CHAPITRE 2
Géométrie des nombres
Ce chapitre a pour but d’introduire la ométrie des nombres. Inventée 1par
Minkowski en 1896, elle consiste à donner une minoration du nombre des points
d’un réseau de l’espace euclidien Rnappartenant à une partie convexe donnée, et ce
en fonction de leurs volumes. Appliquées à certains réseaux de nature arithmétique,
ces estimations ont des conséquences nombreuses et spectaculaires appartenant à la
théorie des nombres. En guise d’illustrations, nous retrouverons dans ce chapitre les
deux résultats classiques suivants, et bien d’autres du même genre :
Théorème 2.1. (Fermat, Euler) Tout nombre premier congru à 1modulo 4est la
somme de deux carrés d’entiers.
Théorème 2.2. (Lagrange) Tout entier est la somme de quatre carrés d’entiers.
Les démonstrations originales de ces deux résultats (par Euler et Lagrange)
étaient basées notamment sur un argument de “descente infinie”. Il y en a eu de-
puis beaucoup d’autres. Dans la suite du cours, la théorie de Minkowski aura une
autre application importante : elle nous permettra de borner de manière efficace le
nombre de classes d’un corps de nombres. Elle permettrait aussi de démontrer le
“sens difficile” du théorème des unités de Dirichlet.
Références : P. Samuel, Théorie algébrique des nombres, Éd. Hermann, cha-
pitre 4.1.
I. Stewart & D. Tall, Algebraic number theory, Éd. Chapman & Hall, chapitres 6
et 7. Les preuves que nous donnerons des deux théorèmes ci-dessus sont notamment
issues du chapitre 7 de ce livre.
1. Réseaux de Rn
Fixons n1un entier. Dans tout ce chapitre, Vdésignera l’espace vectoriel Rn
muni d’une norme |.|fixée quelconque. Rappelons qu’une partie DVest discrète
si pour tout réel r > 0, l’ensemble {vD, |v| ≤ r}est fini. Cette propriété ne
dépend pas du choix de |.|par équivalence des normes sur V.
Définition 2.3. Un réseau de Vest un sous-groupe discret qui engendre Vcomme
R-espace vectoriel.
1. Minkowski, "Geometrie der Zahlen", http://www.archive.org/details/
geometriederzahl00minkrich.
21
22 2. GÉOMÉTRIE DES NOMBRES
Autrement dit, c’est une partie discrète LVtelle que pour tout a, b Lalors
abL, et telle qu’il existe e1, . . . , enLqui est une base du R-espace vectoriel
V. L’exemple typique est le sous-groupe Zndes éléments à coordonnées entières. En
guise d’autre exemple, l’ensemble
L0:= {(a, b)Z2, a 2bmod 3}
est aussi un réseau de R2. En effet, il est discret (car inclus dans Z2) et contient une
base de R2, par exemple (3,0),(0,3).
0
Figure 1. Le réseau L0
On rappelle qu’une famille e1, . . . , erd’un groupe abélien Gest dite Z-génératrice
(ou simplement génératrice si le contexte ne prête pas à confusion) si tout élément
de gs’écrit sous la forme Pr
i=1 mieiavec miZpour i= 1, . . . , r. On dit que c’est
une Z-base si de plus une telle écriture est unique.
Théorème 2.4. (Caractérisation algébrique des réseaux) Soit LVun sous-
groupe. Les conditions suivantes sont équivalentes.
(i) Lest un réseau.
(ii) Ladmet une famille finie Z-génératrice qui est une R-base de V.
En particulier, tout réseau de Rnadmet une Z-base à néléments.
Donnons quelques exemples avant d’entamer la démonstration. Tout d’abord, il
est évident que la base canonique e1, . . . , ende Rnest une Z-base de son sous-groupe
Zn: on a (mi) = Pimieipour tout m1, . . . , mnZ. De plus, remarquons aussi que
(1,1) et (2,1) forment une Z-base du réseau L0ci-dessus, de même que (3,0) et
(2,1). Cela résulte en effet des écritures :
(a, b) = a2b
3(3,0) + b(2,1),et (a, b) = a2b
3(1,1) + a+b
3(2,1).
Le sens (ii) implique (i) du théorème est le plus simple, résulte de la proposition-
definition qui suit.
1. RÉSEAUX DE Rn23
Proposition-Définition 2.5. Soit e={e1, . . . , en}une base de l’espace vectoriel
V, on note
L(e) = {m1e1+m2e2+··· +mnen, m1, m2, . . . , mnZ}
le sous-groupe engendré par e, c’est un réseau de V.
Notons qu’il est évident que eest aussi une Z-base de L(e). En considérant la
norme |Piviei|= supi|vi|sur V, il est clair que L(e)est une partie discrète de
V:L(e)est bien un réseau. Le théorème ci-dessus affirme que tout réseau est de la
forme L(e)pour une certaine R-base ede V.
Nous serons amené à introduire le pavé fondamental de Vassocié à la base
e={e1, . . . , en}: c’est l’ensemble
Π(e) = {
n
X
i=1
viei, vi[0,1[} ⊂ V.
Sa propriété principale est la suivante :
Lemme 2.6. Soit e={e1, . . . , en}une base de V. Tout vVs’écrit de manière
unique sous la forme λ+xavec λL(e)et xΠ(e).
Démonstration — Désignons par [t]Zla partie entière inférieure du nombre réel
t: c’est l’unique entier relatif mtel que mt<m+ 1. Si v=Pn
i=1 vieiValors
v=λ+xavec λ=Pi[vi]eiLet x=Pi(vi[vi)eiΠ(e). L’unicité de cette
écriture se déduit coordonnée par coordonnée de celle de la partie entière inférieure,
car (ei)est une base de V.
Le théorème résultera du lemme et de la proposition suivants.
Lemme 2.7. Soient Lun réseau de Vet e1, . . . , enune base de Rntelle que eiL
pour tout i. Alors L(e)est d’indice fini dans Let il existe un entier N1tel que
L1
NL(e).
Démonstration — Il est clair que l’on a L(e)L. Vérifions tout d’abord que L/L(e)
est fini. En effet, d’après le lemme 2.6 tout élément vVs’écrit de manière unique
sous la forme v=λ(v) + x(v)λ(v)L(e)et x(v)Π(e). Comme L(e)L,
on en tire que x(v) = vλ(v)LΠ(e)si vL. Mais Lest discret et Π(e)est
borné, et donc LΠ(e)est fini ! En particulier, |L/L(e)| ≤ |LΠ(e)|<+.
D’après le théorème de Lagrange appliqué au groupe quotient fini L/L(e), on
constate que si l’on pose N:= |L/L(e)|alors N·L/L(e)=0, c’est-à-dire que
NL L(e).
24 2. GÉOMÉTRIE DES NOMBRES
Proposition 2.8. Soit Lun réseau de Vet soit Bl’ensemble des bases e={e1, . . . , en}
de Vtelles que eiLpour tout i. Alors il existe e∈ B telle que |det(e1, . . . , en)|
est minimal, et pour tout tel eon a L=L(e).
Le déterminant de la famille de vecteurs eici-dessus est pris de manière sous-
entendue relativement à la base canonique de V=Rn.
Démonstration — Comme Lengendre l’espace vectoriel V, il contient une base de
V, et donc Best non vide. Fixons e∈ B. Il est clair que L(e)L. Soit N1tel
que L1
NL(e)(Lemme 2.7). Tout élément de Lsécrit donc sous la forme Pi
mi
Nei
avec miZpour tout i. En particulier, pour tout f={f1, . . . , fn}∈B, on a par
multi-linéarité de det
det(f)Nndet(e)Z.
Cet ensemble de valeurs est discret dans R, on peut donc bien choisir e∈ B tel que
|det(e)|est minimal (nécessairement non nul).
Comme nous l’avons vu plus haut, tout élément vLse décompose sous la
forme λ+xavec λL(e)et xΠ(e)L. Il suffit donc de voir Π(e)L=. Soit
v=PivieiΠ(e)L, de sorte que vi[0,1[ pour tout i. On cherche à montrer
vi= 0 pour tout i. Soit 1in. Si vi6= 0, alors v, e1,..., ˆei, . . . , enest dans B.
Mais le caractère multi-linéaire alterné du déterminant entraîne
|det(e1, . . . , ei1, v, ei+1, . . . , en)|=vi|det(e1, . . . , en)|<|det(e1, . . . , en)|,
ce qui est absurde par minimalité de det(e). 
Proposition 2.9. Soient LRnun réseau et e={e1, . . . , em}une famille Z-
génératrice de L. Alors mn. De plus, les conditions suivantes sont équivalentes :
(i) eest une Z-base de L,
(ii) eune base de l’espace vectoriel Rn,
(iii) m=n.
En particulier, toutes les Z-bases de Lont même cardinal n.
Démonstration — En effet, comme Lengendre l’espace vectoriel Rn,eest une
famille génératrice de ce dernier, et donc mn. L’équivalence de (ii) et (iii) est
alors bien connue. De plus, (ii) implique trivialement (i).
Montrons enfin que (i) entraîne (iii). Si eest une Z-base de L, alors ψ:ZmL,
(mi)7→ Pimieiest un isomorphisme de groupes. Soit fune Z-base de Lànélé-
ments (Théorème 2.4). Il vient que ψ1(f)est une Z-base de Zmànéléments. Mais
Zmest un réseau de Rmde manière naturelle, donc la première inégalité démontrée
entraîne que nm, et donc n=m.
2. LEMME DU CORPS CONVEXE DE MINKOWSKI 25
On se propose enfin de décrire toutes les Z-bases d’un réseau à partir d’une seule.
Considérons
GLn(Z) := {MMn(Z)| ∃NMn(Z), MN = In}.
Autrement dit, GLn(Z)est le sous-groupe de GLn(R)constitué des matrices à coef-
ficients entiers, et dont l’inverse aussi est à coefficients entiers.
Proposition 2.10. (i) GLn(Z) = {MMn(Z),det(M) = ±1}.
(ii) Soient e= (e1, . . . , en)et f= (f1, . . . , fn)deux bases de V, et soit P= (pi,j)
la matrice des vecteurs fjdans la base ei, i.e. fj=Pipi,j ei. Alors eet f
engendrent le même réseau, c’est-à-dire L(e) = L(f), si, et seulement si, on a
PGLn(Z).
Démonstration — Vérifions le (i). Si M, N Mn(Z)satisfont MN = In, alors
det(M) det(N)=1avec det(M),det(N)Z, donc det(M) = ±1. Réciproquement,
si MMn(Z)et det(M) = ±1, la relation MtCo(M) = det(M)Inassure que
M1=tCo(M) det(M)1Mn(Z).
Montrons le (ii). Remarquons que fjappartient au réseau engendré par les ei
si, et seulement si, la j-ième colonne de Pest à coefficients entiers. Introduisons
par symmétrie la matrice QGLn(R)des vecteurs ejdans la base fi, on a donc
P Q = In. D’après la remarque ci-dessus, les eiet les fjengendrent le même réseau
si, et seulement si, Pet Qsont à coefficients entiers, c’est-à-dire si PGLn(Z).
Exemple 2.11. Les éléments (a, b)et (c, d)de Z2engendrent Z2si, et seulement
si, on a ad bc =±1.
2. Lemme du corps convexe de Minkowski
Nous aurons besoin de considérer le volume (ou “mesure”) de certaines parties
de Rn. On munit donc dans ce qui suit l’espace vectoriel V=Rnde la mesure de
Lebesgue 2que l’on notera µ, vérifiant µ([0,1]n) = 1.
Définition 2.12. Soient Lun réseau de Rnet Xun sous-ensemble mesurable de
Rn. On dit que Xest un domaine fondamental (pour l’action) de Lsi tout vRn
s’écrit de manière unique sous la forme λ+xavec λLet xX.
Il existe des domaines fondamentaux, d’après la caractérisation algébrique des
réseaux et le :
Lemme 2.13. Si eest une base de Valors Π(e)est un domaine fondamental de
L(e)de mesure |det(e1, . . . , en)| ∈ R>0.
Démonstration — La mesurabilité de Π(e)et la formule donnée pour sa mesure
sont conséquences de la formule du jacobien (“changement de variables”) en théorie
de l’intégration. Le reste se déduit du lemme 2.6.
2. Nous renvoyons par exemple au cours de W. Rudin Real and complex analysis pour la
construction de la mesure de Lebesgue.
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