comme les prisonniers blancs au lieu du
short pour les noirs à la prison de Robben Island. Il refusait un signe vestimentaire
d’humiliation et imposait au directeur de la prison d’être respecté en tant qu’homme (extrait
le chemin vers la liberté). Chacun a en mémoire l’étoile jaune imposée aux juifs durant la
Seconde Guerre Mondiale.
Ces deux exemples historiques montrent combien parfois le cours de la vie, des moments de
l’Histoire où le sujet n’est plus celui qui répond de sa propre dignité ; et c’est délicat. Ici,
intervient le droit. En droit, une personne est le sujet qui répond pour son corps, pour sa
conscience, pour ses actions mais si le sujet est trop jeune (bébé) ou trop vieux (vieillard) ou
un adulte en perte des capacités de se prendre en charge (les prisonniers, les juifs durant la
guerre ou les migrants par exemple). C’est un autre, une personne physique ou morale qui se
doit de veiller, à sa place, à sa dignité.
Quand on en arrive aux questions d’éthique pratique, quand il y a des comités d’éthique et
des lois proposées et votées, l’Etat lui-même est une instance qui joue un rôle pas forcément
recommandable, malgré les bonnes intentions affichées. En effet, l’Etat ( le gouvernement
de Vichy par exemple) alors dessaisit les hommes, les citoyens qui vivent sur un territoire, de
leur droit intime de juger ce qui convient ou disconvient à ce qu’ils estiment être leur
sentiment de dignité. En un sens, cette fonction régalienne n’est que traditionnelle. Depuis
l’Antiquité, une puissance souveraine (l’Etat, l’Eglise) s’est sentie dépositaire légitime du
droit de vie ou de mort et en a dépossédé les hommes ou les femmes. Ce n’est donc pas
évident au citoyen d’être sujet au sens moral que nous décrivions c’est-à-dire être celui qui
est responsable de sa dignité, de ses devoirs envers soi , envers les autres et de se
défendre contre ce qui le rend passif et humilié.
Cette dépossession peut prendre une certaine figure ici, une autre là, selon les Etats. C’est
ainsi que Gandhi a pu, en son temps, faire des grèves de la faim pour obtenir la libération de
l’Inde du joug des anglais par exemple.