16 « COP21 : quels instruments économiques
privilégier ? »
Guillaume SAINTENY,
président de GS Conseil,
enseignant à AgroParisTech
Entretien par
François Guy TRÉBULLE,
professeur à l’École de droit de la Sorbonne,
université Paris I Panthéon Sorbonne,
codirecteur scientifique de la revue Énergie-Environnement-Infrastructures et
du JurisClasseur Environnement et Développement durable
La question de la fiscalité s’impose dans un dossier consacré à la COP21 et plus généralement au
changement climatique. Guillaume Sainteny, spécialiste de la fiscalité environnementale, nous éclaire sur
l’utilisation de ces instruments fiscaux à l’approche de la convention de Paris. L’auteur, qui vient de publier
aux Éditions Rue de l’Échiquier l’ouvrage « Le climat qui cache la forêt : comment la question climatique
occulte les problèmes d’environnement », répond aux questions de François Guy Trébulle, co-directeur
scientifique de la revue Énergie-Environnement-Infrastructures et du JurisClasseur Environnement et
Développement durable.
François Guy Trébulle : Le rapport Stern-Calderon, après
d’autres, invite à éliminer les subventions aux énergies fossiles
et aux intrants agricoles. Comment percevez-vous cette invi-
tation ?
Guillaume Sainteny : Bien, naturellement. Ce sujet est rappelé
régulièrement par les instances les plus diverses et les plus
légitimes : AIE, Banque mondiale, OCDE, PNUE, UE, etc. Il est
majeur. Pourtant, comme vous pouvez le constater, il ne fait
pas la une des medias et n’est jamais mentionné comme un
des points centraux de la COP21. Parmi les critères de réussite
de cette COP, on fait figurer, au premier rang, la concrétisation
de financements additionnels de 100 Mds de dollars pour les
pays du Sud. Or, ces 100 Mds de dollars ne serviront pas à
grand-chose si les subventions ne diminuent pas. Il convient
de rappeler les ordres de grandeur. Les subventions publiques
aux énergies fossiles représentent environ 550 Mds de dollars
par an avant impôts et 4900 Mds de dollars par an après
impôts. Que représentent 100 Mds de dollars par rapport à
cela ? Moins d’un cinquième dans le premier cas, 2 % dans le
second cas.
En outre, 90 % du premier montant et 75 % du second
proviennent des pays du Sud. Par exemple, en 2013, l’Iran
versait 84 Mds de dollars de subventions publiques par an,
l’Arabie saoudite, 62, la Russie, 47, le Venezuela, pays en
quasi banqueroute, 47, etc. Dans certains pays, ces montants
sont supérieurs au budget de l’éducation ou de la santé,
exemple même d’un développement non durable. Outre,
l’efficience énergétique et la diminution de la pollution
atmosphérique, l’élimination de ces subventions permettrait
de réduire les émissions de CO
2
liées à l’énergie de 6 % dans
le premier cas et de 24 % dans le second.
La diminution des subventions est probablement le moyen le
moins coûteux, le plus rapide et procurant le plus de
cobénéfices (en terme de qualité de l’air, de biodiversité, de
balance commerciale, d’amélioration de l’efficience énergé-
tique, de baisse des déficits publics, d’accroissement de la
compétitivité des ENR, de marges budgétaires pour les poli-
tiques éducatives, sanitaires et de développement, etc.) de
réduire les émissions de CO
2
.
Les pays du Sud réclament, certes, des financements clima-
tiques additionnels importants de la part des pays du Nord,
pour s’engager. Mais s’ils ne réduisent pas, dans le même
temps, leurs subventions aux fossiles, ces fonds ne seront
guère efficaces. Les deux sujets devraient être liés. C’est l’une
des propositions que je fais dans mon livre « La Forêt qui
cache le climat » (Rue de l’échiquier) qui vient de sortir. Et je
m’étonne qu’ils ne le soient pas. Les pays développés pour-
raient tout à fait conditionner le versement de financements
climatiques aux pays du Sud à la diminution, par ces pays, de
leurs soutiens aux fossiles.
« Le mécanisme de taxe
carbone adopté en 2014 finit
par se rallier à cette idée de
taxe différentielle. J’en suis
heureux »
François Guy Trébulle : Parmi les pistes considérées comme
prometteuses dans le cadre de la préparation de la COP21
figure l’attribution d’un prix au carbone. Comment analyser
cette demande et en quoi est-elle novatrice ?
Guillaume Sainteny : Elle veut tout et rien dire. Mais, en effet,
beaucoup d’économistes estiment qu’un tel prix, de préfé-
rence unique au niveau mondial, serait le moyen le plus avisé
de réduire les émissions de CO
2
. Personnellement, je m’inter-
roge un peu. D’abord, quelle serait l’efficacité d’un tel prix tant
que subsistent des subventions aux activités émettant des
GES ? Ces deux mécanismes agiraient en sens inverse. Ne
conviendrait-il pas d’abord d’éliminer ou de diminuer les
subventions publiques ? Sans quoi, ce prix du carbone risque
d’avoir peu d’impact. Ensuite, quelle forme prendrait ce prix ?
Une taxe ? Fixée à quel taux et pour quel usage ? Là est toute la
difficulté.
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ENERGIE - ENVIRONNEMENT - INFRASTRUCTURES - REVUE MENSUELLELEXISNEXIS JURISCLASSEUR - NOVEMBRE 2015
Dossier
Lors du travail sur le projet de taxe carbone en 2008, j’avais
personnellement défendu le principe d’une taxe différentielle
et non additionnelle, idée que j’avais réaffirmée, en 2012,
dans mon « Plaidoyer pour l’écofiscalité » (Buchet-Chastel).
Ce n’est pas la voie qui avait été alors choisie. Le mécanisme
de taxe carbone adopté en 2014 finit par se rallier à cette idée
de taxe différentielle. J’en suis heureux.
De fait, fixer un prix au carbone n’est pas une idée neuve. Il
s’agit, d’une application du principe de la tarification des
externalités. Si personne ne paye une externalité positive (l’air
pur par exemple), on la gaspille. Si personne ne paye une
externalité négative (les émissions de GES par exemple), elle
croit. Ce qui est gratuit n’a pas de valeur et l’on n’est pas incité
à le gérer rationnellement. C’est vrai pour l’eau, la biodiver-
sité, le silence, etc. Les émissions de GES sont bien une
externalité négative et, en ce sens, il est clair qu’elles méritent
d’être tarifées. Mais, pas plus que d’autres externalités. En
outre, elles le sont déjà en partie. Par exemple, en France, le
bonus-malus basé sur le CO
2
, la taxe additionnelle à la carte
grise pour les véhicules fortement émetteurs de CO
2
, la
modulation de la TVTS sur les véhicules en fonction du CO
2
sont des exemples de prix du carbone. De même, on peut
considérer que la TICPE, certes instituée pour des raisons
budgétaires, constitue aussi une forme de prix du CO
2
. 62 CE
par litre pour le SP, 48 CE par litre pour le gazole, ce n’est pas
rien. Si l’on traduit cela en taxation du CO
2
(et en excluant par
hypothèse les autres externalités, ce qui, évidemment, est
théorique) on aboutit, respectivement à 260 E/T et 180 E/T.
Certaines études estiment même que le SP est trop taxé, par
rapport aux externalités qu’il engendre en interurbain. À
l’inverse, d’autres produits sont tarifés très en dessous des
externalités négatives qu’ils entraînent. Ainsi, en suivant la
même démarche que ci-dessus, le fioul domestique n’est taxé
qu’à 28 E/TCO
2
, le charbon et les fiouls lourds, 14 E, le gaz
naturel, 12 E. Donc une tarification de l’externalité GES (ou
des activités émettant des GES) davantage en rapport avec le
coût de ces externalités correspondrait aussi à la fixation d’un
prix du carbone juste puisque basé sur son coût social.
« La réduction des subventions
publiques et des dépenses
fiscales relatives aux énergies
fossiles est un autre champ
possible pour une action inter-
nationale »
François Guy Trébulle : Peut-on envisager que l’instrument
fiscal soit employé pour dissuader d’investir dans certains
secteurs ? Si oui en quoi cette approche peut-elle compléter le
recours aux marchés de titres environnementaux ?
Guillaume Sainteny : Oui, bien sûr. Le bonus-malus, et les
autres mécanismes rappelés plus haut, par exemple, outre leur
effet sur le consommateur ont dissuadé les constructeurs
automobiles d’investir dans des véhicules très émetteurs de
CO
2
et les ont incités à avancer dans la mise au point de
moteurs moins émetteurs. La hausse pluriannuelle et annon-
cée à l’avance de la taxation de l’essence effectuée sous le
gouvernement Schröder en Allemagne a donné un signal de
moyen terme aux industriels allemands de l’automobile : cela
les a incités à mettre au point des véhicules plus économes.
+ 3 CE/litre/an, cela a tout de même fait plus de 15 CE/litre à
absorber en cinq ans. L’augmentation probablement inéluc-
table, à terme, de la fiscalité sur le gazole va peu à peu
détourner l’industrie automobile de cette motorisation. La
taxation des sacs plastiques réduit leur fabrication, etc.
François Guy Trébulle : Alors que le changement climatique
est un enjeu mondial, comment employer à bon escient des
instruments fiscaux par essence nationaux ? Existe-t-il une
possible solution fiscale globale dans le cadre de la lutte
contre le changement climatique et pourrait-elle abonder le
« fonds vert » ?
Guillaume Sainteny : Ici, le problème est bien plus juridique et
politique qu’économique. Les instruments fiscaux ne sont pas
uniquement nationaux. Plusieurs contre-exemples existent et
plusieurs choses pourraient être faites. Par exemple si ce qu’on
appelle les soutes internationales, c’est-à-dire les transports
aériens et maritimes, sont exonérées de fiscalité sur les
carburants, cela ne résulte pas de décisions nationales mais
internationales. Or, ces secteurs représentent, aujourd’hui,
4 % des émissions mondiales (soit 4 fois plus que celles de la
France) et sont en croissance rapide. Si ce secteur était un
pays, il serait le sixième émetteur mondial. La détaxation des
carburants aériens résulte de la Convention de Chicago de
1945. Mais qui pouvait imaginer, à l’époque, d’une part,
l’essor commercial considérable que prendrait l’aviation
commerciale et, d’autre part, l’ampleur du problème clima-
tique ? À l’évidence, cette convention n’est plus adaptée. Mais
sa modification ne relève pas de décisions nationales mais
d’un acte international. Si le carburant de ces soutes interna-
tionales était taxé, les recettes en découlant pourraient tout à
fait abonder le Fonds vert.
Dans le cadre de l’UE, la directive Eurovignette fixe des règles
de tarification des transports. Elle a été modifiée pour
permettre la prise en compte de trois externalités : la conges-
tion, le bruit et la pollution atmosphérique, ce qui est une
réforme heureuse. La directive sur les accises encadre le
pouvoir des États membres en matière de fiscalité énergétique.
Certes, elle est insatisfaisante, permettant l’exonération de
beaucoup de produits ou d’usages et fixant des taux minima
trop bas. Un projet de réforme intéressant avait été présenté il
y a quelques années. Il visait à fonder la taxation des produits
énergétiques sur deux composantes : la puissance énergétique
d’un côté et le contenu en CO
2
(taxé à 20 E/T) de l’autre. Il
n’était pas parfait mais c’était un vrai progrès. Il n’a pas été
adopté.
La réduction des subventions publiques et des dépenses
fiscales relatives aux énergies fossiles est un autre champ
possible pour une action internationale. Dans la refonte de la
gouvernance internationale du climat, ce sujet devrait être
prioritaire. Par exemple, l’attribution de financements par le
Fonds vert pour le climat pourrait être liée à une diminution
des subventions nationales aux énergies fossiles par les pays
destinataires de ces financements. L’Union européenne pour-
rait examiner la possibilité d’instaurer un ajustement carbone
aux frontières, notamment envers les pays refusant de dimi-
nuer leurs subventions aux fossiles. Il inciterait ces pays à les
réduire. Il contribuerait à rétablir la concurrence, faussée par
ces subventions. Son produit pourrait éventuellement être
utilisé pour des financements climatiques dans des pays
baissant effectivement leurs subventions.
Mots-Clés : Environnement et développement durable -
Développement durable - Changement climatique - COP 21
Environnement et développement durable - Développement
durable - Fiscalité - COP21
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ENERGIE - ENVIRONNEMENT - INFRASTRUCTURES - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - NOVEMBRE 2015 Dossier
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