Lors du travail sur le projet de taxe carbone en 2008, j’avais
personnellement défendu le principe d’une taxe différentielle
et non additionnelle, idée que j’avais réaffirmée, en 2012,
dans mon « Plaidoyer pour l’écofiscalité » (Buchet-Chastel).
Ce n’est pas la voie qui avait été alors choisie. Le mécanisme
de taxe carbone adopté en 2014 finit par se rallier à cette idée
de taxe différentielle. J’en suis heureux.
De fait, fixer un prix au carbone n’est pas une idée neuve. Il
s’agit, d’une application du principe de la tarification des
externalités. Si personne ne paye une externalité positive (l’air
pur par exemple), on la gaspille. Si personne ne paye une
externalité négative (les émissions de GES par exemple), elle
croit. Ce qui est gratuit n’a pas de valeur et l’on n’est pas incité
à le gérer rationnellement. C’est vrai pour l’eau, la biodiver-
sité, le silence, etc. Les émissions de GES sont bien une
externalité négative et, en ce sens, il est clair qu’elles méritent
d’être tarifées. Mais, pas plus que d’autres externalités. En
outre, elles le sont déjà en partie. Par exemple, en France, le
bonus-malus basé sur le CO
2
, la taxe additionnelle à la carte
grise pour les véhicules fortement émetteurs de CO
2
, la
modulation de la TVTS sur les véhicules en fonction du CO
2
sont des exemples de prix du carbone. De même, on peut
considérer que la TICPE, certes instituée pour des raisons
budgétaires, constitue aussi une forme de prix du CO
2
. 62 CE
par litre pour le SP, 48 CE par litre pour le gazole, ce n’est pas
rien. Si l’on traduit cela en taxation du CO
2
(et en excluant par
hypothèse les autres externalités, ce qui, évidemment, est
théorique) on aboutit, respectivement à 260 E/T et 180 E/T.
Certaines études estiment même que le SP est trop taxé, par
rapport aux externalités qu’il engendre en interurbain. À
l’inverse, d’autres produits sont tarifés très en dessous des
externalités négatives qu’ils entraînent. Ainsi, en suivant la
même démarche que ci-dessus, le fioul domestique n’est taxé
qu’à 28 E/TCO
2
, le charbon et les fiouls lourds, 14 E, le gaz
naturel, 12 E. Donc une tarification de l’externalité GES (ou
des activités émettant des GES) davantage en rapport avec le
coût de ces externalités correspondrait aussi à la fixation d’un
prix du carbone juste puisque basé sur son coût social.
« La réduction des subventions
publiques et des dépenses
fiscales relatives aux énergies
fossiles est un autre champ
possible pour une action inter-
nationale »
François Guy Trébulle : Peut-on envisager que l’instrument
fiscal soit employé pour dissuader d’investir dans certains
secteurs ? Si oui en quoi cette approche peut-elle compléter le
recours aux marchés de titres environnementaux ?
Guillaume Sainteny : Oui, bien sûr. Le bonus-malus, et les
autres mécanismes rappelés plus haut, par exemple, outre leur
effet sur le consommateur ont dissuadé les constructeurs
automobiles d’investir dans des véhicules très émetteurs de
CO
2
et les ont incités à avancer dans la mise au point de
moteurs moins émetteurs. La hausse pluriannuelle et annon-
cée à l’avance de la taxation de l’essence effectuée sous le
gouvernement Schröder en Allemagne a donné un signal de
moyen terme aux industriels allemands de l’automobile : cela
les a incités à mettre au point des véhicules plus économes.
+ 3 CE/litre/an, cela a tout de même fait plus de 15 CE/litre à
absorber en cinq ans. L’augmentation probablement inéluc-
table, à terme, de la fiscalité sur le gazole va peu à peu
détourner l’industrie automobile de cette motorisation. La
taxation des sacs plastiques réduit leur fabrication, etc.
François Guy Trébulle : Alors que le changement climatique
est un enjeu mondial, comment employer à bon escient des
instruments fiscaux par essence nationaux ? Existe-t-il une
possible solution fiscale globale dans le cadre de la lutte
contre le changement climatique et pourrait-elle abonder le
« fonds vert » ?
Guillaume Sainteny : Ici, le problème est bien plus juridique et
politique qu’économique. Les instruments fiscaux ne sont pas
uniquement nationaux. Plusieurs contre-exemples existent et
plusieurs choses pourraient être faites. Par exemple si ce qu’on
appelle les soutes internationales, c’est-à-dire les transports
aériens et maritimes, sont exonérées de fiscalité sur les
carburants, cela ne résulte pas de décisions nationales mais
internationales. Or, ces secteurs représentent, aujourd’hui,
4 % des émissions mondiales (soit 4 fois plus que celles de la
France) et sont en croissance rapide. Si ce secteur était un
pays, il serait le sixième émetteur mondial. La détaxation des
carburants aériens résulte de la Convention de Chicago de
1945. Mais qui pouvait imaginer, à l’époque, d’une part,
l’essor commercial considérable que prendrait l’aviation
commerciale et, d’autre part, l’ampleur du problème clima-
tique ? À l’évidence, cette convention n’est plus adaptée. Mais
sa modification ne relève pas de décisions nationales mais
d’un acte international. Si le carburant de ces soutes interna-
tionales était taxé, les recettes en découlant pourraient tout à
fait abonder le Fonds vert.
Dans le cadre de l’UE, la directive Eurovignette fixe des règles
de tarification des transports. Elle a été modifiée pour
permettre la prise en compte de trois externalités : la conges-
tion, le bruit et la pollution atmosphérique, ce qui est une
réforme heureuse. La directive sur les accises encadre le
pouvoir des États membres en matière de fiscalité énergétique.
Certes, elle est insatisfaisante, permettant l’exonération de
beaucoup de produits ou d’usages et fixant des taux minima
trop bas. Un projet de réforme intéressant avait été présenté il
y a quelques années. Il visait à fonder la taxation des produits
énergétiques sur deux composantes : la puissance énergétique
d’un côté et le contenu en CO
2
(taxé à 20 E/T) de l’autre. Il
n’était pas parfait mais c’était un vrai progrès. Il n’a pas été
adopté.
La réduction des subventions publiques et des dépenses
fiscales relatives aux énergies fossiles est un autre champ
possible pour une action internationale. Dans la refonte de la
gouvernance internationale du climat, ce sujet devrait être
prioritaire. Par exemple, l’attribution de financements par le
Fonds vert pour le climat pourrait être liée à une diminution
des subventions nationales aux énergies fossiles par les pays
destinataires de ces financements. L’Union européenne pour-
rait examiner la possibilité d’instaurer un ajustement carbone
aux frontières, notamment envers les pays refusant de dimi-
nuer leurs subventions aux fossiles. Il inciterait ces pays à les
réduire. Il contribuerait à rétablir la concurrence, faussée par
ces subventions. Son produit pourrait éventuellement être
utilisé pour des financements climatiques dans des pays
baissant effectivement leurs subventions.
Mots-Clés : Environnement et développement durable -
Développement durable - Changement climatique - COP 21
Environnement et développement durable - Développement
durable - Fiscalité - COP21
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ENERGIE - ENVIRONNEMENT - INFRASTRUCTURES - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - NOVEMBRE 2015 Dossier